«Quand je suis bien reposé, les idées fusent»

Reto E. Wild – 16 septembre 2021
Jeroen Achtien est l’un des chefs les plus talentueux de Suisse et a obtenu deux étoiles Michelin en trois ans. Le Néerlandais nous parle de ses concurrents, des mesures prises pour lutter contre la pénurie de travailleurs qualifiés et de sa vache âgée de 15 ans, Jasmin.

Traduction: Caroline Goldschmid

Vous êtes constamment à la recherche de nouveaux produits. Instagram nous dit que vous étiez à la mer du Nord en été. Qu’avez-vous fait là-bas?
Jeroen Achtien: Des amis m’ont invité à un événement organisé par Vuurzee. Il s’agit d’une bière à la levure de champagne, que nous avons maintenant à la carte des boissons et qui est affinée avec des raisins Pinot Noir. Elle est fraîche et élégante, ce n’est pas une bière ordinaire. C’est un ami néerlandais qui me l’a fait découvrir. Vuurzee voulait être le sponsor de mon livre de cuisine. Et avec Raphael (le directeur de l’hôtel Raphael Herzog, ndlr), nous avons visité une ferme ostréicole dans la province de Seeland.

Décrivez-nous vos rapports avec le directeur de l’hôtel ...
Nous sommes une bonne équipe et nous nous respectons mutuellement. Il est le grand patron, mais il me laisse beaucoup de liberté. L’important est que nos clients soient heureux. Et oui, bien sûr, je dois m’assurer que les chiffres soient corrects.

Vous êtes au Lac des Quatre-Cantons depuis trois bonnes années. Vous avez obtenu la première étoile Michelin en 2020 et la seconde cette année 2021. Quels sont vos prochains objectifs?
Lorsqu’il s’agit d’étoiles Michelin, les gens oublient toujours qu’il faut une équipe. Nous voulons nous améliorer tout le temps, sinon ça devient ennuyeux. Si nous recevons une troisième étoile arrive, tant mieux. Mais je ne stresse pas avec ça. Notre restaurant affiche complet tous les soirs, à quelques exceptions près, depuis son ouverture, le 18 mars 2021. Je ne pense pas que beaucoup de restaurants puissent en dire autant. J’en suis très heureux. Au cours de ma première année, de nombreux clients de l’hôtel voulaient également manger dans notre restaurant. Maintenant, les clients réservent d’abord une table et dorment ici aussi. Je suppose que ça en dit long sur la qualité de nos plats.

Vous avez eu un grand défi à relever avec la pandémie. Comment avez-vous vécu les périodes de fermeture?
Notre hôtel a été fermé pendant le premier confinement. Puis, à l’été 2020, les affaires ont vraiment repris. Nous étions presque toujours complets. La Suisse s’est bien comportée en tant que pays, si je compare avec les Pays-Bas, par exemple.

Avez-vous de la facilité à trouver du personnel qualifié? Vos étoiles contribuent sans doute à votre rayonnement ...
En effet, nous n’avons eu aucun problème à recruter des travailleurs qualifiés avant et après les périodes de fermeture. J’entends souvent que des régions comme le Benelux, les Caraïbes, l’Espagne ou encore Singapour, parlent de l’ampleur des problèmes liés à la pénurie de travailleurs qualifiés, car le personnel s’est déplacé vers d’autres secteurs. En ce qui me concerne, j’ai déjà reçu des demandes de la part de chefs de cuisine qui voudraient travailler avec nous l’année prochaine.

Qu’est-ce qui vous distingue des autres établissements?
Nous sommes constamment à la recherche de ce que nous pouvons faire de mieux pour les employés. Une ambiance sympa règne au sein de notre équipe. L’emplacement du Vitznauerhof est idéalement situé. Et notre restaurant n’est ouvert que le soir, alors que nous pourrions facilement le remplir à l’heure du déjeuner et avoir des listes d’attente le soir. Pour le personnel de service, nous introduisons la semaine de quatre jours et payons pour cinq jours. Donc nos quatre personnes de service ont trois jours de congé. C’est très attrayant.

Où puisez-vous votre inspiration?
Partout. Ce peut être dans l’herboristerie Botti, à Stetten (AG), où je découvre de nouvelles plantes. Je connais l’herbe d’olive, par exemple, depuis l’époque où je vivais aux Pays-Bas. Elle pousse dans le jardin de notre hôtel depuis deux ans. Mais je n’ai pas encore utilisé cette herbe dans les plats qui sont à la carte. L’autre jour, en testant une nouvelle recette, je me suis rendu compte qu’il me manquait un ingrédient. L’herbe d’olive est alors entrée en jeu. Sinon, quand je fais du ski et que je peux me vider la tête, j’ai soudain des idées. De nombreux chefs disent trouver leur inspiration en voyageant. Toujours est-il que, lorsque je suis bien reposé, les idées fusent, peu importe l’endroit où je me trouve. Parfois je me réveille la nuit, j’ai une idée de plat, je la note et je me rendors.

On vous décrit souvent comme un jeune chef sauvage. Vous êtes jeune. Etes-vous aussi un sauvage ?
Qu’est-ce qui est sauvage? J’aime les saveurs et je cherche à ce que toutes les combinaisons soient harmonieuses et élégantes. Les cuisiniers prudents préparent un curry dont on ne sent pas vraiment le goût des épices. Je n’aime pas cuisiner comme ça. On doit pouvoir distinguer tout ce qu’il y a dans l’assiette. J’aime les combinaisons hors du commun. Si c’est sauvage, je ne sais pas, peut-être est-ce courageux.

Vous avez fait preuve de courage parce que vous avez récemment acheté pour la première fois une vache de la ferme biologique Uelihof, à Ebikon (LU) et que vous mettez en œuvre le principe du «Nose to Tail» dans la cuisine étoilée. Dites-nous en plus ...
En Suisse, l’âge du bétail ne dépasse pas 1,5 an. Je ne suis pas habitué à cela, car selon moi plus les vaches vieillissent, plus elles ont de goût. A la ferme Uelihof, où chaque animal porte un nom, on m’a dit que la viande est meilleure lorsque la vache peut brouter dans la nature après l’hiver. J’ai choisi Jasmin, qui avait environ 15 ans. Je voulais la voir avant qu’elle ne parte à l’abattoir. Dans le menu actuel, la viande de Jasmin est disponible comme plat principal en tant qu’entrecôte ainsi que braisée, fermentée et frottée au Soyu Koji pendant deux jours. Cuite rosée, la viande est ainsi plus juteuse et le plat principal léger et frais. Sans cette étape, la viande, que j’ai délibérément servie en petites portions, n’aurait pas été comestible.

Qu’est-ce qui est important pour vous dans les produits? Par exemple, doivent-ils être bio?
Pas nécessairement. L’Uelihof est une belle ferme, je sens l’amour de l’agriculteur pour ses bêtes. Il pourrait élever trois fois plus de vaches, mais il estime que ce n’est pas bon pour le bien-être des animaux. La viande est donc plus chère, mais aussi de meilleure qualité.

Votre livre de recettes avec de nombreuses photos a été publié il y a six mois. Pourquoi avez-vous décidé de faire ça?
Un de mes amis voulait réaliser un nouveau projet avec différents chefs. Au final, cela nous a pris presque deux mois pour produire ce livre de 250 pages. Cela s’est avéré très prenant, car je le faisais en cuisinant. Mais le fait que le photographe logeait à l’hôtel Vitznauerhof a aidé. Nous allions ensemble visiter les producteurs lorsque le temps le permettait.

A vous entendre, le lac des Quatre-Cantons semble être l’endroit idéal pour travailler ...
C’est le cas. J’aime le lac et les montagnes. Parfois, je vais faire du stand up paddle jusqu’à l’autre la rive et je pense à la beauté de la nature. J’aime aussi faire le tour du lac en moto. Et deux palmiers poussent sur mon balcon. Que demander de plus?