Traduction: Caroline Goldschmid
Sebastian Zier, Richard Schmidtkonz, vous travaillez ensemble à l’Einstein Gourmet depuis octobre 2020. Comment se déroule la collaboration?
Sebastian Zier: En octobre 2020, Richie est devenu chef de cuisine. Mais nous travaillons ensemble depuis notre passage au restaurant gastronomique La Mer de l’hôtel A-Rosa, à Sylt (Allemagne). Cela remonte à dix ans environ. Quand on travaille en moyenne 12 à 13 heures par jour, les heures de travail en commun correspondent presque à un deuxième mariage. Il me connaît presque aussi bien que ma femme. Bien sûr, ça se bouscule parfois. Mais nous nous entendons très bien et aveuglément.
Richard Schmidtkonz: Nous avons nos points forts et nos points faibles et n’avons pas besoin de nous concerter beaucoup. Chacun sait ce qu’il fait et connaît très bien l’établissement, ce qui apporte beaucoup à l’hôtel.
Sebastian Zier: Dans le secteur des congrès, deux de mes amis de l’époque de Sylt travaillent désormais en cuisine. L’Einstein a acquis un grand potentiel gastronomique ces dernières années. Notre deuxième restaurant, le Bistro St. Gallen, est pour moi l’un des meilleurs restaurants de la ville. L’établissement profite de nos connaissances réunies.
Quelles sont vos forces et vos faiblesses?
Sebastian Zier: Richard est nettement plus fort que moi dans le domaine informatique. Je n’aime pas trop m’asseoir devant un ordinateur. Je m’occupe plutôt de la planification du personnel. Richard est incroyablement créatif pour les plats. En ce qui concerne le dressage, je suis plutôt du genre classique et je suis plutôt calme, ce qui vient avec l’âge. Quand j’avais 30 ans, je ne tenais pas en place.
Où trouvez-vous des idées pour développer votre créativité, Richard Schmidtkonz?
Richard Schmidtkonz: Elles proviennent de toutes parts. Cela peut être chez des amis qui cuisinent quelque chose qui fonctionne super bien au niveau du goût et de la combinaison des saveurs. Ensuite, j’essaie de l’adapter à ma manière.
Sebastian Zier: Depuis 20 ans, j’aime cuisiner des plats consistants et classiques. Richard donne aux plats classiques une interprétation moderne.
Dans quelle mesure impliquez-vous l’équipe dans la conception du menu?
Sebastian Zier: Nous donnons les idées, en discutons en équipe et cuisinons ensuite les plats pour les tester. Tout le monde peut participer. Ce n’est plus comme il y a 20 ans, quand personne n’avait le droit de dire quoi que ce soit.
Richard Schmidtkonz: C’est en effectuant des tests que l’on voit si ce que l’on a imaginé fonctionne vraiment. Parfois, cela va plus vite, parfois plus lentement.
Sebastian Zier: Richard est pour moi un merveilleux coéquipier. Dix ans de travail en commun, c’est un chemin incroyablement long pour la branche.
Vous dites que les amis peuvent être une source d’inspiration. Avez-vous un exemple concret?
Richard Schmidtkonz: Nous sommes allés en équipe chez Jochen, notre torréfacteur de café, à Saint-Gall. Il nous a invités à manger des grillades. Il y avait des joues de porc Sichuan avec des aubergines, des papayes et des poireaux frits, le tout dans une casserole sur le gril et de manière rustique, comme on aime le faire à la maison. Le lendemain, nous étions dans la cuisine à imaginer des associations similaires.
«Sichuan» et «papaye» ne font pourtant pas penser à des produits régionaux ...
Sebastian Zier: Nous ne sommes pas un restaurant spécialisé dans les produits régionaux. Mais nous achetons volontiers nos produits dans la région, par exemple des canards de Walzenhausen (AR). Pour nous, le produit passe avant tout. S’il y en a un meilleur à 200 km, il a la priorité. On peut discuter de cette philosophie. Nous sommes des fétichistes du produit et voulons par exemple la meilleure viande ou le meilleur poisson, que nous achetons parfois aussi au Portugal ou en Espagne.
Richard Schmidtkonz: Il nageait encore la veille, va à la vente aux enchères à 16h, à l’aéroport à 20h et arrive frais chez nous le lendemain.
Vous décrivez votre cuisine comme une «cuisine fusion Richard-Sebastian».
Sebastian Zier: Nous pourrions aussi dire «l’innovation par la tradition». Notre base est la cuisine française classique – le goût, les sauces, les approches. Pour les sauces, nous utilisons de la queue de veau et pas d’os. Nous sommes aussi des fétichistes des sauces et nous les aimons puissantes. C’est ainsi que l’on peut décrire notre cuisine: elle est savoureuse et rarement laxiste. Chez nous, le goût et l’arôme sont très prononcés.
Comment procédez-vous concrètement?
Richard Schmidtkonz: Certains plats restent plus longtemps à la carte, d’autres sont modifiés du jour au lendemain. Nous tenons compte de la saisonnalité des produits: pour les asperges, il faut planifier différemment que pour la betterave par exemple, qui n’est pas limitée dans le temps.
Sebastian Zier: Nous ne changeons pas toute la carte en une fois. Selon la saison, nous intégrons des champignons, des truffes ou de la rhubarbe à la carte. De nouvelles créations naissent en cuisinant. Ou quelqu’un arrive avec une idée comme cuisiner du turbot avec de la moelle de bœuf. Et on se lance!
Richard Schmidtkonz: Nous avons déjà essayé la rhubarbe avec un beurre blanc. Cela fonctionne bien. Et quand la saison de la rhubarbe commencera cette année, nous serons prêts.
Quels sont vos plus grands défis en ce moment?
Richard Schmidtkonz: Trouver du personnel, si possible à long terme.
Sebastian Zier: Nous avons une équipe solide, que ce soit en salle ou en cuisine. Tout le monde a le niveau d’un établissement doublement étoilé. Et nous avons excellent un sous-chef. En ce moment, nous avons beaucoup de chance au niveau du personnel. Mais le monde de la gastronomie évolue très vite. Qu’en sera-t-il dans cinq ans? Le point crucial est la qualité de la formation. Un autre défi est la stabilité de la clientèle. De plus en plus, les gens sont contraints d’économiser et ne peuvent plus manger cinq fois par an dans un gastro comme l’Einstein Gourmet. Nous ne pouvons pas nous plaindre et avons beaucoup d’habitués. Cependant, nous remarquons que l’argent ne se dépense plus aussi facilement. Le vendredi et le samedi soir, nous sommes complets à 95%. Mais le mercredi et le jeudi, nous aimerions avoir davantage de clients. Certains viennent même de Francfort. Mais ils se font moins plaisir en semaine parce qu’ils sont pris par leur travail.
Comment affrontez-vous ce problème?
Sebastian Zier: Cette année, nous avons introduit un «Quick Dinner» (n.d.l.r.: un dîner rapide): un menu de trois plats au prix correct de 185 francs, amuse-bouches compris. Il n’est proposé que les mercredis et les jeudis et est recommandé aux clients de l’hôtel le jour de leur arrivée. De nombreux clients ne veulent plus passer quatre heures à table.
Justement, parlons des prix: comment gérez-vous l’augmentation des coûts?
Sebastian Zier: Notre menu gastronomique coûte 295 francs. Il est composé de dix plats. Compte tenu de la qualité de nos produits, on devrait demander un prix plus élevé. Mais nous maintenons ce montant, même si, depuis la pandémie, les produits de tous les jours comme l’huile, le beurre ou la crème sont devenus beaucoup plus chers. Il en va de même pour le prix au kilo du poisson ou de la viande. Mais il n’est pas possible de répercuter cette augmentation à l’échelle 1:1.
Vous avez 18 points GaultMillau et deux étoiles Michelin. Au vu de ces hautes distinctions, quels pourraient être les autres objectifs annuels?
Sebastian Zier: (Il sourit et soupire.) Bien sûr, nous voulons nous améliorer. A chaque fois que nous changeons de plat, nous voulons nous améliorer. En même temps, nous voulons un effet de reconnaissance élevé. Nos clients doivent apprécier notre cuisine indépendante et intéressante, avec un goût et des produits forts. A l’époque, nous nous sommes lancés dans la course pour obtenir une étoile. Nous sommes maintenant extrêmement heureux et satisfaits de ce que nous avons obtenu.
Où avez-vous le plus appris au cours de vos carrières?
Richard Schmidtkonz: J’ai tiré le meilleur de toutes les étapes professionnelles. Au début, on cuisine ce que tout le monde cuisine. Puis, avec le temps et l’expérience, on développe sa propre ligne.
Sebastian Zier: Ce qui est important, c’est ce que font les autres. Avec l’ensemble de l’équipe, nous sommes allés à la Villa Lalique, un restaurant deux étoiles en Alsace. De telles excursions élargissent l’horizon de tous.