L’ambassadeur des mets neuchâtelois est portugais

Nicolas Bringolf – 15 juillet 2022
José Ferreira perpétue la tradition culinaire du coin de pays qui l’a accueilli voici près de 45 ans. A Cressier, à l’hôtel de la Croix-Blanche, le plus neuchâtelois de tous les Portugais concocte avec passion une cuisine goûteuse s’inspirant des recettes du terroir régional.

Fusionnelle, telle est la relation que José Ferreira, natif de la région du Douro, entretient avec le patrimoine culinaire du Pays de Neuchâtel depuis plus de 30 ans. «Les gens sont en quête de mets ancestraux, de saveurs oubliées. La cuisine authentique, du terroir, c’est celle des grands-mères. Pour la réaliser, je me fournis uniquement auprès de producteurs, de maraîchers du coin. Je ne me vois pas travailler autrement. Je cultive cependant mon jardin aromatique.»
Généreux, bon vivant, bosseur infatigable, le Neuchâtelois d’adoption aime donner du plaisir à ses semblables. Son caractère tonique, haut en couleur, rayonne dans son restaurant de la Croix-Blanche, à Cressier. Un établissement au charme sans esbroufe – à l’instar du chef et de son épouse Teresa – qui, entre deux coups de feu, retrouve sa vocation de café de village.
Attablé devant un verre de blanc local, son breuvage fétiche – «pour moi, il n’y a que le chasselas!» –, José Ferreira plonge son regard dans le rétroviseur de sa vie. «Je suis arrivé en Suisse en 1977 avec un contrat dans un hôtel du canton de Neuchâtel. J’y suis resté jusqu’en 1985. Mon premier boulot a été celui d’<homme de peine>. J’étais à la plonge, je me muais en femme de chambre et j’effectuais toutes les besognes qui répugnaient les autres. Je m’en foutais. J’avais de la force, le travail ne me faisait pas peur et je gagnais quatre à cinq fois plus d’argent qu’au Portugal.»

«Le cuisinier était déjà parti...»
C’est à cette époque qu’il se retrouve, par hasard, aux fourneaux. «Des gens souhaitaient manger, mais le cuisinier était déjà parti. J’ai copié une recette de scampis que j’avais pu observer plusieurs fois. Les clients ont été contents, le patron aussi», narre-t-il avec une émotion empreinte de fierté.
Le «marmiton sauveur» entame ensuite un apprentissage de cuisinier. «J’avais presque 24 ans. Je ne maîtrisais que très partiellement le français et, à l’école professionnelle, je côtoyais des mômes de 16–17 ans. L’adaptation n’a pas été simple.»
José est même en difficulté. Le professeur de technologie culinaire, Francis Grandjean, s’en aperçoit. Cet enseignant, qui a auparavant œuvré dans des établissements gastronomiques parmi les plus réputés, le prend sous son aile, le soutient durant son cursus d’apprenti. De cette rencontre naît une amitié profonde, indéfectible. «Francis Grandjean, c’est mon père spirituel! C’est grâce à lui que ma vie est ce qu’elle est aujourd’hui», clame l’ancien pommeau.

Cuisine estampillée terroir régional
Peu après l’obtention de son CFC, José reprend, avec Teresa, l’hôtel de la Croix-Blanche. Le cuistot fraîchement émoulu met d’emblée l’accent sur les mets estampillés terroir régional. Pour ce faire, il s’inspire de recettes qui paraîtront un peu plus tard dans le premier livre de cuisine signé … Francis Grandjean.
Saucisson neuchâtelois en brioche avec une salade vigneronne, sorbet à la bérudge – petite prune régionale – et parfait aux noix de Cressier écrivent les premières lignes. Les escargots à la lie de Cressier, le filet de bœuf au pinot noir, la palée sauce neuchâteloise, le coquelet au marc de pinot noir et le sorbet au vieux marc apparaissent ensuite au répertoire des spécialités proposées par le chef.
A l’évocation de ces mets, dont la liste n’a cessé de s’enrichir au fil des ans, José Ferreira ne peut s’empêcher de rendre hommage à son mentor. «Francis Grandjean est omniprésent, incontournable, dans mon environnement professionnel. Il m’a sans cesse accompagné dans la conception de mes menus, de mes cartes. Il a aussi supervisé tous les grands banquets dont j’avais la responsabilité. Il y a deux ans, il a cependant décidé de lever le pied. A 82 ans, c’est compréhensible», note-t-il admiratif, reconnaissant.

«Phénomène» d’intégration
En trois décennies de présence dans son antre de la Croix-Blanche, José Ferreira a noué une multitude d’amitiés. «Quand j’ai fêté mes 60 ans, j’ai invité 300 personnes. Je leur ai bien sûr concocté un repas neuchâtelois. Y avait même la fanfare. Ça a été une sacrée bamboula», se remémore-t-il, les yeux pétillants. De temps à autre, le Lusitanien emmène aussi une joyeuse cohorte d’amis et de fidèles clients découvrir son village natal. Avec un rituel bien spécifique: «Même en plein Douro, on sert toujours du chasselas de Cressier à l’apéro. Je me débrouille pour en avoir suffisamment à chaque escapade …»
A l’aube de la retraite, José Ferreira garde le feu sacré. «Je commence néanmoins à sentir le poids des ans, je suis plus vite fatigué.» Le coronavirus? Positif, il ne s’en plaint pas. «On fait ce qu’on peut, selon les conditions actuelles. Il faut dire que ça va, sinon c’est la sinistrose totale.»
Sur ces paroles, le chef finit son ballon de blanc et part en cuisine. Il s’arrête brièvement à la table ronde des habitués de l’apéro auxquels il a offert une tournée de chasselas et leur dit, taquin: «Arrêtez de causer, il faut le boire avant qu’il ne devienne chaud!»


www.croix-blanche.ch