Comment s’est déroulée l’inauguration du Swiss Chocolate Hotel?
Eric Fassbind: Nous l’avons inauguré le 2 août, simplement en accueillant les premiers clients, sans organiser d’évènement spécial. Nous vivons une période particulière, avec des hôtels qui tournent au ralenti et fêter l’ouverture en grande pompe ne me semblait pas une bonne idée. Ajoutez à cela la ville désertée durant les vacances scolaires, les normes de distanciation sociale et le fait que cet hôtel n’a pas de restaurant: une grande fête ne s’y prêtait pas.
D’autant que cet hôtel faisait déjà partie de la chaîne By Fassbind …
Tout à fait. Il s’agit du troisième établissement zurichois que nous avons racheté en 2015, l’Hôtel du Théâtre. Nous avons commencé l’aventure zurichoise en 2011, avec l’achat de l’hôtel Senator, devenu l’hôtel Züri. En 2014, nous avons repris l’hôtel Claridge, devenu Swiss Night. L’Hôtel du Théâtre était le seul sur lequel je n’avais pas encore mis «ma patte». Il était usé et il y avait des problèmes d’isolation phonique, donc nous l’avons entièrement rénové pour un coût qui se situe entre 4 et 6 millions de francs, et il compte désormais 56 chambres, contre 50 auparavant. Il s’agissait de lui donner une nouvelle identité et changer le nom me semblait nécessaire, aussi parce qu’un restaurant à Zurich porte le nom Du Théâtre et cela portait à confusion.
Avez-vous rencontré des difficultés face aux normes de construction?
Les normes et procédures en place aujourd’hui sont dénuées de tout bon sens. Par exemple, dans un des hôtels que nous sommes en train de transformer à Lausanne, les voies d’évacuation en cas d’incendie qui avaient été acceptées en 2018 ne le sont plus aujourd’hui et on ne nous explique pas pourquoi. C’est au bon vouloir de l’organe de contrôle, en somme! On entend souvent que construire en Suisse est devenu difficile et lorsqu’un indépendant veut ouvrir un restaurant ou un hôtel et se heurte à de telles normes, cela peut décourager, et je comprends que souvent seuls les grands groupes parviennent à le faire. C’est dommage, car d’un côté on encourage l’entrepreneuriat local et d’un autre on nous impose des normes sanitaires ou de construction qui s’avèrent ubuesques. Lorsqu’il faudra mandater un avocat pour demander un permis de construire, ce sera la fin de l’entrepreneuriat!
L’ouverture du Swiss Chocolate Hotel vous a d’abord été refusée pour une histoire de cartons qui trainaient dans le lobby…
Des cartons qu’un camion venait ramasser quelques heures plus tard! Heureusement, j’ai finalement trouvé quelqu’un à Zurich qui s’est montré à l’écoute et qui m’a permis d’ouvrir la partie restauration du petit-déjeuner. Lors de la visite du service de l’hygiène, si tout n'est pas en ordre, l’ouverture est refusée et on nous propose un nouveau rendez-vous dix jours plus tard, alors que les adaptations demandées sont minimes … J’ai principalement rencontré des problèmes dans le cadre de la rénovation de l’hôtel Lausanne, dont la réouverture sous le nom de Swiss Chocolate Lausanne était prévue cette année, mais interviendra en 2022. Les obstacles rencontrés ont fait que j’ai d’abord ouvert celui de Zurich, ville dans laquelle les intermédiaires se sont montrés nettement plus conciliants.
Pourtant, en cette période de crise, on pourrait attendre des autorités et des organes de contrôle qu’ils se montrent plus flexibles afin de faciliter l’ouverture de nouveaux établissements …
Non seulement ce n’est pas le cas, mais il y a aussi de grandes inégalités entre ce qui est obligatoire pour les hôtels et les normes imposées aux bâtiments locatifs. J’en veux pour exemple l’Ordonnance sur les installations électriques, qui prévoit qu’une maison d’habitation doit être vérifiée tous les vingt ans environ. Mais pour un hôtel, ces contrôles doivent être effectués tous les cinq ans! Et pour ce faire, il faut mandater un expert, à la charge de l’hôtelier bien sûr. Pour un hôtel comme l’Alpha Palmiers, cela coûte 20'000 francs. Et quelle est la probabilité que les clients qui dorment une nuit dans une chambre bidouillent une prise électrique? Alors que l’on reste parfois des années dans un appartement… C’est un non-sens! Il est grand temps que les organisations faîtières comme GastroSuisse prennent un rôle majeur lors de consultations de nouvelles lois ou nouvelles normes pour éviter d'augmenter les coûts pour les restaurateurs et hôteliers.
Revenons au Zurich Swiss Chocolate. Comment le thème du chocolat y est-il représenté?
Chacun de mes hôtels raconte une histoire. Le Swiss Wine celle des vins suisses, le Swiss Night rappelle cette image d’Epinal du «Swissness» et le Swiss Chocolate raconte l’histoire du chocolat suisse, en partant des pionniers qu’ont été Cailler, Lindt, Sprüngli et Tobler. Le fil rouge, c’est la «Gutenachtgeschichte», soit l’histoire du soir comptée aux enfants pour les aider à s’endormir. Les thèmes sont à prendre au deuxième degré, comme une douce plaisanterie visant à amuser la clientèle. La vocation première de By Fassbind vise à accueillir ses clients dans des hôtels au décor inspiré et original, à un prix défiant toute concurrence, ainsi qu’à leur offrir un excellent sommeil et un réveil plein d’énergie.
Quelle est la clientèle ciblée par le Zurich Swiss Chocolate?
Des voyageurs qui cherchent un hôtel sympa à un prix abordable et qui leur laissera un souvenir positif. La segmentation de la clientèle, c’est de la théorie. Dans les faits, tout peut changer du jour au lendemain et la pandémie nous l’a bien montré. Jusqu’à début 2020, on accueillait énormément de touristes étrangers, notamment des voyageurs d’affaires. Aujourd’hui, la majorité de nos clients sont suisses.
Quel est le taux d'occupation des hôtels By Fassbind en ce moment?
De début juin à mi-juillet, il se situait entre 50 et 80%. De manière générale, nos établissements zurichois se remplissent plus difficilement que ceux de Lausanne. En août, sans les autocars remplis de touristes, le taux d’occupation est de 20 à 30% pour nos hôtels de Zurich et peut aller jusqu’à 70% pour ceux de Lausanne.
Le Zurich Swiss Chocolate a-t-il fait un bon démarrage?
Bien au-dessus de mes attentes: il est dans les chiffres noirs dès son premier mois d’ouverture. La première nuit nous avions 16 chambres occupées sur 56, bien que je n’aie mis les chambres en vente que deux jours avant l’ouverture. Du jamais vu. J’espère que ça va continuer comme ça!
Dans certains cas, l'hôtel Züri propose un tarif autour d’une centaine de francs la nuit. Pouvez-vous encore gagner de l'argent de cette manière?
Cela dépend du nombre de chambres vendues. Le prix moyen n’est rien s’il n’est pas mis en relation avec le taux d’occupation. Ces deux indicateurs forment le RevPar (n.d.l.r: Revenue Per Available Room, qui se calcule en multipliant le taux journalier moyen par le taux d'occupation.). En ce moment, mes hôtels sont bénéficiaires à partir d’un RevPar de 28 francs, soit un tarif de 100 francs par chambre avec un taux d’occupation de 28%. Le Züri by Fassbind est bien en-dessus de ces paramètres et est donc largement bénéficiaire. Il est situé dans le Kreis 5, dans un quartier où il y a beaucoup d’entreprises et de startups et qui n’est pas un quartier touristique. Certains hôtels du coin affichent un tarif de 80 francs la nuit, donc 100 francs n’est pas un tarif autrement bas.
N’y a-t-il pas trop de chambres d’hôtel à Zurich?
Oui, mais ce sont les hôteliers qui en sont partiellement coupables. Les présidents d’hôtellerie zurichoise et directeurs de Zurich Tourisme affirmaient haut et clair, à qui voulait l’entendre, jusque dans les années 2016, que Zurich n’offrait pas assez de chambres. L’appel a été entendu par les investisseurs: moult projets ont vu le jour depuis, à l’image de l’Europaallee et The Circle. Ce sont les mêmes experts qui aujourd'hui se plaignent que la destination est à présent saturée… C’est ce qu’on appelle «l’arroseur arrosé». Entre les milliers de chambres qui vont encore voir le jour et le tourisme d’affaires qui est au point mort, je crains que des années très difficiles nous attendent. En ce qui concerne mon groupe, les hôtels de Lausanne financent ceux de Zurich.
L’expansion de l’empire By Fassbind est-elle à présent terminée?
Tout d’abord, ce n’est pas un empire, mais une chaîne gérée par son propriétaire, sans financement externe, en faisant un pas après l’autre, sans prise de risque. Ensuite, la réponse est non. Je vais profiter de taux d’occupation bas et des capacités vides pour finir la rénovation des hôtels qui en ont besoin. En l’occurrence, des travaux sont en cours à l’Alpha Palmiers – et un restaurant italien remplacera la brasserie dès septembre –, et l’actuel Lausanne by Fassbind renaîtra sous le nom de Lausanne Swiss Chocolate en 2022. Nous venons de recevoir le permis de construire et les travaux devraient débuter à la fin de l’année. Aussi, je reste à la recherche de nouveaux projets à Lausanne, mais également à Bâle, Berne ou Genève. Mes liquidités me permettent d’acheter rapidement un hôtel qui correspond à mes critères. J'analyse toutes les propositions avec sérieux. Aujourd’hui By Fassbind compte sept hôtels, contre trois quand j’ai repris il y a dix ans. J’espère trouver encore un ou deux hôtels à acquérir avant de passer la main.
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Deux frères, deux groupes hôteliers
Après le décès du père d’Eric et de Marc Fassbind, survenu en 2010, les deux frères ont décidé de séparer le groupe en deux. Marc allait gérer les établissements de Berne et Genève, Eric ceux de Lausanne (à l’époque ceux de Zurich n’existaient pas encore). «C’était notre volonté à tous les deux, afin que chacun puisse être dans son élément. Mais nous nous entendons très bien et sommes régulièrement en contact.» Les deux sociétés ont donc des noms et des sites web différents: Marc gère avec son épouse Claudia le groupe Fassbind Hotels, présent à Genève et Berne (fassbindhotels.ch), Eric gère le groupe byFassbind, présent à Lausanne et Zurich (byfassbind.com).