La richesse des relations et l’amitié au cœur de la cuisine

Isabelle Buesser-Waser – 24 mars 2023
A l’occasion de sa nomination en tant que Parrain du Goût 2023, Pierrot Ayer se confie sur son rapport au terroir, son admiration pour les produits et leurs producteurs et revient sur ses 30 ans d’entrepreneuriat dans une interview avec GastroJournal.

Qu’est-ce que ce titre de Parrain du Goût représente pour vous?
Pierrot Ayer: C’est un grand honneur et une belle reconnaissance après 45 ans de métier. Etre Parrain du Goût, c’est également représenter les produits et leurs producteurs, ceux qui, grâce à leur travail, à leur passion, font le goût. Je suis très fier de représenter ma ville et mon canton cette année.

D’après vous, quel est le rôle d’un Parrain du Goût?
Ma mission est d’accompagner tout ce qui se passe dans le cadre de la Semaine du Goût et d’interagir avec tous les acteurs de la branche. Il est important de rester soi-même, de respecter les produits ainsi que de transmettre la passion de la gastronomie à la jeune génération. En tant que Parrain du Goût, je représente ma ville, mon canton, les producteurs et les marchands qui font vivre le terroir culinaire de la région.

Quel goût ou plat réveille en vous le plus d’émotions?
Il y en a beaucoup. La saucisse au foie avec du chou rouge braisé que faisait ma maman, par exemple. J’ai souvent essayé de refaire la même recette, mais je n’ai jamais réussi. Ça ne devait pas être très compliqué, mais elle le faisait avec beaucoup de respect pour le produit, du temps et de l’amour.

Vous utilisez beaucoup de produits du terroir fribourgeois dans vos plats, pourquoi est-ce important pour vous?
Je suis en effet très attaché au terroir fribourgeois et suisse, mais j’ai également beaucoup d’admiration pour tous les terroirs d’ici et d’ailleurs. Le goût, c’est avant tout les produits. Le marché de Fribourg est, par exemple, une grande source d’inspiration.

Racontez-nous!
Je me rappelle d’un marchand de lapins qui allait chercher les bêtes le jour précédant le marché et s’occupait de l’abattage. C’était un produit hyper frais, très rare. Les petits producteurs qui sont là par passion, par amour des produits sont un réel trésor pour le goût. Comme cette grand-maman de Corminboeuf, qui me vendait de superbes bottes de carottes pour 1 franc toute l’année.
Après avoir fermé le premier Pérolles, en 2017, je me rendais tout de même au marché pour faire mes courses. La première fois, je me suis retrouvé là au milieu, complètement démuni, j’ai ressenti un grand vide et les larmes sont montées.

Quel est votre bilan après 30 ans d’entrepreneuriat?
Grâce à la gastronomie, j’ai créé des liens d’amitié très forts, en Suisse, mais aussi à l’étranger. Marcel Thürler et Alain Bächler se sont installés en même temps que moi. Nous nous sommes toujours soutenus et entraidés. Plus tard, Frédérik Kondratowicz s’est aussi mis à son compte, à l’Hôtel de ville à Fribourg. On était tous concurrents, mais surtout amis! Ces échanges sont irremplaçables. Le monde de la gastronomie est vraiment riche, entre les concours, les fournisseurs et les nombreux restaurateurs qui nous entourent, on construit des amitiés ainsi qu’un réseau dense et irremplaçable.

Pourquoi avoir choisi de vous mettre à votre compte à l’époque?
Avant de prendre le poste de chef au Buffet de la Gare, j’avais déjà une certaine expérience. J’ai travaillé dans de grands hôtels et dans des maisons réputées, mais rapidement je me suis rendu compte que j’avais envie de diriger ma propre affaire. Je pense que c’est dans mon caractère, j’ai besoin d’indépendance.

Quels obstacles avez-vous dû franchir?
Quand j’ai ouvert la Fleur de Lys, je partais de zéro. J’avais quelques économies, mais il fallait racheter l’inventaire, constituer la cave à vin … ainsi que la clientèle! J’ai débuté avec un stock de 14 000 francs, alors que certains ouvrent avec une cave à 150 000 francs.
J’ai obtenu un crédit à la banque, grâce aux bons certificats de mes anciens employeurs, mais je n’ai jamais eu besoin de l’utiliser. On a surtout beaucoup travaillé dès le départ, ce qui nous a permis de remplir la caisse et d’investir petit à petit.
Comme j’étais très actif dans le monde du foot, j’avais beaucoup de contacts. Cela m’a permis de démarrer avec une certaine clientèle, complétée par ceux qui avaient aimé ce que je faisais au Buffet de la Gare.

Quels ont été les plus gros succès?
Il y en a eu plein! La première étoile à la Fleur de Lys a été un moment marquant. Toutefois, pour moi, les plus grands succès ce sont les contacts humains un peu partout dans le monde, noués dans les concours ou dans le travail. Et puis la reconnaissance des clients, le soutien qu’ils m’ont apporté lorsque j’ai fermé l’ancien Pérolles notamment.

Et les moments les plus difficiles?
Il y a toujours des hauts et des bas, parfois il faut engager un employé de plus et parfois on fait face à des creux. Il y a des soirs de semaine où on a eu très peu de clients. A la Fleur de Lys, on n’avait pas de terrasse, et en été, pendant la Jazz Parade, on en faisait les frais. Dans ces moments-là, on rumine, il faut être philosophe et ne pas comparer avec ceux qui ont plus de chance. L’important est d’arriver à payer son personnel et les frais.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaitent s’installer?
Il faut bien négocier, être conscient des difficultés tout en restant optimiste et surtout, il faut bien s’entourer, de personnes positives et de bon conseil. Il faut aussi avoir une certaine expérience avant de se lancer, et puis travailler et persévérer. «Dè bon matin chè chon lèvâ» (De bon matin se sont levés), dit le Ranz des vaches.

Comment voyez-vous la suite, le départ à la retraite et la relève?
J’ai ouvert le Pérolles avec Julien, mon fils. C’est lui qui est venu vers moi avec ce projet et lorsque je partirai à la retraite, il sera seul aux commandes. Aujourd’hui, nos échanges, nos visions complémentaires et les expérences nouvelles de Julien sont une source d’idées pour la poursuite de notre développement. En cuisine, mon sous-chef travaille déjà souvent sans moi et les clients sont très contents. Nous fonctionnons très différemment, de mon côté, je suis un éternel insatisfait, je me remets toujours en question. Parfois, je me dis que tant que je suis là il ne peut pas vraiment s’exprimer comme il le souhaite.
De plus la clientèle se renouvelle, ce n’est plus la même que j’avais auparavant. Au final, tout est là pour que la transition se passe bien! Nous devrons simplement communiquer de manière intelligente, le nom de Julien devra passer devant le mien!

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La Selle de chevreuil rôtie à la moutarde de Bénichon et poire à botzi caramélisée est l’un des plats de Pierrot Ayer mettant en lumière le terroir fribourgeois.

★ 23e Semaine suisse du Goût

• La Semaine du Goût aura lieu du 14 au 24 septembre 2023. Toute personne, association ou lieu de goût qui souhaite organiser un événement est invité à déposer sa candidature d’ici le 15 mai 2023 sur www.gout.ch. Les 14 comités qualité cantonaux et régionaux de toute la Suisse feront leurs choix définitifs début juin 2023.

• Fribourg, la capitale suisse du Goût 2023, sera également le lieu d’accueil de la première rencontre du réseau des 20 Villes suisses du Goût le 28 avril prochain. La politique alimentaire des villes qui accueillent 85% de la population du pays sera au centre de l’événement.