«Cuisiner sans gluten n’est pas compliqué: il suffit de travailler avec des aliments non transformés»

Caroline Goldschmid – 12 mai 2022
Les Editions Jobé-Truffer éditent mi-mai le premier guide du sans gluten en Suisse romande. Officiellement présenté les 13 et 14 mai lors d’une soirée de gala sans gluten et sans lactose, au château de Grandson (VD), l'ouvrage propose notamment une sélection d'artisans du goût qui «font des merveilles». Interview avec l'auteure du livre, Virginie Jobé-Truffer.

Pouvez-vous nous donner le contexte de l'idée de ce livre?
Virginie Jobé-Truffer: Je suis devenue sensible au gluten sans comprendre ce qui m’arrivait avec des symptômes assez lourds, dont de terribles insomnies. Cela a duré des mois. Alors que les médecins voulaient m’envoyer chez un psy, j’ai effectué des recherches pour découvrir, seule, que le gluten était peut-être la cause de mes problèmes. J’ai arrêté d’en ingérer d’un jour à l’autre et en quelques semaines, tous les symptômes ont disparu. Génial, sauf qu’en plus de devoir gérer les frustrations alimentaires, j’ai dû faire face à un autre problème: l’intolérance aux intolérants au gluten. Comme cette matière visqueuse s'immisce partout, je dois passer mon temps à demander la composition des plats aussi bien au restaurant qu’avec la famille ou les amis. Cela complique les relations sociales et je suis devenue la casse-pied de service. Pourtant, n’importe qui peut préparer un menu sans gluten sans grande difficulté. Il suffit de connaître quelques détails pratiques pour que manger tous ensemble ne soit pas un problème. C’est le message que j’ai voulu faire passer en écrivant ce livre, avec l’aide de professionnels, diététiciennes ou encore gastroentérologue. S’il existe une mode du sans gluten, il y a surtout de nombreuses personnes obligées de s’en priver, y compris des enfants. J’ai voulu leur donner un coup de pouce tout en expliquant à ceux qui ne sont pas concernés que cela n’est pas un choix, mais une nécessité difficile à vivre au quotidien quand on se retrouve continuellement devant des personnes qui ne vous prennent pas au sérieux.

Ce livre s’adresse-t-il aussi bien aux professionnels de la restauration qu'au grand public?
Il s’adresse à celles et ceux qui ont des problèmes avec le gluten, mais aussi aux personnes qui sont en contact avec des cœliaques, allergiques au blé et sensibles au gluten. Les professionnels de la restauration ont l’obligation de connaître les 14 allergènes qui figurent dans la loi (dont le gluten) et de répondre aux questions de leurs clients. Ils sont amendables s’ils ne respectent pas cela. Je l’ai appris en réalisant ce guide. Dans la pratique, je me suis rendu compte que nombreux sont ceux qui ont encore des lacunes dans ce domaine. C’est dommage, car ils perdent des clients par méconnaissance du sujet. De plus, ils risquent d’être dénoncés.

L'ouvrage contient-il des recettes et des conseils pratiques?
Il ne contient pas de recettes, mais l’éclairage d’experts, des conseils pratiques pour les personnes concernées et leur entourage, une liste de produits sans gluten et des coups de cœur, autrement dit des artisans du goût qui font des merveilles sans gluten. Un recueil de 24 recettes de boulangerie et de pâtisserie suisses sans gluten sortira cet automne en complément du guide. Il sera réalisé par une professionnelle de la cuisine sans gluten.

En tant que personne intolérante au gluten, comment jugez-vous l'offre de plats sans gluten dans les restaurants romands? Trouvez-vous facilement votre bonheur?
Il y a de tout. Mais après avoir testé des restaurants en France par exemple, je dois dire qu’on s’en sort plutôt bien en Suisse en général. J’ai toujours réussi à trouver au moins un plat qui tienne la route. De plus en plus d’établissements proposent du pain sans gluten sur demande. Les restaurants italiens sont souvent très attentifs au problème. Je dirais que ce qui manque le plus, ce sont les desserts élaborés. Avec certains, on peut s’arranger. Aux Boucaniers, à Montreux, on me prépare un hamburger délicieux si j’apporte mon propre pain.

Pouvez-vous nous donner deux ou trois exemples d'établissements où vous vous régalez en toute tranquillité?
Le Café du Commerce, à Grandson, où toute la carte est sans gluten et sans lactose, un vrai bonheur. Et la qualité des produits fait que ceux qui n’ont pas de problèmes y trouvent aussi leur compte. Un po’ di piu, à Lausanne, qui propose des pâtes fraîches (Liggs) sans gluten excellentes. La Cordillère, à Martigny, qui propose des plats péruviens et qui a toujours des alternatives sans gluten. Au Parc, à Montreux, un italien familial avec des pizzas sans gluten où les enfants sont très bien accueillis.

Les personnes souffrant d'allergies ou d'intolérances alimentaires sont toujours plus nombreuses ainsi que celles qui sont végétariennes voire véganes. Pour les restaurateurs, ces régimes alimentaires peuvent représenter une contrainte, car cela demande parfois de faire un plat à la minute, selon la demande du client. Comment peut-on les encourager à davantage développer une offre destinée à cette clientèle grandissante?
Quasiment tous les restaurants offrent aujourd’hui des options végétariennes et les plats véganes fleurissent un peu partout. Mais je les différencierais des plats sans gluten, car il s’agit de régimes et non pas d’intolérances ou d’allergies. Dans le cas du gluten, comme du lactose, on parle d’un problème médical. Je n’ai jamais vu un restaurateur s’énerver contre quelqu’un qui lui explique qu’il est allergique aux arachides. Pourquoi? Parce que cette personne risque un choc anaphylactique si elle en absorbe. L’huile d’arachide est très présente dans les cuisines et les chefs arrivent pourtant à trouver des solutions pour ces personnes-là. Alors pour quelle raison ils ne feraient pas de même pour d’autres intolérants, dont les symptômes sont certes moins spectaculaires, mais tout autant dangereux pour leur santé? Cuisiner sans gluten n’est pas compliqué: il suffit de travailler avec des aliments non transformés. Mettre un ou deux plats sans gluten sur une carte n’est donc pas très contraignant.

Heureusement pour eux, la gamme sans gluten vendue dans le commerce s'élargit elle aussi. Quels sont les quelques produits que tout restaurateur devrait avoir sous la main pour sa clientèle intolérante au gluten?
De la sauce soja sans gluten, du bouillon sans gluten, du pain sans gluten (souvent congelé, à réchauffer), des sauces et condiments sans gluten (moutarde, sauce liée, fonds de veau, etc.), des pâtes sans gluten et éventuellement deux friteuses dans les restaurants où l’on frit beaucoup, afin d’éviter les contaminations (une pour les frites et une autre pour les nuggets et autres produits panés ou farinés).

Parmi les messages de votre livre: «Qui a dit que la vie sans gluten n'avait aucune saveur?». Il s'agit donc, tant pour les cuisiniers que les consommateurs, d'explorer tous les champs du possible, sans préjugés et surtout sans se décourager?
Exactement. Il existe des solutions pour tout. Une farine de blé peut être remplacée par de la maïzena dans une sauce par exemple, sans que le goût en pâtisse. Qui aurait pu imaginer il y a quelques années que le quinoa ferait partie de notre alimentation helvétique? La curiosité affine le palais. Aller au restaurant permet de beaux moments de partage. Les restaurateurs peuvent contribuer à faire perdurer la convivialité en étoffant leur offre. Et on revient plus facilement dans un endroit où l'on est bien reçu, où l'on se sent à l’aise, en plus d’apprécier la nourriture.

 

«Le guide du sans gluten en Suisse romande» est vendu en librairie, dans les grandes surfaces ainsi que sur le site des Éditions Jobé-Truffer au prix de 29 CHF