Les enfants ... Pour certains établissements, cela constitue un risque: risque de bruit, d’agitation, de plaintes de la part des autres clients. Et pour les parents, il s’agit parfois de stress et d’angoisse, qu’ils soient trop agités, qu’ils n’aiment pas les plats, que l’offre ne soit pas saine, sans compter le coût d’un repas familial ...
Tout cela mène souvent à une exclusion «de facto» des plus jeunes dans les restaurants qui proposent une cuisine de qualité. Pourtant «les enfants c’est l’avenir de la gastronomie, en tant que clients et professionnels», nous dit Stéphane Décotterd. Et pour les familles, ce sont aussi de merveilleux souvenirs et des émotions partagées avec ceux que l’on aime.
Comment vous est venue l’idée de développer un menu enfant?
Stéphane Décotterd: Avec mon épouse, nous avions été interpellés par un article paru dans la presse française qui s’interrogeait sur la place des enfants au restaurant ainsi que par le choix de plus en plus d’établissements en France, en Belgique, mais aussi en Suisse, de bannir les plus jeunes. «Doit-on emmener ses enfants au restaurant?» Nous ne nous étions jamais posé la question … Depuis que nous sommes parents, notre fille nous a suivis un peu partout. Pour moi, l’essence d’un restaurant gastronomique est d’offrir un moment de partage pour nos clients et leurs proches autour d’un repas. Cela me paraît aberrant d’exclure les petits de ce moment-là.
Si nous voulons que la gastronomie perdure et continuer de recruter, nous ne pouvons dire aux plus jeunes qu’ils ne sont pas les bienvenus. Avec toutes les difficultés que nous traversons aujourd’hui dans la restauration, notamment concernant le recrutement, ce message-là est catastrophique. Il s’agit de la clientèle de demain, de notre avenir!
Par ailleurs, on ne peut pas juste dénoncer les fast-foods et refuser l’accès à une cuisine de qualité, nous avons un devoir d’exemplarité et d’éducation.
Alliez-vous au restaurant quand vous étiez petit?
Oui, mais pas dans des restaurants gastronomiques. J’ai découvert ce monde en y travaillant!
Quels souvenirs en gardez-vous?
C’était à chaque fois un moment privilégié en famille où personne n’était stressé à l’heure du repas. A la maison, il y avait toujours quelqu’un debout, en train de cuisiner ou de servir … Il y a peu de moments de partage tranquilles en famille, si ce n’est lors d’un repas autour d’une table au restaurant.
Comment avez-vous élaboré les plats du menu enfant?
Nous sommes partis sur des goûts simples. Limiter les saveurs complexes permet de rendre les éléments du plats identifiables. Ensuite nous avons fait un repas test avec les enfants de nos collaborateurs, qui ont entre 6 et 12 ans. Cela nous a permis de constater que certains aliments étaient mis de côté. Nous avons donc encore simplifié certaines préparations. Par ailleurs, le visuel est très important. Il faut que ce soit beau, sans aller trop loin pour ne pas bloquer les petits clients.
En plus des six plats annoncés dans le menu, les enfants ont également leurs propres amuses-bouches. Ici le Tacos de saumon. (Photos: Nicolas Righetti)
Pensez-vous qu’une belle expérience au restaurant peut créer des vocations?
Nous n’avions pas vraiment réfléchi à cela, mais il est vrai que si on arrive à transmettre le sens de l’accueil, c’est peut-être le meilleur moyen de créer des vocations! Surtout en ce qui concerne les métiers de salles, qui n’ont pas beaucoup de succès auprès des jeunes, notamment en Suisse.
Avez-vous déjà eu beaucoup de petits clients depuis le lancement de cette offre début juillet?
Nous avons accueilli une dizaine d’enfants sur le mois de juillet. Notamment un repas d’anniversaire avec une grande famille. Toutefois, mon objectif n’est pas forcément d’attirer plus d’enfants dans notre restaurant, mais d’avoir une offre à disposition des familles qui souhaitent passer un moment chez nous.
Quel est leur retour sur le menu?
Leur retour est très bon. De plus nous sommes flexibles: les parents peuvent choisir le nombre de plats, ou piocher dans la carte du bistrot si le menu paraît trop complexe.
Comment se passe la cohabitation entre les familles et les autres clients? Sentez-vous de l’agacement chez certains?
Nous n’avons jamais eu de problèmes. Cela s’est toujours bien passé avec les familles que nous avons accueillies. La personne qui a fait la réservation pour le repas d’anniversaire avec plusieurs enfants craignait un peu de déranger. Mais nous les avons installés dans une partie du restaurant que nous pouvons séparer si cela est nécessaire. Les enfants avaient leur propre table avec des jeux qu’ils avaient emmenés. Au final ils n’ont dérangé personne!
Comment a réagit votre équipe à ce concept? Prennent-ils du plaisir à créer ces plats?
Dans l’ensemble, l’idée a très bien été accueillie, c’est toujours sympa de se lancer dans un nouveau projet. Cependant, les plus enthousiastes étaient ceux qui ont eux-mêmes une famille. Les jeunes préfèrent parfois rester sur une cuisine destinée à un public plus classique.
Quel est le plat qui marche le mieux?
Les amuses-bouches et l’entrée ont beaucoup de succès, mais également la perche entière pannée. Nous pensions que le fait que le poisson soit entier freinerait certains enfants, mais au final c’est le plat qui plaît le plus!
Quels sont les éléments indispensables pour un menu enfant?
Pour le visuel, il faut que ce soit beau et identifiable. Les goûts ne doivent pas être trop compliqués et il ne sert à rien de mettre des produits trop exotiques. L’idée n’est pas de braquer les enfants, mais que tout le monde ait du plaisir. C’est vraiment une priorité! Lorsque nous étions à Brent, j’avais fait des cœurs avec la purée de légumes pour une petite fille. Ça lui a beaucoup plut et elle a dit que c’était son restaurant préféré!
Comment avez-vous fixé le prix?
Nous avons tout d’abord fixé le prix par plat et nous avons additionné. Il faut qu’il soit en adéquation avec le travail en cuisine sans être exorbitant. Nous ne voulions pas qu’il dépasse 100 francs. Actuellement le menu complet coûte 90 francs pour six plats et les amuses-bouches. On peut aussi ne prendre qu’une partie du menu selon l’appétit et l’âge des enfants. Et nous pouvons toujours préparer un plat de pâtes au besoin. Le prix est un thème délicat. On oublie vite que la qualité a un coût.
Le plat de viande est une Tagliata de bœuf des Pléiades accompagnée de pommes de terre soufflées. Le visuel de chaque plat est travaillé en fonction de la clientèle cible.
Bilan de la visite Test et point de vue des parents
Partager une passion et des émotions avec nos enfants est toujours quelque chose d’extraordinaire. Le menu proposé par Stéphane Décotterd nous a permis de vivre ensemble une expérience culinaire gastronomique à leur hauteur.
Le menu complet était particulièrement adapté à notre fils de 9 ans, qui jouit d’un grand appétit et adore découvrir de nouvelles saveurs. Souvent déçu par les plats adultes trop complexes et frustré par les menus enfants pas assez copieux et sans surprises, il s’est laissé guider dans le voyage proposé par l’établissement étoilé avec beaucoup de plaisir. Notre fille de 6 ans, a, quant à elle, beaucoup apprécié le cadre, l’attention donnée au visuel et l’accueil de l’équipe en salle. Le menu complet était un peu trop copieux pour elle, mais le restaurant est flexible et propose d’adapter le nombre de plats, selon l’appétit des enfants.
Le fait que les plus jeunes bénéficient d’un nombre de plats similaire aux adultes est très appréciable. Cela crée des interactions autour du repas et rend l’expérience beaucoup plus conviviale. Les enfants sont plus calmes car ils sont en permanence surpris par de nouvelles saveurs et se sentent valorisés.
Finalement, le prix du menu enfant, qui varie selon le nombre de plats, est très raisonnable pour cette catégorie d’établissement. D’autant plus que les quantités sont adaptées aux plus gourmands, et que l’offre est disponible jusqu’à 14 ans. Un point important, sachant que les familles renoncent parfois à ce type de cuisine pour des questions de budget. Bref pour nous, le contrat est rempli et les futurs clients sont ferrés!
Isabelle Buesser-Waser
Le plat avec les grains de maïs sur lequel les pop-corn étaient posés peut aussi servir de jeu pour occuper les plus petits.
«Il y avait des petites fleurs dans les plats!»
Méloé (6 ans) et Sacha (9 ans) ont eu la chance de pouvoir tester le menu enfants de Stéphane Décotterd. Ils racontent leur expérience et ce qui leur a le plus plu.
Interview Isabelle Buesser-Waser
Aimes-tu aller au restaurant?
Sacha: Oui, ce que j’aime c’est manger des choses différentes de chez moi.
Méloé: Moi aussi, et c’est une sortie avec papa et maman!
Quel est ton plat préféré?
Méloé: Les crêpes
Sacha: Les lasagnes maison
Quel plat as-tu préféré à la Maison Décotterd?
Sacha: La Tagliata de bœuf des Pléiades. La sauce était délicieuse et la cuisson de la viande était parfaite!
Méloé: Le petit Tacos au saumon en apéritif! Et j’ai aussi beaucoup aimé les petites fleurs dans les plats!
As-tu aimé les légumes?
Méloé: J’ai bien aimé la soupe de petits pois. J’adore ça!
Sacha: Moi aussi, la soupe était bien meilleure que des petits pois normaux.
Qu’est-ce qui t’aide à rester calme lorsque tu manges au restaurant?
Sacha: J’écoute de la musique, ou je lis des mangas ou des BD.
Méloé: Aujourd’hui, j’ai pu m’amuser avec les grains de maïs de la décoration de l’un des apéritifs de notre menu! Et sinon, j’aime bien faire des coloriages et discuter avec mes parents.
Qu’est-ce que tu as pensé de la visite de la cuisine?
Méloé: J’ai adoré! Surtout goûter les petites herbes sauvages et j’ai été très impressionnée par le carrousel à vaisselle.
Sacha: J’ai trouvé génial! J’ai beaucoup aimé voir l’arrivage de poissons et je ne pensais pas que la cuisine serait si immense, c’est plus grand que notre appartement!
Est-ce que ça te donne envie de faire un métier en lien avec la cuisine?
Sacha: Pas forcément, j’aime surtout manger!
Méloé: Moi oui, j’aurais envie d’aller cueillir les herbes sauvages!