Vroom a ouvert ses portes fin janvier 2022, à Genève. Ce restaurant est une première en Suisse: il a été initié par des personnes sourdes et malentendantes dans le cadre de la fondation Vroom et la majorité de ses employés est porteuse de ce handicap. L’objectif est évidemment d’être parfaitement rentable et éventuellement de faire des bénéfices qui seront reversés à la fondation pour des projets en faveur de la communauté sourde, mais pas seulement. «Notre but est de déconstruire les stéréotypes, d’initier le public à la langue des signes, de montrer que nous pouvons travailler comme tout le monde et que la communication avec les entendants est possible. Il faut savoir que le pourcentage de sourds au chômage est trois fois supérieur à celui des entendants», précise Elodie Ernst, responsable de la communication.
Au Martigny Boutique Hôtel, 60% des employés sont porteurs d’une déficience intellectuelle. Pourtant, pour Mathias Munoz, directeur de l’établissement, il n’est pas question de faire des concessions sur la qualité du service. Au départ, ce spécialiste de l’hôtellerie a dû s’adapter et ajuster son management, mais après bientôt six ans, le bilan est très positif. «Nous avons très peu de turn-over en comparaison avec un établissement classique», confie-t-il. «Les personnes en situation de handicap que nous employons sont toujours souriantes et pour la plupart très heureuses de venir travailler, ce qui améliore aussi drastiquement l’ambiance dans les équipes.» Il ajoute que la mauvaise foi et l’absentéisme sont rares au sein de son hôtel. Pour preuve, il nous parle de l’expérience avec le groupe Coop en Valais, qui intègre également des personnes en situation de handicap dans certains magasins. Dans ces équipes, il y a un taux d’absentéisme sensiblement plus bas que dans les autres magasins de la filiale.
Comment ça fonctionne?
Vroom ressemble en tous points à un établissement classique, hormis plusieurs soutiens financiers pour le lancement, le restaurant fonctionne maintenant de manière autonome. L’équipe est composée d’une majorité de personnes sourdes ou malentendantes qualifiées, de deux stagiaires encadrés par des professionnels en cuisine et en salle et d’une personne entendante pour compléter le service. Cette composition permet de former du personnel sourd pour qu’il puisse ensuite travailler dans la branche avec un bagage pratique et de démontrer que la mixité sourds entendants est possible.
Le Martigny Boutique Hôtel appartient à la fondation valaisanne en faveur des personnes avec une déficience intellectuelle (FOVAHM), mais la gestion de l’établissement est indépendante. Les équipes de Mathias Munoz sont constituées de personnes sans handicap et de personnes placées par la FOVAHM qui sont au bénéfice d’une rente AI complète. Mathias Munoz analyse ses besoins en termes de personnel, et il paie la charge de travail effectuée par les personnes en situation de handicap à la fondation. Ce qui signifie que parfois trois personnes effectuent la charge de travail qui serait habituellement attribuée à un seul employé, et que l’hôtel verse l’équivalent d’un seul salaire. Cette pratique permet de conduire l’hôtel au plus juste de la réalité, d’offrir des postes de travail adaptés aux capacités et aux compétences des personnes en situation de handicap ainsi que de valoriser le travail effectué. La charge administrative est quant à elle gérée par la fondation. «C’est aussi simple que de travailler avec Hotelis», confie le directeur. Sa seule contrainte est une analyse minutieuse et réaliste de ses besoins en amont et un peu d’organisation. Par ailleurs, la fondation accompagne et soutient les employeurs qui font ce choix. Les membres d’une équipe intégrée sont sélectionnés suite à une mise en postulation interne sur la base de la motivation, des compétences actuelles et de celles à développer. Ils sont accompagnés en permanence au sein de l’entreprise par un maître socioprofessionnel.
L’expérience client
«Au Martigny Boutique Hôtel, nous n’avons presque que des commentaires très positifs», déclare Mathias Munoz. La plupart des évaluations qu’il reçoit sur internet sont bonnes, mais il admet qu’il y a sûrement des clients mal à l’aise avec les personnes en situation de handicap, qui, par peur de choquer ou par retenue, gardent leurs impressions pour eux. Par ailleurs, le travail est souvent effectué avec une très grande attention du détail, et la qualité s’en ressent. Tous les draps qui sortent de la blanchisserie sont immaculés et le nettoyage des chambres est tout simplement parfait. Quant au service, la bonne humeur, les sourires et la joie d’être là compensent largement la lenteur ou les maladresses dues au handicap. «Pour moi, la priorité reste de fournir un service impeccable, au même titre que tous les autres établissements. Il n’y a aucune différence en termes de qualité. On ne s’excuse pas, on explique», ajoute le directeur.
Chez Vroom également, le client repart le sourire aux lèvres. Les plats cuisinés avec des produits locaux et de saison sont appréciés et l’introduction à la langue des signes plaît beaucoup. La clientèle est très hétérogène: «Nous accueillons des personnes âgées, des plus jeunes, beaucoup de personnes actives pour le repas de midi, et évidemment des personnes de la communauté sourde», précise Elodie Ernst. Elle nous indique également qu’il arrive régulièrement que les clients de passage ne soient pas au courant de la spécificité du lieu. Certains ne s’en rendent pas compte tout de suite, d’autres ne savent pas comment faire et paraissent gênés, «mais nous avons toujours réussi à les mettre à l’aise jusqu’à maintenant».
Un modèle transférable?
Pour Mathias Munoz, l’intégration des personnes porteuses d’une déficience intellectuelle dans des établissements classiques est tout à fait possible, elle est même souhaitable: «Cela permettrait de changer le regard de la société sur le handicap, mais pas seulement. Les bénéfices d’une intégration de ce type sont multiples: moins de turn-over, beaucoup de bienveillance, de gentillesse et d’application dans le travail, de la joie de vivre et une ambiance saine pour toute l’équipe … Cela demande un peu d’organisation et d’adaptation, ce n’est pas tout simple au départ, mais ça en vaut la peine!»
Même discours du côté de Vroom: «Les personnes sourdes sont tout aussi performantes que les personnes entendantes et la communication est toujours possible», indique Elodie Ernst. Cependant la responsable communication ajoute qu’il est aussi difficile de trouver du personnel qualifié dans la communauté, mais à terme, le restaurant souhaite que les personnes qu’il forme soient suffisamment qualifiées pour le marché du travail classique. «Nous invitons d’ailleurs volontiers les employeurs qui le désirent chez Vroom, afin qu’ils puissent constater eux-mêmes que ça peut très bien se passer», conclut-elle.
L’inclusion n’est donc pas une solution miracle, qui permettra de combler le manque de personnel à moindre coût, mais c’est l’occasion de s’ouvrir aux autres, d’offrir une expérience plus inclusive et d’apporter de la joie et de la bienveillance au sein de ses équipes.