De la graine à l’assiette, il n’y a que quelques pas

Isabelle Buesser-Waser – 05 avril 2023
Raphaël Gétaz cultive des fruits et légumes dans les Jardins de ­Chivrageon depuis 2017. Cette année, cet enfant du pays de Vaud, ­cuisinier de formation, a ouvert sa table d’hôtes. Une expérience ­gastronomique en cinq actes, composée essentiellement de ses propres produits.

La Table de Chivrageon, se trouve sur le domaine des Jardins du même nom, au milieu des vignes sur les hauteurs d’Aubonne (VD). La demeure qui abrite cette adresse particulière surplombe le lac Léman, offrant une vue imprenable sur les Alpes et le Mont Blanc. Ce cadre spectaculaire a accueilli ses premiers convives le 5 mars 2023 pour une soirée gastronomique en cinq actes. «Nous proposons une table d’hôtes tous les vendredis soirs», raconte Raphaël Gétaz, à la tête du projet. «Pour l’instant, nous avons affiché complet toutes les semaines.» Au menu: cinq plats, principalement composés avec les légumes du jardin qui se trouve à quelques pas.

Trouver sa voie
Avant de devenir maraîcher, Raphaël Gétaz était cuisinier. La passion des produits et de la gastronomie l’habitait depuis l’enfance, mais au moment de choisir entre l’apprentissage et le gymnase, ses parents lui ont conseillé de faire des études supérieures. Raphaël a donc obtenu sa maturité, puis il est parti à Lyon, afin de réaliser un Bachelor en Management international des Arts culinaires à l’Institut Paul Bocuse. De là, il a commencé sa carrière de cuisinier et s’est retrouvé chez le chef 3 étoiles, Alain Passard. C’est au sein de l’Arpège qu’il développera son amour pour le légume et sa culture. «Cette expérience m’a permis de découvrir une cuisine qui évolue au fil des saisons, du climat et des livraisons, une cuisine qui valorise la fraîcheur des produits et la nature. Toutefois, à Paris, dans la haute gastronomie, je me suis senti déconnecté de la réalité. C’est un milieu sophistiqué, réservé à une élite», raconte le jeune entrepreneur.
Il décide donc de revenir en Suisse, à quelque chose de plus simple et prend un poste de second de cuisine en Valais. «J’ai toujours aimé la montagne», confie-t-il. Mais cette fois-ci, ce sont les pratiques d’une restauration dont les budgets serrés poussent à suivre les actions des grossistes plutôt que les caprices de la nature qui le déçoivent.
C’est à cette période qu’il découvre que la maison familiale située sur les hauteurs d’Aubonne possède également un terrain, sur lequel il pourrait lancer sa propre production de légumes, selon ses valeurs.

Une démarche cohérente
Le projet est lancé en 2017. Autodidacte, Raphaël se renseigne, observe et s’améliore. Libre des contraintes et des habitudes de l’agriculture traditionnelle, il doit faire face à certaines difficultés mais peut aussi innover. Le jeune maraîcher commence directement avec 250 variétés de légumes certifiés biologiques. Puis se rapproche de la biodynamie, suit une formation et souhaite développer une vision holistique pour toute sa ferme. Au départ, il fournit surtout des restaurateurs, attentifs à la qualité de leurs produits. Mais le Covid pointe le bout de son nez et une grande part de l’écoulement de sa production est compromise. Il propose alors des paniers pour les particuliers et tout s’enchaîne très vite. La demande explose. A la fin de la pandémie, la tendance s’inverse, mais le maraîcher peut compter sur des clients fidèles et quelques restaurateurs de la région.
Ce nouveau projet se porte bien, et satisfait le Vaudois par son aspect éthique, proche de la nature et exempt de superficialité. Cependant le passionné de cuisine ne s’est jamais complètement détaché des fourneaux. Après le lancement des Jardins de Chivrageon, il travaille aussi parfois comme traiteur, et, en 2020, il organise un premier brunch dans les champs. Cette initiative lui permet de donner plus d’importance à la cuisine dans son projet et de travailler avec sa propre production.

L’aboutissement: retour en cuisine
C’est pendant la pandémie qu’un nouvel axe prend forme. Le jeune homme de 28 ans trouve un local où il peut installer une cuisine de production et préparer en amont les plats proposés lors des brunchs ou des tables d’hôtes ponctuelles dans les champs. Pour éviter les déchets, et développer son approche la plus durable possible, le jeune entrepreneur produit également des conserves avec les légumes abîmés. Et pour sa clientèle, il propose des cours sur la fermentation et le maraîchage.
Alors que l’axe gastronomique se renforce, une nouvelle opportunité s’offre à Raphaël Gétaz: le locataire de la deuxième partie de la maison déménage. C’est l’occasion d’aller plus loin, et de proposer une offre de restauration de manière plus régulière, indépendante des saisons et de la météo. La Table de Chivrageon voit donc le jour, avec une table d’hôtes tous les vendredis soirs et un brunch deux dimanches par mois. «Je n’ai pas l’intention de gérer un restaurant ouvert tous les jours et revivre le rythme que j’avais à Paris. J’aspire à un équilibre de vie sain pour pouvoir donner de l’énergie dans chaque élément de mon projet – de la graine à l’assiette.» Soutenu par un cuisinier à 40% et une extra pour le service, le passionné de légumes propose une cuisine végétarienne, principalement composée de sa propre production. «J’ai choisi de ne plus cuisiner de viande pour plusieurs raisons, environnementales et éthiques, mais aussi car je n’en produis pas. Cela me paraissait cohérent de me concentrer sur ce qui pousse ici. Par ailleurs, je crée également mes propres vinaigres, les sauces miso ou soja et les condiments, souvent issus de la fermentation. L’objectif est de faire découvrir à la clientèle mon univers.»
Toutefois, Raphaël Gétaz ne fait pas pousser de céréales ni de patates. Il se fournit donc chez d’autres agriculteurs, toujours bio, à 50 kilomètres maximum. «Les seules exceptions à cette règle sont le café et le vin», ajoute le Vaudois. «Pour le café, il n’existe pas de production locale, j’en ai donc à disposition pour les clients qui en demanderaient, mais je ne le propose pas spontanément. Nous essayons de rediriger les convives vers des tisanes maison.» Quant au vin, il s’agit d’un point que Raphaël Gétaz doit encore améliorer. «Je ne m’y connais pas assez, mais je souhaite m’entourer des bonnes personnes afin de développer une offre exclusivement locale.»

 

Une approche holistique de la gastronomie

La Table de Chivrageon propose un menu unique en cinq actes. Une façon d’offrir une expérience gastronomique globale, de la graine à l’assiette, en harmonie avec la nature environnante. 

• Chaque acte est une proposition thématique sous forme de plat. Du tableau de saison en introduction aux vœux qui accompagnent les mignardises, en passant par la convivialité, le plat central et les douceurs. Il s’agit d’un voyage gustatif et philosophique. 

• Afin de préserver l’authenticité des goûts, chaque légume n’est assaisonné que par un seul un condiment fait maison. 

• Une grande partie des boissons proposées sont produites sur place.

• Pour remplacer le sucre dans les desserts, la gourmandise est apportée par des jus ou des réductions maison.