Cédric Bourassin: «Ma priorité, ce sont les étudiants»

Interview: Caroline Goldschmid – 07 avril 2023
A l’EHL Hospitality Business School, le Bourguignon Cédric Bourassin (42 ans) est le chef du Berceau des Sens, restaurant d’application étoilé depuis quatre ans. Ce maître d’enseignement adore transmettre son savoir et envisage de quitter un jour les cuisines pour enseigner au niveau académique.

Vous êtes arrivé à l’EHL le 6 juin 2016, après avoir vécu près de cinq ans au Japon, où vous avez dirigé le restaurant de Michel Bras, à Toya ...
Cédric Bourassin: On m’a proposé le poste de chef de cuisine au restaurant Le Berceau des Sens, en vue de remplacer Dominique Toulousy qui partait à la retraite. J’ai suivi une formation afin de devenir «lecturer», soit maître d’enseignement, que je suis depuis 2017. Au sein d’une école hôtelière, cela fait sens d’être à la fois chef de cuisine et enseignant.

Encore à ce jour, Le Berceau des Sens est le seul restaurant d’application de Suisse à afficher une étoile Michelin ...
Oui, et je dirais même que c’est le seul au monde, puisque seul l’Institut Paul Bocuse, à Ecully (F), a une étoile, mais c’est une «culinary school», alors que nous sommes une «business school». Les étoiles Michelin, c’est génial, mais ma priorité, ce sont les étudiants. Je n’oublie pas que nous sommes dans un restaurant d’application.

Quel regard portez-vous sur cette course aux étoiles?
Il y a eu une belle surprise le jour où nous l’avons décrochée, car c’était une première pour l’EHL. L’étoile est une belle reconnaissance pour les étudiants et une visibilité pour l’école. Il est clair que c’est une distinction importante, mais la priorité restera toujours l’enseignement aux étudiants. Tout ce que nous avons implémenté en termes d’organisation et de pédagogie a amené de la régularité et de la créativité. Le plus difficile, ce n’est pas de briller, mais de s’inscrire dans la durée. Et quatre années consécutives avec une étoile, alors que les étudiants changent de poste tous les jours et ne sont pas les mêmes entre les services de midi et du soir, c’est ce qui me motive au quotidien. J’ai quand même vu passer plus de 3000 étudiants dans les cuisines depuis mon arrivée!

Quelles sont vos valeurs en cuisine?
Je change environ toutes les deux semaines un ou plusieurs plats à la carte, je respecte la saisonnalité des produits. Par exemple, j’attends toujours l’arrivée des asperges du Valais et je ne prendrai pas d’asperges d’un autre pays. De manière générale, je privilégie les produits locaux, comme le safran du Jorat, qui est cultivé à quelques kilomètres du campus par Jean-Daniel Cavin (GJ 45/46, 2022). Pour la petite anecdote: c’est moi qui l’ai fait travailler en premier et j’ai ensuite appelé Franck Giovannini, chef de l’Hôtel de Ville de Crissier, pour lui vanter les mérites de ce safran et je suis ravi qu’il l’utilise encore aujourd’hui. La viande et les volailles que nous utilisons sont autant que possible d’origine suisse, de même pour les poissons, dont la plupart proviennent du lac Léman. J’ai à cœur de mettre les produits suisses à l’honneur sur notre carte et cela autant que possible. C’est notre responsabilité, à nous cuisiniers, de faire travailler les producteurs locaux et de sublimer les produits du terroir local. Nous avons aussi un jardin potager sur le campus, où poussent notamment des tagètes et de l’oseille sanguine.

Tentez-vous de transmettre le côté locavore et l’art de la cueillette aux étudiants?
Nous voulons en effet sensibiliser les jeunes générations à ces démarches durables et nous avons le projet d’emmener nos étudiants d’année préparatoire faire la cueillette le matin et les sensibiliser aux produits végétaux, qui sont essentiels dans ma cuisine. Ce projet de cueillette devrait se concrétiser d’ici à la rentrée de septembre.

Les notions de durabilité, d’écologie ou encore de lutte contre le gaspillage alimentaire vous tiennent-elles à cœur?
Bien sûr! Nous récupérons par exemple les épluchures d’orange pour en faire des oranges confites en dessert et nous donnons notre pain rassis à une brasserie artisanale de la région pour leur production de bière ainsi qu’à un centre équestre au Chalet-à-Gobet. Aussi, la start-up Kitro, fondée par deux anciennes de l’EHL, a analysé les déchets de tous les points de restauration du campus de Lausanne pendant six mois et la démarche est pertinente, car elle sensibilise les étudiants et les collaborateurs au gaspillage alimentaire et nous amène à réfléchir ensemble à des solutions.

Vous êtes formateur et chef de cuisine: cette situation particulière vous fait-elle bénéficier de certains avantages?
Je n’avais jamais vu une cuisine pareille! En termes d’équipements, de produits ou encore de fournisseurs, j’ai carte blanche! Il est vrai que les avantages structurels, ça aide, mais il faut toujours viser l’excellence. D’ailleurs, les récompenses attribuées par les guides génèrent une curiosité et des attentes encore plus élevées. Notre restaurant est complet midi et soir deux mois à l’avance. En réalité, c’est une salle de classe ouverte 40 semaines dans l’année, du lundi midi au vendredi soir.

Après sept ans à l’EHL, êtes-vous toujours autant passionné par la transmission de vos connaissances?
Oui, car on ne s’ennuie jamais. L’EHL est un microcosme dans lequel se côtoient des étudiants de 125 nationalités et des professionnels de talent. Chaque semaine, des nouveaux étudiants arrivent en cuisine et amènent une énergie nouvelle, des attentes, des questions, etc. Ainsi, moi aussi j’apprends à leurs côtés, ce qui est très épanouissant et complètement unique. J’ai récemment obtenu un MBA in Hospitality, après deux ans d’études, ce qui va me permettre d’enseigner à terme en section Bachelor, voire en section Master. J’ai envie d’explorer le monde académique et il y a des possibilités d’évolution de carrière pour moi au sein de l’EHL. Un jour, je sortirai du restaurant pour amener la théorie en salle de classe. Mais je n’oublierai jamais mon métier de cœur.