Christophe Loeffel: «La passion, ça se construit»

Caroline Goldschmid – 12 décembre 2022
A 27 ans, le chef pâtissier du restaurant étoilé Maison Décotterd, à Glion Institut de Hautes Etudes, gère sa carrière comme un homme d’affaires. Christophe Loeffel consacre tout son temps à la pâtisserie et prend plaisir à partager son savoir.

Comment est née cette passion?
Christophe Loeffel: Nous allions beaucoup au restaurant en famille, avec mes parents et ma grand-mère. Il y avait notamment une boutique à côté de chez nous et une boulangerie juste en face. Petit, je m’amusais à chercher des beignets et des glaces dans les différentes boutiques. J’adorais cette liberté de pouvoir dépenser mon argent de poche pour ces douceurs. J’ai commencé à faire des gâteaux vers l’âge de 13 ans.

Vous avez effectué un apprentissage en restauration. Qu’est-ce que cela vous a appris?
Cette formation m’a apporté énormément de choses, comme développer le goût, la créativité. Cela m’a ouvert l’esprit et m’a appris à travailler les produits de manière plus créative, sans trop réfléchir, alors qu’en pâtisserie, tout est très réfléchi: on suit les recettes de A à Z. En pâtisserie, on a tendance à avoir des œillères, et aujourd’hui, je n’en ai plus.

Où trouvez-vous l’inspiration pour créer un dessert?
Plusieurs éléments entrent en ligne de compte, à commencer par les saisons. A La Maison Décotterd, nous renonçons aux fruits exotiques et donc, moi aussi, je travaille les produits de saison. Cela dit, il est difficile de renoncer à certaines associations classiques, comme la pomme et la cannelle. J’aime faire replonger dans les saveurs de l’enfance, et le beignet pomme-cannelle, servi tiède, figure actuellement à la carte. Nous travaillons aussi des spécialités romandes, comme le carac, la tarte au vin cuit ou le Bouchon vaudois, et nous essayons de les remanier de façon plus moderne.

Et vous devez vous calquer sur la cuisine du chef Stéphane Décotterd …
A force de travailler à ses côtés, je sais ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas. Parfois, je m’amuse à le titiller en lui proposant des choses qui sortent un peu du cadre (il sourit), mais c’est un jeu. Si notre collaboration se passe bien, c’est parce que cela fait longtemps que nous travaillons ensemble et que nous nous connaissons bien. Il est donc plus facile de créer dans ces conditions. En plus, nous sommes en phase: nous avons une vision commune qui implique une certaine simplicité.

Dans votre travail au quotidien, quelles sont les valeurs auxquelles vous tenez?
La régularité. Je pense que c’est le plus compliqué, par rapport à la créativité, par exemple, qui vient de plus en plus facilement avec les années. La régularité exige de l’attention et de la concentration. Comme autre valeur, je dirais la variété des textures et des températures, ce que j’apprécie énormément dans les desserts. Enfin, je m’attèle depuis plusieurs années à limiter la quantité de sucre utilisée dans mes recettes, notamment parce que le goût ne réside pas dans le sucre.

Les chefs pâtissiers manquent-ils de reconnaissance, selon vous?
Il est vrai que nous n’avons longtemps pas été sur un pied d’égalité avec les chefs de cuisine et il y a eu un manque de reconnaissance de notre métier. Aujourd’hui, cela s’équilibre et c’est normal, car chaque travail doit être reconnu à sa juste valeur.

Est-ce aussi pour cela que vous avez fondé le Club des Sucrés Suisse cet automne?
Ma première intention était de regrouper les pâtissiers professionnels de la région du bassin lémanique, car se retrouver entre passionnés, ça fait forcément du bien! Cela permet aussi de partager ses connaissances et de faire de belles découvertes.

Quel est le principe de ces rencontres entre chefs pâtissiers, dont la première a eu lieu le 19 septembre?
Chacun apporte un dessert qu’il a réalisé en s’inspirant du thème choisi, qui correspond à la saison. L’idée est de nous retrouver tous les trois ou quatre mois, durant une demi-journée. La prochaine rencontre aura lieu le 12 décembre, sous le thème de l’hiver. Nous serons dix et le club n’est formé que de gens véritablement passionnés qui travaillent dans la gastronomie de haut niveau. L’idée est de réunir les meilleurs.

Vous avez un site qui présente votre parcours et vos activités, un profil Instagram suivi par 68 000 followers et un profil Facebook. Attachez-vous de l’importance à votre image sur internet?
Construire un business implique une présence en ligne. J’ai donc créé mon site internet afin de pouvoir y vendre mes recettes et mes cours de pâtisserie. J’ai démarré mon activité sur Instagram en 2015 et la communauté a pris de l’ampleur grâce aux vidéos notamment. Pour moi, c’est un moyen de faire découvrir mon univers.

Il y a aussi une volonté de transmettre votre savoir, puisque vous donnez aussi des cours …
Certains publient beaucoup sur les réseaux pour montrer toute l’étendue de leur talent, sans pour autant vouloir partager leurs recettes. Moi, c’est autre chose: j’aime transmettre à celles et ceux qui ont vraiment envie d’apprendre la pâtisserie. J’aime offrir et partager.

Entre votre poste de chef pâtissier à La Maison Décotterd, les cours et masterclass que vous donnez, la gestion de votre site et des réseaux sociaux, comment parvenez-vous à tout faire?
Je prends le temps. Cela veut dire que tout mon temps libre ou presque est consacré à ma passion. En somme, j’ai deux emplois: celui de salarié à Glion et mon activité d’indépendant. Et si j’y arrive, c’est notamment grâce aux horaires variés mis en place à La Maison Décotterd. Il y a quelques années, je passais mon temps libre devant la console de jeux vidéo. Aujourd’hui, j’ai d’autres priorités. C’est un choix.

Face aux jeunes qui sont de moins en moins nombreux à opter pour l’hôtellerie-restauration, que leur diriez-vous sur les aspects positifs de votre métier pour les motiver à intégrer la branche?
Ce qui est très intéressant avec la pâtisserie, c’est que l’on peut créer quelque chose de ses mains, à base de produits bruts. On part de rien et on obtient un produit fini, ce qui pousse à être créatif. Et n’importe qui peut se lancer, car la passion ne vient pas forcément tout de suite, elle se construit. Malheureusement, dans la société actuelle, les jeunes se lassent vite et préfèrent passer à autre chose plutôt que de persévérer …