Elena Deglaire: «Je suis Madame Nature»

Caroline Goldschmid – 25 novembre 2022
Elena Deglaire a gravi les échelons depuis son arrivée en 2019 à La Maison Wenger, au Noirmont (JU). Aujourd’hui, la trentenaire est la seconde du chef Jérémy Desbraux. Elle nous parle de son métier, de transmission et de ce qui l’anime.

Pourquoi avoir quitté la Belgique pour la Suisse?
Elena Deglaire: J’avais envie d’explorer, de faire mes armes à l’étranger, visant la gastronomie. Il se trouve que mon frère est horloger en Suisse depuis une douzaine d’années. Aujourd’hui, il vit aux Prailats, dans le Jura. Je suis la marraine de son petit garçon et j’avais envie de me rapprocher d’eux. J’ai donc postulé auprès du restaurant étoilé le plus près, La Maison Wenger.

Vous avez été engagée en avril 2019. Quel a été votre parcours au sein de ce restaurant doublement étoilé?
J’ai commencé en bas de l’échelle, au garde-manger, pour les entrées froides et mises en bouche. Puis je suis passée aux poissons, où j’ai énormément appris, notamment parce que j’étais seule à ce poste. J’ai ensuite été commise à la viande. Là j’ai découvert la chasse, ce qui était tout nouveau pour moi! En Belgique, on fait peu de chasse, c’est loin d’être une tradition culinaire. Après, j’ai été cheffe de partie aux entrées chaudes et responsable des accompagnements du repas du personnel. J’ai été nommée seconde en février 2022. C’est un poste qui demande de l’expérience et beaucoup de travail.

Il y avait donc une envie de votre part de gravir les échelons et, au vu de vos compétences, le chef Jérémy Desbraux vous a accordé sa confiance ...
Tout à fait. Au niveau de l’apprentissage du métier, sous-cheffe est probablement le plus beau poste. Pour moi, c’est un accomplissement. J’ai toujours rêvé de travailler à La Maison Wenger, car je savais que j’allais énormément y apprendre.

La transmission du savoir fait-elle partie de vos tâches?
Oui. Suite à la pandémie, une bonne partie de l’équipe de départ est partie, et il a fallu transmettre l’esprit de la maison aux nouveaux venus. Je dois également inspecter les plats au passe et m’assurer que toutes les assiettes qui partent soient nickel: c’est mon rôle si le chef n’est pas là. Mais il faut dire que le chef est toujours présent et n’a jamais loupé un service.

Que vous a-t-il appris?
Il m’a appris toutes les bases. En sortant du Restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier, son niveau de cuisine est très élevé. Il m’a tout montré, au poisson notamment. J’ai eu une chance énorme d’avoir été formée par lui. Et quand c’est à moi de former, je sais que je le ferai bien, car je tiens mes connaissances du chef Desbraux.

Vous avez donc beaucoup de responsabilités et gérez de nombreuses tâches, tant techniques qu’au niveau de la gestion de l’équipe. Vous êtes aussi l’autorité quand Jérémy Desbraux n’est pas là ...
Deux fois par jour, le chef descend au local boulangerie pour faire le pain, c’est donc à moi de faire régner la discipline au sein de l’équipe.

En dehors des deux pâtissières, vous êtes la seule femme au sein de la brigade de cuisine. Comment ça se passe pour vous?
A La Maison Wenger, je ne me suis jamais sentie inférieure, ni jugée. Le chef et tous mes collègues me considèrent comme leur égale. En Belgique, j’ai connu des situations très compliquées, voire des comportements misogynes. Ici, c’est tout le contraire. En tant que seconde, j’essaie de communiquer un maximum quand je dois exprimer une critique à un cuisinier. Le chef Jérémy Desbraux règle les problèmes tout de suite, en prenant la personne à part et se montre toujours respectueux et ouvert. L’équipe actuelle est soudée et l’ambiance est excellente. Il n’y a pas d’esprit de compétition et on ne se marche pas dessus. J’apprécie que nous ayons tous la même mentalité, à savoir: il faut taper dedans!

Qu’est-ce qui vous plaît le plus?
J’ai commencé à m’intéresser à la nature qui nous entoure. Et ce que je vais cueillir se retrouve à la carte du restaurant. Nos menus contiennent de nombreuses plantes aromatiques. Rechercher le produit ultralocal, cela me plaît de plus en plus. Travailler des plantes que j’ai moi-même cueillies à quelques pas du restaurant, en forêt ou dans notre jardin, c’est un vrai plaisir! Je cueille des fleurs, mais aussi de l’ail des ours, de l’oxalis, de l’aspérule ou encore de la reine-des-prés. J’adore être dans la nature, puis imaginer un plat avec ce que j’ai trouvé!

A La Maison Wenger, le terroir atterrit donc directement dans l’assiette ...
Oui et je trouve qu’il y a eu une belle évolution dans notre cuisine. Nous avons beaucoup réfléchi et aujourd’hui, tout a un sens. Les plats sont plus épurés, on va droit au but, vers l’essentiel, vers le produit en somme. En nous limitant à deux ou trois goûts par plat. Quand il découvre l’assiette, le client sait ce qu’il va manger.

Est-ce qu’on peut dire que les herbes, les plantes et les fleurs sont devenues votre spécialité?
Oui, on peut dire ça. Je suis madame Nature, en quelque sorte! (Elle rit.)

Regardez-vous ce que font les autres?
Oui, bien sûr, c’est important. Mais je pense que les clients s’attendent à déguster des produits qui viennent du Jura. Au début, on travaillait avec les poissons de la mer et maintenant seulement avec la pisciculture de Soubey. Nous sommes en train de vider les mers, donc il s’agit aussi de penser à l’écologie ...

Avez-vous des projets sur le plan privé?
J’ai toujours pris la vie comme elle venait et je suis heureuse en tant que seconde, mais je dois aussi me rendre à l’évidence: j’ai 30 ans et j’ai également le souhait de fonder une famille. Je ne sais pas encore comment parvenir à concrétiser les deux projets, à savoir la carrière et la vie de famille ... Pour l’instant, comme je suis célibataire, ce poste me convient parfaitement.