Plus qu’un simple remplisseur de verre

– 09 mars 2023
Le service sous les feux de la rampe: lors de «Fascination Pinot Noir», les cuisiniers n’étaient pas au centre de l’attention, comme c’est souvent le cas. Pour une fois, les sommeliers étaient sur le devant de la scène. Tous les participants en sont convaincus: celui qui s’offre un expert en vin dans son établissement est gagnant.

Traduction Isabelle Buesser-Waser

Il ne lui manque que l’oreillette au creux de l’oreille. Celui qui ne connaît pas Francesco Benvenuto (40 ans) pourrait bien penser qu’il est le videur ou le responsable de la sécurité de l’événement: chemise blanche, cravate noire et costume noir parfaitement ajusté qui souligne sa stature sportive. Parfois, un sourire éclaire son visage, qui observe en silence. On se trouve au Grand Resort Bad Ragaz, pendant la manifestation «Fascination Pinot Noir». Le vin et les viticulteurs sont au premier plan. Le vigneron de renom Martin Donatsch est allé chercher le Pinot Noir «Spiger» de 1977, vinifié par son père, au plus profond de sa cave. Georg Fromm prouve avec son Malanser Blauburgunder 1994 que certains producteurs de vin misaient déjà il y a 30 ans sur la qualité, même pour un vin d’entrée de gamme. Les viticulteurs et les amateurs de vin se retrouvent pour déguster ces crus et assister à des débats passionnants. Et en arrière-plan, Francesco Benvenuto veille. Sur les vins rares?
Non. Le chef sommelier du resort poursuit un deuxième objectif avec cet événement qu’il a parfaitement orchestré. «Je veux améliorer la mise en réseau des sommeliers suisses», explique-t-il. «En Allemagne, par exemple, c’est le cas depuis longtemps, mais pas dans notre pays. Nous devrions partager notre enthousiasme pour le vin et pour notre métier.»

Juste un prestataire de services anonyme?

Une nouvelle série de vins est servie. Les sommeliers font le tour de la salle avec les bouteilles. Ce weekend-là, plus d’une douzaine d’entre eux s’affairent à ouvrir les bouteilles, à les goûter et à les servir. Les experts en vin de l’établissement ne sont pas les seuls à être de la partie. De grands noms comme Christoph Kokemoor, la sommité du restaurant trois étoiles Cheval Blanc de Bâle, travaillent main dans la main avec de jeunes professionnels ambitieux comme Martina Wilhelm, qui est engagée comme coordinatrice Events & Booking au Impact Hub de Zurich. «Une expérience formidable, très inspirante», estime la diplômée de l’école hôtelière de Zurich.
En ces temps de pénurie de personnel qualifié, d’innombrables restaurants et hôtels manquent notamment de spécialistes du service. Les raisons souvent citées et bien connues sont les horaires de travail étendus et inadaptés, des salaires bas, mais aussi le manque de possibilités d’évolution et de perspectives. Alors que les cuisiniers rêvent d’avoir leur propre restaurant, des plats signés, des points et des étoiles, le personnel de service voit souvent tout au plus la possibilité d’occuper une fonction de cadre dans un restaurant. Alors que le public connaît les chefs par leur nom, ceux qui travaillent en salle restent généralement des prestataires de services anonymes. Pourtant, il existe bel et bien, ce poste en salle qui est plus passionnant que les autres, qui permet d’avoir des échanges si personnels et familiers avec le client, que ce dernier devient un habitué, et pas seulement en raison de la qualité de la cuisine. Ce poste, c’est celui de sommelier.

Trouver un mentor et laisser parler la passion

Mais comment devient-on sommelier? Comment s’immerger de manière ciblée dans ce monde du vin infiniment grand? «Il faut de la passion et un certain intérêt de base», estime Martina Wilhelm. La jeune femme de 26 ans avait renoncé à toute consommation d’alcool jusqu’à il y a sept ans, mais entre-temps, la fièvre du vin l’a gagnée. «Ces qualités sommeillaient certes en moi, mais au début, j’avais trop de respect. Il faut un mentor ou quelqu’un dans l’établissement où tu travailles qui soit prêt à t’initier. Ensuite, il y a tellement de possibilités d’approfondir. Les podcasts, les médias sociaux, les films, les livres, les événements ou bien sûr les visites chez les vignerons.»
Francesco Benvenuto ajoute: «L’empathie et le désir de gagner la confiance du client sont essentiels pour moi.» Si quelqu’un ne veut pas payer plus de 70 francs pour un vin, il doit se sentir suffisamment à l’aise pour pouvoir exprimer ce souhait. «Et ensuite, nous avons suffisamment de bons vins dans cette gamme de prix.» Mais il est bien possible que le client ouvre davantage son porte-monnaie lors de sa prochaine visite, justement pour cette raison. Martin Donatsch est convaincu qu’avec un service honnête et des connaissances en vin présentées de manière aussi convaincante que sans prétention, certains clients qui se sentent particulièrement considérés se laissent volontiers aller à une recommandation spéciale. Le viticulteur de Malans aime dîner au restaurant et sait apprécier les sommeliers compétents: «Celui qui mise sur de bons sommeliers élargit sa clientèle. Ceux qui aiment dépenser de l’argent pour un bon vin et de bons conseils sont des épicuriens. Ils dépensent aussi plus d’argent pour manger.»

 

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Francesco Benvenuto, chef sommelier du Grand Resort Bad Ragaz, veut améliorer la mise en réseau des sommeliers suisses (photo: Yanik Bürkli)

Un club dédié au vin pour les collaborateurs

Le Grand Resort Bad Ragaz emploie six sommeliers au sein de l’établissement. «Oui, cela coûte», confirme le chef sommelier Francesco Benvenuto. «Mais au final, l’établissement est gagnant, car il peut faire valoir ses compétences professionnelles auprès de ses hôtes. Parce que cela prouve qu’on peut emprunter des voies passionnantes en tant que collaborateur et qu’ici, on est soutenu dans cette démarche.» D’un point de vue économique, cela vaut la peine d’engager des sommeliers, d’investir dans des formations et dans des cours, d’encourager les jeunes talents de la restauration ainsi que les collaborateurs qui participent au service et qui s’occupent surtout du vin. «Cela ne passe pas seulement par le conseil au client, mais aussi par la gestion rigoureuse de la cave, les achats ponctuels et le contact personnel avec les viticulteurs. Servir et conseiller le client, c’est la cerise sur le gâteau.»
La cheffe sommelière Amanda Wassmer-Bulgin a même ouvert un club de vin interne pour les collaborateurs du resort. L’offre comprend des formations et des cours sur toutes sortes de thèmes liés au monde du vin: appariements, biodynamie, sherry, un cépage ou une région viticole. Chaque sommelier peut y participer. Ce n’est pas obligatoire, mais fortement encouragé. Tous les membres du personnel du resort sont les bienvenus. «Le club dédié au vin a un coût», explique Francesco Benvenuto. «Je suis incroyablement reconnaissant envers notre établissement de mettre en œuvre de telles idées. De plus, nous avons nos sessions de sommellerie toutes les deux semaines. Elles sont réservées aux sommeliers de la maison. Nous y échangeons des informations en interne: modifications, dégustations. Amanda et moi décidons, mais en amont, nous demandons l’avis de tous les sommeliers.»

«Le sommelier reste toujours discret»

Francesco Benvenuto précise que le sommelier parfait se met à la place de l’invité et reste toujours discret. Il n’y a que lors de l’événement «Fascination Pinot Noir» que les sommeliers sont au centre de l’attention. «Cet événement est très chouette», estime Sabrina Schmidt (que l’on voit avec Francesco Benvenuto sur la photo de couverture de GastroJournal), cheffe sommelière au restaurant Verve by Sven du Grand Resort. «Les chefs ont toujours des événements de ce genre, où ils cuisinent ensemble. Nous y participons d’une certaine manière, mais sans plus. Nous ne sommes que des porteurs d’assiette ou des remplisseurs de verre. Cet après-midi, j’étais dans la salle, je regardais l’assemblée et je me suis dit: «Incroyable, un tel concentré de compétences.» Lorsque les sommeliers font leur entrée pendant le discours d’ouverture de Francesco Benvenuto, même le portier, d’habitude si souverain, perd brièvement son sang-froid: «Un moment magique.»