«Food Save? Tout le monde devrait participer!»

Corinne Nusskern – 30 juin 2022
Du champ à la poubelle? Pas pour le Nomad Design & Lifestyle Hotel, à Bâle. Grâce à son engagement et au projet Food Save Basel-Stadt, l’établissement a réduit drastiquement son gaspillage alimentaire et économisé beaucoup d’argent par la même occasion.

Traduction: Isabelle Buesser-Waser

Récemment, Lukas Kaiser (32 ans) a reçu de magnifiques bottes de carottes qu’il a transformées en bébés carottes pour l’entrée. Et les fanes? «J’ai fabriqué une huile au goût intense à partir des fanes des carottes», explique le cochef de cuisine du Nomad Design & Lifestyle Hotel à Bâle, un établissement du groupe Krafft. «Avant, elles auraiet fini dans le seau.» Sa participation à Food Save Basel-Stadt a encore aiguisé ses sens.
Food Save Basel-Stadt est un projet de l’association United Against Waste (UAW), réalisé en collaboration avec le canton de Bâle-Ville. Vingt-huit entreprises de restauration participent à ce projet visant à réduire efficacement les déchets alimentaires. Il est géré par Foodways, le bureau de UAW. Alex Pabst (37 ans), conseiller en service alimentaire et chef de projet opérationnel chez Foodways, explique: «Le coup d’envoi est donné par une présentation de sensibilisation. Ensuite, les entreprises suivent le processus de gestion des déchets alimentaires.» Avec l’application Waste Tracker développée par Foodways, les établissements mesurent leurs déchets alimentaires pendant 28 jours.

Un automatisme au bout d’une semaine

La mesure de référence du gaspillage alimentaire du Nomad a eu lieu en 2020. En raison du Covid, la mesure finale n’a pu être effectuée qu’en 2021. Malgré le retard, Lukas Kaiser a trouvé ça super. «C’est absolument logique d’y participer.» Le directeur de l’hôtel et copropriétaire Jonas Gass (34 ans) ajoute: «Il a tout de suite été tout feu tout flamme.» Lukas Kaiser tempère: «Chaque cuisinier devrait aspirer à cela!»
Le suivi du gaspillage alimentaire est divisé en huit catégories d’aliments: poisson, viande & volaille, fruits & légumes (y compris les déchets de carottes), accompagnements de féculents, sauces & soupes, pain & pâtisseries, retours d’assiette, produits laitiers et desserts. «Nous avons installé huit poubelles étiquetées selon ces catégories», explique Lukas Kaiser. Dès qu’une benne est pleine, le poids des déchets est mesuré et toutes les données ainsi que le nombre de clients sont entrés dans le Waste Tracker le soir.
En moyenne, l’hôtel vend 80 repas et 70 petits-déjeuners par jour dans le restaurant Eatery qui compte 120 places à l’intérieur et 90 à l’extérieur. «Bien sûr, c’est un effort supplémentaire, il faut changer ses habitudes. Au début, il faut 30 minutes par jour. Mais au bout d’une semaine, c’est un automatisme». Selon le chef, il est crucial d’intégrer les 55 collaborateurs du Nomad dans le projet. «Cela concerne aussi le service, un plat qui est renvoyé en cuisine, doit être éliminé correctement.»

Des chiffres étonnants

C’est dans la catégorie des fruits & légumes que l’équipe du Nomad a réalisé les économies les plus rapides, car elle transforme systématiquement les déchets consommables, dont la quantité a ainsi été réduite de 29,78%. En ce qui concerne les féculents, l’équipe atteint même 82,15% de déchets en moins. Cette amélioration est principalement due à une meilleure gestion de la production.
Les chiffres concernant la réduction des coûts liés au gaspillage alimentaire dans les autres catégories sont également éloquents: pour les retours d’assiette, ce sont 49,41% de déchets en moins, la viande, le poisson et la volaille atteignent 77,10%, les produits laitiers 6,7%, les desserts 74,34% et les sauces et les soupes 88,05%. La première étape pour y parvenir est simple, selon Lukas Kaiser. «Dans toutes les catégories, il faut produire en plus petite quantité, mais plus souvent.»

Financièrement, les économies sont énormes

Dans la lancée, le contenu des menus a été réduit d’un tiers. Cela a été clairement communiqué aux clients, qui peuvent obtenir un supplément à tout moment s’ils ne sont pas rassasiés. «Les gens sont habitués à des portions plus grandes, mais ils les finissent rarement», explique Lukas Kaiser. Les collaborateurs doivent le comprendre pour pouvoir l’expliquer. «L’excuse: <Je ne peux pas faire ça à cause des clients> ne tient pas», ajoute Jonas Gass. «Essayez donc de le faire!»
Le gain financier est important: en 28 jours, le Nomad a économisé 9405,12 francs sur le calcul des coûts complets (coûts des marchandises, charges de personnel, coûts d’infrastructure et d’élimination)! Mais qu’en est-il de l’investissement? Quelques poubelles, du temps et 990 francs pour adhérer à Food Save Basel-Stadt. Les deux autres tiers (environ 2000 francs) ont été pris en charge par le canton de Bâle-Ville. Alexander Pabst explique: «Les subventions et le soutien pour le projet Food Save varient d’un canton à l’autre, en fonction du réseau de partenaires. Sans subventions cantonales, cela coûte environ 6500 francs.» Bâle-Ville a été le premier projet, entre-temps Food Save fonctionne également dans l’Oberland bernois ainsi qu’à Lucerne, et d’autres cantons sont intéressés.

14% du gaspillage alimentaire vient de la restauration

Environ un tiers de toutes les parties comestibles des aliments se perdent entre le champ et l’assiette. Selon une étude de l’EPFZ réalisée par Beretta et Hellweg (2019), cela représente environ 2,8 millions de tonnes par an en Suisse, soit environ 330 kg par personne. Selon l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), la plus grande partie est générée durant le processus de préparation dans les ménages (38%), suivie par la transformation (27%), la restauration (14%), l’agriculture (13%) et le commerce de gros et de détail (8%). Une étude de la Haute école spécialisée bernoise (2018) montre que les coûts complets du gaspillage alimentaire s’élèvent en moyenne à 24 francs par kilo pour une entreprise de restauration. Alexander Pabst ajoute: «Nous partons du principe qu’en raison de l’inflation, les coûts complets s’élèvent désormais à 35 francs.»
L’accord interprofessionnel sur la réduction des pertes alimentaires constitue une avancée importante. Celui-ci a été signé le 12 mai 2022 par la conseillère fédérale et cheffe du DETEC, Simonetta Sommaruga, et 28 membres d’United Against Waste – dont GastroSuisse. L’objectif est de réduire de moitié la quantité de pertes alimentaires évitables en Suisse d’ici 2030 par rapport à 2017, en accord avec l’objectif 12.3 de l’Agenda 2030 pour le développement durable.
Food Save doit maintenant se poser de nouvelles questions, les améliorations nécessaires dépassent en effet la capacité de certains restaurateurs. Ils manquent de connaissances, de temps et de main-d’œuvre. Pourtant, c’est justement dans la restauration que l’on peut obtenir le plus de résultats en matière de durabilité des aliments. Et cela concerne aussi le porte-monnaie, comme le montrent clairement les chiffres. Selon Lukas Kaiser, il est motivant de participer à un projet professionnel comme Food Save Basel-Stadt. «Nous vivons dans une société d’abondance, dans laquelle nous jetons depuis trop longtemps ce qui pourrait encore être utilisé». Jonas Gass acquiesce. Les deux hommes sont devenus pères récemment. Cela a renforcé leurs inquiétudes en ce qui concerne l’avenir et les générations futures.

La deuxième vie de la peau de pastèque

Lukas Kaiser pense déjà à son prochain sauvetage alimentaire, les peaux de pastèques. «J’aimerais prélever la partie blanche ou en faire un chutney.» Il veut également répéter sporadiquement les mesures à l’avenir, afin de garder le cap. «Les gens qui s’engagent sont essentiels. Sans eux, le bateau continue de couler», conclut Jonas Gass. «Il faut des gens comme Lukas qui prennent les devants.»