L’intelligence artificielle à l'assaut du gaspillage alimentaire

Isabelle Buesser-Waser – 06 octobre 2022
Dans les cuisines professionnelles, des tonnes de nourriture finissent chaque jour à la poubelle. La start-up suisse Kitro aide les entreprises à réduire le gaspillage alimentaire. Un investissement rentable pour les restaurants, qui peuvent également mieux gérer leur budget.

Kitro a été fondée en 2017 par Naomi MacKenzie et Anastasia Hofmann. «Elles se sont rencontrées à l’École hôtelière de Lausanne et étaient choquées qu’une telle quantité de nourriture, pourtant encore comestible, finisse à la poubelle.» peut-on lire dans un article de Corinne Landolt pour Innosuisse.

Elles se sont donc penchées sur le sujet et, avec le soutien d'Innosuisse, ont développé une balance équipée d’une caméra et d’un logiciel spécifique qui détecte et reconnaît automatiquement les restes de nourriture jetés et les classifie à l’aide d’algorithmes d’apprentissage automatique. L’analyse de ces données permet aux entreprises de voir, par exemple, quel type de déchets alimentaires est généré ou à quel moment de la journée le gaspillage est le plus important.

Les restaurants et autres cuisines professionnelles ont donc la possibilité d'installer les appareils afin d'avoir accès à de précieuses données. Mais la start-up ne s'arrête pas là: elle donne aussi de plus en plus de conseils individuels sur les changements concrets que les entreprises peuvent mettre en place. «Nous avons constaté qu’il ne suffit souvent pas de fournir simplement les données de nos mesures», explique Naomi MacKenzie. «Nous aidons nos clients à fixer des objectifs de réduction du gaspillage alimentaire et à déterminer les adaptations possibles au niveau de la planification, de leurs processus de travail et de la préparation. Pour cela, nous examinons avec eux les résultats et cherchons des solutions facilitant les changements qu’une entreprise peut apporter pour jeter moins de nourriture.» 

Des petits changements qui font la différence

Ce sont souvent de petits changements qui produisent de grands effets, comme le montrent les exemples pratiques suivants:

  • Des portions plus petites: dans le restaurant d’une station de ski, il restait en moyenne 20 à 30 grammes de frites par assiette. Le restaurant sert désormais les frites dans une barquette légèrement plus petite.
  • Réorganisation du self-service: dans le restaurant universitaire, la corbeille contenant le pain gratuit a été déplacée. Au lieu d’être placée derrière la caisse, la corbeille de pain se trouve désormais devant la caisse. Ce changement a permis de réduire la quantité de pain que les étudiantes et étudiants mettent dans leur assiette. La quantité de pain jetée a été réduite de 70% au cours de la première semaine suivant ce léger changement.
  • Sensibilisation des collaborateurs: dans un hôtel-restaurant, lorsque le chef de cuisine était absent, le gaspillage alimentaire était beaucoup plus important que lorsqu’il était présent. Les images de la poubelle fournies par Kitro ont aidé le chef de cuisine à attirer l’attention de ses collaborateurs sur le problème, quelle que soit la langue parlée, et à communiquer clairement les principaux points qui posaient problème. Cela a permis de réduire considérablement les déchets alimentaires.
  • Planification des menus: l’optimisation de l’offre de menus – par exemple en limitant le choix – a généralement un impact considérable sur le gaspillage alimentaire. Ce n’est pas tout: de nombreux clients préfèrent un choix plus restreint, car un trop grand nombre d’options pourrait les submerger.
  • Réduire les quantités, resservir plus souvent: dans les buffets, il y a moins de déchets à jeter si l’on choisit des récipients plus petits et que l’on remplit les plats plus souvent. En outre, une carte flexible permet de réutiliser les restes de nourriture dans les menus du lendemain. Le dispositif de Kitro a par exemple mesuré, dans le buffet du petit-déjeuner d’un hôtel, qu’une moyenne de 500 grammes d’œufs brouillés par jour qui finissaient à la poubelle. La cuisine a alors réduit la production quotidienne de 400 grammes afin de garder une marge de 100 grammes. Ainsi, la quantité d’œufs brouillés qui finissait à la poubelle a été réduite de 25 kg par mois à 5 kg.

Rentabilité

L'installation du système Kitro a un coût. Les entreprises peuvent choisir d'acheter le système ou de le louer. «Mais sur le long terme, cela est rentable», raconte Cédric Simon, Directeur Restauration au Lausanne Palace. Il a installé ce système il y a une année, et constate que l'établissement fait de réelles économies dans le domaine de la production. Grâce aux analyses fournies par la start-up, ils ont développé d'autres outils pour pouvoir ajuster leur offre. «Nous adaptons par exemple le petit déjeuner selon le taux d'occupation et le type de clientèle». Le retour sur investissement est donc financier mais surtout idéologique. «Depuis l'installation de cette poubelle il y a une vraie prise de conscience sur le gaspillage alimentaire dans les cuisines professionnelles», confie le Directeur restauration. Cédric Simon n'en est pas à son premier essai avec ce type de système. Lorsqu'il travaillait en Asie, il en a utilisé dans deux établissements différents. «J'ai pu observer que l'expérience est positive lorsque les personnes sont impliquées et s'investissent dans le projet. Sinon ça ne marche pas», conclut-il.

Mise en place et utilisation au quotidien

L'installation d'un système connecté peut faire peur, surtout dans des restaurants indépendants qui ne disposent pas de service informatique et technique. «Kitro s'occupe de tout», raconte Cédric Simon. «Il faut simplement avoir du wifi et trouver le bon endroit dans la cuisine. Sinon nous n'avons rien eu à faire. Et l'utilisation au quotidien ne demande aucune connaissance. Nous jetons simplement nos déchets alimentaires dans la poubelle et la machine s'occupe de tout».

Expansion à l’étranger

Aujourd’hui, une centaine de balances Kitro sont installées dans des hôtels, des restaurants, des universités, des cuisines d’hôpitaux, des stations de ski ou des terrains de golf. La plupart des dispositifs sont installés en Suisse, mais on trouve également des balances Kitro dans des établissements en Allemagne, en Italie, en Grèce et en Grande-Bretagne.

Les appareils Kitro sont également utilisés dans une douzaine d’hôtels de luxe. Les évaluations montrent que dans ce segment, les appareils Kitro ont permis de réduire le gaspillage alimentaire de près d’un tiers (28%). Au total, 4,7 tonnes de nourriture ont été épargnées.

«On nous demande souvent pourquoi nous ne proposons pas Kitro aux particuliers. De par notre expérience, nous connaissons très bien le secteur de la restauration et de l’hôtellerie et nous souhaitons continuer à nous concentrer sur ce segment», explique Naomi MacKenzie. «De plus, il nous semble passionnant de voir comment la foodtech pousse un secteur traditionnel à être plus innovant et plus efficace en termes de ressources, et à aller au-delà de ce qu’il a fait au cours des 100 dernières années – des technologies utilisées dans les restaurants aux plats que l’on sert de nos jours. Nous sommes fières d’apporter notre contribution à la réduction du gaspillage alimentaire, un aspect très important de toute la chaîne d’approvisionnement.»