«Notre cuisine reflète notre environnement»

Isabelle Buesser-Waser – 30 août 2024
Aux Mayens de Conthey (VS), loin des centres touristiques, Marie-Jeanne et Pierre-Marie Evéquoz attirent les clients sur leur flanc de montagne avec une cuisine à base de plantes sauvages inspirée des traditions des mayens. Chronique d’une success story en parfaite adéquation avec son environnement.

Pierre-Marie et Marie-Jeanne Evéquoz se tiennent à l’entrée du restaurant Clair de Lune, ouvert chaque année d’avril à novembre dans les Mayens de Conthey (VS). La douceur de Marie-Jeanne et l’authentique sincérité de son frère Pierre-­Marie se retrouvent dans les assiettes qu’ils servent à leurs clients et reflètent une histoire riche: celle de nombreuses familles valaisannes qui, sur les flancs des montagnes, ont façonné le canton. L’épopée de ce petit établissement débute en 1962, lorsque leur père, Jean Evéquoz, investit dans les Mayens de Conthey, alors que le Valais voit son développement touristique exploser. Il y construit le «Clair de Lune», qui répond à son rêve de travailler dans un métier de bouche. La famille se lance alors dans la grande aventure de la restauration. Mais en 1972, avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’aménagement du territoire, les Mayens de Conthey sont déclarés «zone agricole» et toutes les nouvelles constructions y sont interdites. Ce flanc de montagne là ne deviendra pas une station touristique.

Qu’à cela ne tienne: Jean Evéquoz tient bon. Marie-Jeanne et Pierre-Marie grandissent dans la branche, passant leurs étés au restaurant et leurs hivers sur les bancs de l’école, en plaine. «Vers 9–10 ans, j’ai commencé à aider ma maman au service et Pierre-Marie, qui observait mon père en cuisine depuis petit, s’est mis aux fourneaux vers 14 ans. Cela nous a beaucoup apporté, c’était une vraie leçon de vie», se souvient Marie-Jeanne.

Une cuisine cohérente
Pierre-Marie reprend les rênes du restaurant en 1986, après le décès de son père, et petit à petit, il fait évoluer la cuisine. Alors que Jean s’appuyait principalement sur des mets classiques, typiquement suisses et valaisans, Pierre-­Marie explore les traditions des vieux mayens. Il s’intéresse notamment aux plantes qui poussent aux alentours. «A l’époque, les gens qui vivaient ici ne pouvaient pas descendre régulièrement chercher des légumes frais. C’est pourquoi ils mangeaient des épinards sauvages, du plantain ou des orties qui poussent un peu partout autour des mayens. Cette habitude s’est perdue avec l’arrivée des supermarchés. Cela semblait plus ‹noble› de faire ses courses dans un magasin que dans la nature», explique le chef avant d’accueillir une voisine de passage. Celle-ci leur livre des mûres. «Parfois, nos voisins nous apportent les surplus de leur jardin que nous échangeons contre une bouteille de vin ou un repas au restaurant. Cela nous permet d’avoir de magnifiques produits frais qui poussent juste à côté de chez nous», indique Marie-Jeanne. Au Clair de Lune, la fratrie Evéquoz se passionne pour les produits du terroir en toute simplicité. Les fromages viennent de l’alpage de Flore, juste en dessus, ou des Mayens de My, à quelques kilomètres des Mayens de Conthey. Là-bas, un producteur élève des chèvres, fabrique du fromage, cultive des plantes aromatiques et des arbres fruitiers. Pour le reste, on se fournit le plus localement possible, de la truite de Vionnaz aux asperges en passant par la chasse.

Côté boissons, Marie-Jeanne produit ses propres sirops, selon la saison, avec de la mélisse, des orties, du sureau, des bourgeons de sapin ou encore du romarin. «Pierre-Marie les utilise aussi pour la cuisine», précise la maîtresse de maison qui propose également des tisanes froides pour remplacer le thé froid. «Nous avons également des jus de fruits du coin et le vin provient essentiellement des communes de Conthey, Vétroz, Ardon et Chamoson. La demande pour le vin bio est de plus en plus forte. Deux de nos producteurs sont labellisés et les autres vont aussi dans ce sens.»

Développer une offre de niche
Les Mayens de Conthey se situent à environ 25 minutes de la plaine en voiture, il n’y a pas de centre touristique aux alentours et le hameau n’est pas accessible en transports publics. «Pour survivre, nous avons dû développer une offre de niche. Nous ne pouvions pas nous reposer sur nos acquis et attendre que les touristes de passage passent la porte du restaurant», explique ­Marie-Jeanne. «Notre cuisine reflète vraiment notre environnement. Cela nous a permis de compter sur une clientèle fidèle qui apprécie ce que nous faisons et fait marcher le bouche à oreille.» Ainsi, Pierre-Marie sublime le sérac de l’alpage de Flore dans un rouleau de feuilles de nori accompagné de chanterelles, d’orties, de fleurs d’origan et d’un coulis de légumes sauvages.
«Au début, il a fallu habituer nos clients à ce type de cuisine, certains nous disaient qu’on voulait leur faire manger de l’herbe», s’amuse Marie-­Jeanne. Pourtant, aujourd’hui cette «herbe» est une vraie force pour l’établissement qui voit une clientèle très hétérogène passer le pas de sa porte. «Nous ne sommes que deux pour faire tourner le restaurant et parfois les journées sont difficiles. Mais lorsque les gens sont satisfaits et qu’ils reviennent, c’est qu’on a réussi à créer des émotions. Cela me touche beaucoup. Le lien avec les clients est extraordinaire. Le soir, quand je me couche, j’ai l’impression d’avoir voyagé dans beaucoup d’autres mondes et c’est grâce à eux!»