Repenser les modèles de travail pour attirer la Gen Z

Caroline Goldschmid – 26 janvier 2024
Comment recruter et fidéliser les jeunes collaborateurs? Certains établissements ont revu leur copie et sortent des sentiers battus. Trois exemples de succès en Valais et dans le canton de Vaud, dans l’hôtellerie et la restauration.

Agés entre 14 et 29 ans, les jeunes de la génération Z, communément appelée «Gen Z», arrivent sur le marché du travail avec des besoins spécifiques. Ils attachent notamment beaucoup d’importance à un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Afin de réussir à les recruter puis à les fidéliser, il s’agit pour les employeurs de repenser les modèles de travail classiques de l’hôtellerie-restauration. A chaque établissement de tester de nouvelles voies et de mettre en place un fonctionnement qui convient à toutes les parties. Certains sont déjà sortis des sentiers battus et témoignent des bienfaits récoltés.

Les Remontées Mécaniques Grimentz-Zinal (VS) ont acquis plusieurs hôtels au fil des années, dont trois sont situés à Zinal et deux à Grimentz. Il s’agit de l’Hôtel de l’Europe, de l’Hôtel de la Pointe, de l’Hôtel Le Besso, de l’Alpina et du Cristal. «La ‹work-life balance›, c’est joli et c’est tendance, mais c’est très difficile à mettre en place en hôtellerie», lance Laurence Stolf-Massy, responsable RH des Remontées Mécaniques Grimentz-Zinal depuis juin 2020. «De notre côté, nous misons sur des avantages sociaux afin d’attirer et de fidéliser les jeunes collaborateurs. Dès leur arrivée dans l’entreprise, nous leur offrons un abonnement de ski annuel, valable dans tout le val d’Anniviers. Aussi, nous leur fournissons un logement, ce qui, pour des saisonniers, est un atout indéniable. Nous prenons en charge une partie du loyer, ce qui ­représente un investissement de 100 000 francs par an.» Deux arguments qui font mouche, au moment du recrutement. Au niveau des horaires de travail, les temps partiels nécessitent de dédoubler les postes, ce qui est tout simplement impossible face à la pénurie de personnel qui sévit, selon Laurence Stolf-Massy.

«Si nous étions situés en ville, ce serait différent. Mais en montagne, on commence à la mi-décembre, on finit à la mi-avril et on rouvre fin juin. Donc en mai, juin, octobre et novembre, il y a peu de monde, les établissements sont fermés. Pourtant, du côté des collaborateurs, il y a une demande pour des contrats à l’année: ils ne veulent plus faire des saisons. Résultat, nous nous adaptons et leur proposons des postes à l’année, avec des horaires qui évoluent selon la saison: ils travaillent à plein temps durant la haute saison et travaillent à temps partiel ou ont congé durant les creux du printemps et de l’automne.»

Au-delà des horaires de travail qui ne doivent pas trop empiéter sur la vie privée, les candidats ne recherchent pas seulement un poste pour toucher un salaire, mais veulent vivre une expérience. Afin de répondre à cette attente, les Remontées Mécaniques Grimentz-Zinal organisent régulièrement des événements réservés aux collaborateurs, comme des apéritifs dînatoires, des initiations à certains sports d’hiver ou encore des cours de langue. «De telles sorties permettent aux gens de se rencontrer. Cela crée une émulation et cela consolide l’esprit d’équipe.» Résultat: les collaborateurs sont heureux dans leur entreprise et en parlent à leur entourage, deviennent des ambassadeurs en vantant la marque employeur. Pour un investissement mineur de la part de l’entreprise, mais un impact énorme sur l’expérience collaborateur.

Adieu l’horaire coupé
En été 2023, le restaurant Le Soleil de Dugny a revu son mode de fonctionnement. Auparavant, la gérante Estelle Michellod, responsable de la salle, et son mari, le chef de cuisine Jean-Maurice Michellod, formaient chacun un apprenti, obligeant ces derniers à effectuer des horaires coupés. Depuis quelques mois, ils forment chacun deux apprentis qui peuvent ainsi travailler en horaire continu. «Une équipe travaille de 8h à 17h30 et l’autre équipe est présente de 14h à 23h30. Un tournus s’effectue toutes les deux semaines, ce qui veut dire que nos collaborateurs peuvent profiter de leur soirée durant la moitié du mois», annonce la gérante de l’établissement situé entre Leytron et Ovronnaz (VS). Et les retours ont été enthousiastes. «Cela permet à nos apprentis de mettre un pied dans le monde du travail tout en préservant leur vie sociale. Une sorte de transition en douceur vers la vie active», analyse la restauratrice.

Autre changement conséquent mis en place au Soleil de Dugny: depuis ce mois de janvier, le restaurant est fermé le dimanche. Les apprentis ont ainsi congé dimanche et lundi. «Jusqu’à décembre dernier, nous étions ouverts du mercredi soir au dimanche midi et tout le monde devait être sur le front durant ce laps de temps, y compris les apprentis, ce qui n’était pas idéal», explique Estelle Michellod. L’établissement tente donc un nouveau modèle, avec trois jours de fermeture consécutifs, du dimanche au mardi. «Toute l’équipe a congé dimanche et lundi, et le mardi, c’est une journée de production pour faire la mise en place, notamment. Pour nous, qui sommes une toute petite équipe de six collaborateurs fixes et deux aides pour 20 couverts, cela ne présente que des avantages!», conclut la restauratrice.

Négociateurs et zappeurs
Au Mont-sur-Lausanne (VD), le chef Fabien Pairon et son épouse Jennifer ont repris l’Auberge communale il y a deux ans et ont, dès le début, réfléchi à de nouveaux modèles de travail. Le couple en est convaincu: il ne s’agit pas de mettre en place des horaires génériques, c’est-à-dire les mêmes pour tout le monde, mais plutôt de chercher à personnaliser les plannings. Par exemple, ils proposent des horaires de présence en fonction des besoins de chacun.

Aussi, le restaurant a changé ses horaires d’ouverture. «Le samedi midi était le service le plus calme et comme on subit 34% d’augmentation des prix de l’énergie, on a décidé de fermer le samedi midi», raconte Fabien Pairon. «Les retours des employés ont été très positifs, car cela leur permet de se reposer le samedi matin et profiter pleinement de leurs deux jours off grâce à trois matinées consécutives de congé.» C’est ce qui s’appelle une situation gagnant-gagnant: le restaurant évite de travailler à perte, peut mieux répartir les 42 heures des employés sur le restant de la semaine et le personnel bénéficie de davantage de congés.

Cela dit, Fabien Pairon reste à l’écoute de ses collaborateurs: «Nous nous adaptons, en fonction de leurs impératifs et de ceux de l’entreprise. L’idée est d’aider les employés: s’ils ne sont pas dans une situation confortable, ils ne pourront pas faire du bon travail. Nous devons être contents de nous quitter le soir, mais contents de nous retrouver le lendemain!» Avant d’être à la tête de l’Auberge communale, le MOF a longtemps travaillé à l’Ecole hôtelière de Lausanne; il connaît donc bien la jeune génération. «Ce n’est pas elle qui va s’adapter, c’est à nous de nous adapter à elle. Il faut discuter, car la génération Z est constituée de négociateurs. Il s’agit aussi de zappeurs, ils bougent beaucoup. A nous d’accepter qu’ils vont venir puis repartir. Il ne faut donc pas travailler que pour soi. Celui qui est chez nous aujourd’hui sera chez un confrère demain. Il faut réfléchir au niveau de la branche en général et créer du réseau.»

 

★ «Les jeunes tiennent le couteau par le manche»

Augmentation de salaire, avantages sociaux, formation offerte – attention toutefois sur ce point: former un collaborateur nécessite aussi de le libérer et donc ne pas l’avoir à disposition durant un certain temps – ­semaine de quatre jours, absence d’horaires coupés, temps partiels, horaires personnalisés ... Les pistes de réflexion pour attirer la Gen Z sont nombreuses. «Le modèle de travail traditionnel est aujourd’hui dépassé», assure Gilles Meystre. «Rester dans le carcan est le meilleur moyen de ne pas trouver de relève! Il faut impérativement envisager de nouveaux modèles. Et les jeunes collaborateurs tiennent le couteau par le manche», rappelle le président de GastroVaud.

Le directeur de GastroValais, lui, met l’accent sur l’importance du dialogue pour se rapprocher de la Gen Z. Selon Stève Delasoie, la communication passe avant toute chose, car elle permet de comprendre ce qui est important aux yeux des jeunes. «Restaurateurs et hôteliers doivent être à l’écoute, mais aussi davantage expliquer les défis qu’ils rencontrent au quotidien dans la gestion de leur entreprise afin que les deux parties comprennent mieux la réalité de chacun. Pour les professionnels de la branche, il s’agit de faire adhérer les jeunes collaborateurs à leur projet, tout en profitant de leurs compétences, comme celles qui touchent au digital et aux réseaux sociaux.»