«Certains cuisiniers en font même de la glace»

Isabelle Buesser-Waser – 12 juillet 2023
Depuis peu, l’ail noir est sur toutes les lèvres. Bien plus doux et digeste que l’ail frais, ce produit séduit une clientèle à la recherche des dernières tendances culinaires, mais aussi les grands chefs, grâce à des arômes intenses et fruités. En 2018, Christophe Gatabin s’est mis à cultiver et à transformer ce légume afin de proposer une production 100% suisse de ce trésor gustatif venu d’Asie.

Alors qu’il dégustait du vin avec quelques amis, Christophe Gatabin est intrigué par l’odeur provenant d’un champ d’ail à proximité. «Ça me rappelait les vacances, le sud de la France. Ce parfum si particulier m’a fait voyager et m’a donné envie de produire de l’ail dans ma propre ferme à Lussery-Villars (VD)», raconte le jeune père de famille. De retour à la maison, il réfléchit à ce nouveau défi et se rend vite compte qu’une petite production d’ail frais ne serait pas rentable face aux gros producteurs.

«Je me suis donc intéressé à l’ail noir et j’ai réalisé qu’il n’y avait pas de production 100% suisse», explique le chef d’entreprise. Suite à ce constat, il cultive une petite parcelle avec ce liliacé, acquiert le matériel nécessaire et débute les essais pour trouver la bonne température et le processus idéal pour développer les saveurs de l’ail noir.

Petite histoire de l’ail noir

On pourrait croire que l’ail noir est un produit ancestral, pourtant c’est dans les années 2000, au Japon, qu’est né ce condiment. «Il apparaît sur la côte sud-est du Japon au début des années 2000. C’est là que sa technique de production semble avoir été finalisée: les têtes d’ail sont maturées de 15 à 20 jours dans un lieu clos à 60-80 °C, avec un taux d’humidité de 70 à 90 %», peut-on lire dans l’article «Le mystère de l’ail noir» publié dans Le Monde le 17 janvier 2014. Les saveurs prometteuses de ce nouveau produit ainsi que ses propriétés médicinales en ont rapidement fait un incontournable des cuisines du monde entier.

De la récolte au produit fini

En 2018, bien que certains cuisiniers transformassent déjà l’ail acheté aux producteurs pour leur propre utilisation, Christophe Gatabin est un pionnier dans la production d’ail noir en Suisse. En effet, le condiment envoyé par la poste aux restaurateurs est entièrement produit dans sa ferme, le Domaine du Verger, à Lussery-Villars.

De la semaison, en automne, à la distribution au client, le jeune agriculteur s’occupe de toutes les étapes de la production. La variété qu’il cultive, l’ail d’automne, demande peu d’entretien jusqu’à la récolte, qui a lieu à la fin du mois de juin. «On peut faire de l’ail noir avec toutes sorte de variétés. Cela peut être très intéressant et permettre de développer des saveurs différentes. Pour ma part, j’ai choisi l’ail d’automne, car c’est celui qui convient le mieux au sol argileux que j’ai à disposition», explique le spécialiste. Après la récolte, le liliacé est séché pendant un mois, puis conservé dans une chambre froide afin d’éviter qu’il germe. «J’ai opté pour cette méthode car je ne veux pas utiliser de produits chimiques qui inhibent la germination, comme le font certains de mes concurrents à l’étranger.»

Vient ensuite la dernière étape, celle qui permet de changer l’ail en ail noir. «Il s’agit d’une transformation enzymatique des sucres et des acides aminés», explique Christophe Gatabin. Pour que cette transformation opère, il place les têtes dans des étuves pendant un mois, à une température qui monte progressivement de 45° à 80°. Sous l’effet de la chaleur et de l’humidité, les gousses deviennent brun-noir et développent d’abord du sucre à basse température, puis des arômes plus la chaleur augmente.

Le produit final est ensuite emballé et envoyé par la poste dans toute la Suisse aux restaurateurs. «L’ail noir est stable, même si c’est un produit vivant comme le vin, il ne bouge plus en termes de bactéries. C’est donc très facile de l’emballer et de l’envoyer dans un carton. Cependant, si on le conserve trop longtemps, il peut se déshydrater. D’après moi, le meilleur moment pour le consommer est dans les trois premières semaines», précise l’agriculteur qui fournit plusieurs grandes tables de Romandie comme l’Hôtel de Ville de Crissier, la Maison Décotterd à Glion, le Cigalon à Genève ou encore la Table de Mary à Yverdon. «Ce qui est génial lorqu’on a un contact direct avec les établissements, c’est qu’ils nous racontent ce qu’ils ont créé avec notre produit, les associations qui fonctionnent et comment les saveurs de l’ail noir s’intègrent dans leur menu.»

Des saveurs douces et fruitées

Il est difficile de définir le goût de l’ail noir. Grâce à la réaction de Maillard (brunissement de sucres en présence d’acides aminés), les gousses perdent le goût fort et agressif de l’ail blanc. Elles deviennent beaucoup plus sucrées et développent des arômes de fruits confits, proches du vinaigre balsamique ou de la réglisse selon certaines personnes.

«Les chefs avec qui je travaille l’utilisent dans de nombreuses recettes. Frais, l’ail noir prend souvent la forme d’un assaisonnement après la cuisson de la viande, mais il peut aussi se retrouver dans les desserts. Certains en font même de la glace», s’enthousiasme le producteur. Ce dernier transforme aussi son ail noir en une pâte, qu’il obtient en mélangeant les gousses avec de l’huile de colza, également produite au Domaine du Verger. «Ma pâte d’ail noir est particulièrement prisée par les restaurateurs. Ils l’utilisent pour toutes sortes de sauces et de marinades.»

Des propriétés thérapeutiques

En plus de son goût particulier qualifié de «cinquième saveur», bien connue au Japon: ni sucré, ni salé, ni amer, ni acide, l’ail noir recèle également de nombreuses vertus thérapeutiques. «Il est notamment utilisé en complément pour combattre certains cancers et renforcer le système immunitaire», raconte le jeune entrepreneur qui a été approché par plusieurs laboratoires pharmaceutique souhaitant faire des capsules de complément alimentaire à base d’ail noir suisse. Il s’agit donc d’un «alicament» particulièrement approprié pour tous les établissements qui mettent l’accent sur l’équilibre et la santé!