Hôtellerie

En ville, les hôtels sont forcés de se repositionner

Caroline Goldschmid – 26 mars 2021
Déjà très affaiblis par la désertion en 2020, les hôtels urbains tirent la langue après un hiver de vaches maigres. Certains imaginent des offres innovantes pour attirer la clientèle locale, d’autres proposent de la location. Exemples à Lausanne, Genève et Neuchâtel.

Susan Sax gère deux établissements à Lausanne, l’hôtel Regina et l’Appart’Hôtel 46A. Ce dernier est actuellement occupé à 50%. «En 2020, nous avons réussi à maintenir ce taux d’occupation, notamment car nous avons logé des personnes en quarantaine et des ouvriers étrangers qui avaient besoin d’un logement le temps d’un chantier», explique l’hôtelière qui est aussi la présidente de GastroLausanne. Quant au Regina, sept chambres sur trente-cinq sont occupées, soit 20%. «Il s’agit de personnes touchant le revenu d’insertion: la ville de Lausanne et le Canton en ont placé quelques-unes dans notre hôtel et nous verse 1200 francs par mois et par chambre. Certes inhabituelle, cette situation est liée à la crise du Covid et nous maintient en activité, car si nous n’avions pas accepté cet arrangement, le Regina serait vide!» L’aubaine pour l’hôtel que Susan Sax a acheté en janvier 2020: la signature d’un contrat avec la société dirigeant les travaux de construction de nouveaux bateaux de la CGN. «Dès le 1er juin, je loue tout l’immeuble aux ouvriers de ce chantier qui va durer deux ans, ce qui veut dire que l’avenir de l’hôtel est assuré au moins jusqu’en 2023», se réjouit Susan Sax. La location n’inclut aucun service: tout le personnel du Regina (ainsi que celui du 46A) a dû être licencié en décembre dernier. «A ce moment-là, nous avons pris toutes les précautions nécessaires, car nous n’avions aucune idée de la suite. Non seulement les RHT ne sont pas destinées à du long terme, mais elles nous coûtent de l’argent, du temps et de l’énergie. Afin d’assurer les discussions avec la banque, toutes les charges devaient être supprimées.»

Le sort du 46A, lui, n’est pas encore scellé. L’aide pour cas de rigueur n’a toujours pas été déterminée étant donné que l’hôtel a perdu 25% de chiffre d’affaires et le restaurant 80%. «Je ne sais pas encore ce que je vais faire avec le Vidy Lunch Café, qui est fermé depuis fin septembre. J’ai une idée d’un nouveau concept, mais j’ignore si j’aurai les moyens de le mettre en place. Les ressources économiques viendraient de l’hôtel et l’agenda des réservations est vide à partir du 10 avril …» En attendant, les clients du 3 étoiles peuvent se restaurer au Chalet des Bains, à quelques mètres de là.

La situation de l’hôtellerie à Lausanne? «C’est très tendu! Il n’y a plus de touristes étrangers et, durant l’hiver, les Suisses qui partent en week-end le font à la montagne», analyse Susan Sax. «De nombreux hôtels sont fermés jusqu’à nouvel ordre, à l’instar de l’hôtel A la gare, du Royal Savoy et du Carlton. Ceux qui sont ouverts ne dépassent pas 20% d’occupation. Les offres destinées aux télétravailleurs ou les prix cassés ne suffisent pas à sauver la mise.» Selon la présidente de GastroLausanne, plusieurs établissements de la capitale fermeront définitivement leurs portes dans les mois à venir si les frontières restent fermées encore longtemps et que le tourisme local ne croît pas. A plus long terme, Susan Sax s’interroge quant à l’évolution de l’hôtellerie lausannoise. «Je me demande si elle deviendra saisonnière, comme c’est le cas en montagne. Pour le 46A, il est possible qu’à l’avenir je le ferme complètement de novembre à janvier et que je le transforme en établissement saisonnier.»

Télétravail, fitness, évasion, gastronomie ...


A Genève, le taux d’occupation de l’InterContinental oscille entre 15 et 25% depuis un an. «Avant l’arrivée du Covid, l’hôtel était quasiment plein tout le temps», annonce Alexia Lepage, responsable communication et marketing de l’établissement 5 étoiles. Situé entre l’aéroport et les Nations Unies, le taux d’occupation de l’hôtel de 333 chambres ne descendait pas en dessous de 60%. «La plupart des 5 étoiles sont au bord du lac alors que nous avons la praticité d’être proche des organisations internationales.» D’ailleurs, la grande partie des clients qui séjournent dans l’hôtel dit «diplomatique» sont là pour raisons professionnelles. Encore aujourd’hui, cette clientèle d’affaires constitue 60% de la clientèle totale.

L’InterContinental souffre de la crise (et une grande partie du personnel est en RHT), certes, mais s’en sort pas trop mal en comparaison avec la majorité des hôtels de la ville du bout du lac. «D’une part grâce à notre clientèle diplomate, qui continue à voyager et reste fidèle à notre hôtel en y séjournant parfois plusieurs semaines, et d’autre part parce que la crise nous a poussé à nous réinventer», explique Alexia Lepage. En effet, l’établissement ne peut plus compter sur les grands événements tels que le Motor Show ni sur les conférences internationales qui généraient de nombreuses réservations.

Résultat: l’hôtel d’affaires s’est repositionné en tant que «resort dans la ville» et a mis en place des offres pour attirer des clients locaux, aussi pour continuer à faire travailler ses restaurants. A l’instar de la «Work Week», lancée l’automne dernier pour les clients en télétravail. Le package propose un séjour du lundi au vendredi au prix de 1000 francs. Sont inclus le service d’étage, une soirée afterwork mezzés en chambre ou encore l’accès au fitness. «L’offre, dont le prix est très compétitif, a suscité passablement d’intérêt car nombreux sont les cadres qui n’arrivent plus à travailler depuis leur domicile», poursuit Alexia Lepage. Autre option pour le télétravail: louer une chambre le temps d’une journée (de 8 h à 19 h), au prix de 180 francs. Le petit-déjeuner, un léger repas de midi et l’accès au fitness sont inclus dans l’offre. «Cette dernière rencontre beaucoup de succès auprès des jeunes actifs.»

Quant à l’offre «Evasion week-end», elle inclut notamment une chambre avec vue, un dîner, une coupe de champagne et un soin au spa. «Elle entre dans le cadre d’une campagne qui vise à montrer Genève comme ville intéressante à visiter le temps d’un week-end, car elle est riche en histoire et en offres gastronomiques, alors qu’elle est surtout connue pour les affaires», ajoute Alexia Lepage. Les soirées à thème, comme la St-Valentin, ont également rencontré un gros succès aussi bien auprès des Genevois que des Alémaniques. Aujourd’hui, 40% des clients de l’hôtel sont suisses.

Signalons que l’InterContinental continue de cibler les clients d’affaires, pour leurs événements hybrides notamment. «Certaines entreprises sont désireuses de recevoir des solutions clé en main pour leurs conférences, réunions, séminaires de formation ou encore assemblées générales, avec par exemple quelques personnes du comité de direction qui se retrouvent dans une salle de notre hôtel et l’autre partie des participants qui se connecte à l’événement en ligne, car nous avons la technologie pour le faire.»

Sortir la tête de la paperasse et créer quelque chose


A 10 km de Neuchâtel, dans le village de Cortaillod, Laurence Veya pouvait compter sur une clientèle d’affaires et locale régulière avant la crise. En effet, bon nombre d’entreprises internationales sont basées dans le canton, comme Johnson & Johnson, Philip Morris, Richemont ou d’autres entreprises de la région fidèles à cette maison. Mais l’hôtel-restaurant Le Chalet est fermé depuis le 21 décembre. «Pour la simple et bonne raison qu’il n’y avait aucune demande de réservation au niveau de l’hébergement, même pour des courts séjours, donc cela ne valait pas la peine de garder l’hôtel ouvert», indique Laurence Veya. En revanche, l’hôtelière relève tous les jours ses mails et reste prête à adapter son offre en fonction de la demande. Résultat: une demande pour un groupe en trois mois, celle de huit personnes qui séjournent en ce moment au Chalet en demi-pension. «Il s’agit de clients fidèles, qui sont en déplacement dans la région pour suivre une formation. Nous serons deux pour les servir: mon mari en cuisine et moi-même.» D’ailleurs, la coprésidente de GastroNeuchâtel veut faire son possible pour ne pas perdre sa clientèle d’habitués. Elle a donc décidé de rouvrir l’hôtel dès le 1er avril, avec une petite carte de 18 h à 20 h. «Nous communiquons sur les réseaux sociaux à ce sujet et nous verrons si cette offre plaît. Bien sûr, si aucune réservation n’arrive, on restera fermé.»

A l’heure actuelle, l’agenda des réservations est vide pour avril, mais l’hôtelière anticipe la venue de quelques touristes suisses avec l’arrivée des beaux jours. «Nous avons imaginé des offres comme le package Œnotourisme, qui permet de découvrir le vignoble neuchâtelois en vélo électrique, et l’offre de Pâques au tarif de 150 francs la nuit pour une chambre double avec petit déjeuner.» Le Chalet tente aussi de cibler les télétravailleurs en mettant à disposition une salle de coworking pour les clients de l’hôtel au prix de 12 francs l’heure, avec wifi, machine à café, micro-ondes et place de parc. Côté restauration, des plats à l’emporter seront également proposés, comme les filets de perches et le tartare de bœuf coupé au couteau.

Fixer une date et sortir des collaborateurs des RHT, c’est un coup de poker lorsque l’agenda est vide. «C’est là que c’est difficile: on se prépare, ne sachant pas s’il y aura une demande», confie Laurence Veya. «Mais j’avais besoin de créer quelque chose, sortir la tête des papiers et pouvoir accueillir à nouveau, car c’est ça mon métier. Et je dois dire que mes clients me manquent. Alors on essaie, puisqu’on n’a plus rien à perdre!»