Gastronomie

Un bien nommé porteur d’avenir

Caroline Goldschmid – 05 février 2020
Boulanger-confiseur à Romont (FR), Joël Grandjean a remporté le Prix du Porteur d’Avenir en 2018. Une distinction qui a profité à toute son entreprise.

Joël Grandjean (63 ans) a enseigné à l’Ecole professionnelle de Fribourg pendant trente-neuf ans (de 1979 à 2018). En 1984, il s’est associé à Michel Dubey, qui est le fils de son maître d’apprentissage, avec qui il s’est lié d’amitié notamment à travers leur autre passion commune: le judo. Les deux amis ont repris ensemble l’entreprise des parents de Michel, rebaptisée la Boulangerie Dubey-Grandjean. Puis, début 2019, Michel Dubey a remis ses parts au fils de Joël Grandjean, David, qui a rejoint la direction de la SA. Vous avez remporté le Prix du Porteur d’Avenir en 2018 dans la catégorie «Boulangerie - Pâtisserie - Confiserie». Le principe de ce concours veut que ce soient les apprentis qui inscrivent leur maître d’apprentissage en tant que candidat. Qui vous a inscrit? Joël Grandjean: C’était une apprentie de 3e année, Laure Gendre, qui a terminé sa formation en juillet 2019. Les bulletins de participation au concours sont distribués dans les écoles professionnelles et les enseignants les transmettent aux élèves. Cette apprentie a estimé que je méritais de recevoir le prix, notamment parce qu’elle trouvait que j’étais à l’écoute et disponible pour les élèves lorsqu’ils rencontraient des difficultés. Elle m’a aussi inscrit au concours pour mon long parcours de formateur d’apprentis. Par exemple, notre pâtissière est responsable depuis plus de vingt ans chez nous et mon fils David est responsable dans un secteur depuis plus de dix ans. Sans oublier mon neveu – nous sommes véritablement une entreprise familiale! –, qui est responsable de la boulangerie depuis plus de dix ans. Donc on voit que j’ai formé des jeunes qui transmettent à leur tour la passion que je leur ai donnée. Justement, transmettre le savoir aux jeunes, c’est quelque chose qui vous est cher? Tout à fait. C’est cher à mes yeux, mais aussi pour mon entreprise. Quand j’ai reçu le prix du Porteur d’Avenir, on m’avait demandé de me qualifier et j’avais répondu: «Formateur de jeunes et formateur de formateurs.» Parce que j’ai bien sûr d’abord transmis mon savoir à des jeunes, qui sont par la suite eux-mêmes devenus des chefs d’entreprise ou des enseignants. A l’image de mon fils David qui gère le commerce avec moi et mon épouse et qui doit aussi gérer des jeunes. Pour en revenir au Porteur d’Avenir, que se passe-t-il une fois que l’apprenti( e) a inscrit son maître d’apprentissage au concours? Une commission des métiers effectue une première sélection sur dossier et ne retient que quelques candidats de chaque catégorie. Ils prennent ensuite contact et leur demandent de justifier les raisons pour lesquelles ils mériteraient le prix selon eux. Ils nous posent des questions, seul et avec l’apprenti. Dans mon cas, comme j’avais formé plus de 80 apprentis durant mes trente-cinq ans d’activité au sein de l’Ecole professionnelle, mon expérience de maître d’apprentissage n’était pas à prouver. Ce qui est intéressant, c’est que bon nombre de jeunes que j’ai formés ont continué dans le métier ou du moins dans les métiers de bouche, ou sont partis dans l’enseignement. L’apprentissage ouvre des portes à tout! L’apprentissage est un peu une école de vie ... Oui, on essaie aussi de leur inculquer les valeurs bases, comme le respect et la discipline. C’est d’autant plus important en sachant que les jeunes s’identifient à leur maître d’apprentissage. On se doit d’être un exemple pour eux quant au comportement. Concrètement, qu’est-ce que vous a apporté le Prix du Porteur d’Avenir? Je dirais d’abord que c’est une expérience pour toute l’entreprise: l’apprenti( e) fait une démarche, le candidat en fait une, on communique à l’interne et tous les collaborateurs sont impliqués. Cela donne une motivation et une bonne émulation au sein de toute l’équipe. La relation entre l’apprenti et le maître s’améliore, car on se dévoile, on se raconte nos parcours. Un autre avantage indéniable qu’apporte ce prix, c’est la visibilité qu’il donne à l’entreprise puisque ce n’est pas que le vainqueur qui est mis en avant, mais le nom de son commerce. Nous avons notamment bénéficié d’une certaine médiatisation, avec une télé locale qui est venue faire un reportage. Enfin, il y a tout de même 10 000 francs de prix qui sont mis en jeu: le vainqueur empoche 6000 francs et les 2e et 3e remportent 2000 francs chacun. Avec ce prix, nous en avions profité pour organiser un souper du personnel et faire la fête tous ensemble, ce qui, par la même occasion, resserre les liens entre collègues. Grâce au prix, nous avons aussi pu nous rendre au salon Sirah, à Lyon, avec les responsables des secteurs et les apprentis, pour assister à des concours de boulangerie-pâtisserie et déguster la gastronomie locale. Diriez-vous que ce prix a aussi valorisé vos compétences en matière de transmission du savoir? Sans conteste. Cela dit, la visibilité que nous avons gagnée grâce au Porteur d’Avenir est à double tranchant: une avalanche de dossiers de candidature pour des places d’apprentissage nous est parvenue suite au concours. Et, même si ces jeunes ne viennent que pour un stage, il faut leur donner du travail, leur montrer les gestes, etc. Lorsqu’il y a beaucoup de demandes, ce n’est pas toujours évident à gérer, d’autant que sur 34 employés, nous formons déjà trois apprentis à la vente et quatre apprentis en production. Donc parfois nous sommes contraints de refuser des jeunes, faute d’effectifs ou de temps à disposition pour les former. Vous n’avez donc aucun souci à vous faire quant à la recherche d’apprentis: ils se poussent au portillon pour venir chez vous! C’est sûr, mais malgré cela, il faut toujours continuer à promouvoir la formation. Je pense que c’est capital de soigner l’image de son entreprise si on veut des apprentis. A Fribourg, qui est un canton rural et artisanal, les métiers de bouche intéressent encore et toujours les jeunes. Mais on insiste sur le fait que l’apprentissage ouvre des portes à toutes sortes de professions, au sein et en dehors de la branche. En somme, les maîtres d’apprentissage transmettent trois piliers fondamentaux qui ont une valeur universelle: le savoir, le savoir-faire et le savoir- être, dont la ponctualité, le professionnalisme et l’éthique font partie. www.dubey-grandjean.ch www.zukunftstraeger.ch/fr/