«L’âme de l’établissement doit être préservée»

Reto E. Wild – 19 août 2021
Selon Gastroconsult, 25'000 entreprises suisses sont confrontées chaque année à un changement de génération. Walter Höhener, de l’hôtel Krone à Urnäsch (AR), a planifié la succession longtemps à l’avance. Récit d’une réussite.

Traduction: Caroline Goldschmid

Walter Höhener (65 ans) a dirigé durant près de 34 ans l’hôtel-restaurant Krone, situé au centre d’Urnäsch (AR). Celui qui a longtemps été le trésorier de GastroSuisse s’est mis à la recherche d’un successeur il y a quatre ans déjà. «Je voulais que le Krone reste un hôtel et un restaurant et j’ai d’abord demandé à mes fils s’ils souhaitaient reprendre l’affaire», explique-t-il. Les réflexions au sein de la famille ont duré deux ans pour se terminer par un rejet. En 2018, Walter Höhener a sollicité les conseils de Gastroconsult, dont il reste le président du conseil d’administration jusqu’à la mi-septembre. «Gastroconsult a préparé une documentation commerciale afin de trouver un repreneur. Il y était indiqué, comme souhaité, que l’exploitation du Krone devait se poursuivre de manière similaire.» La recherche d’un successeur s’est avérée difficile, car les personnes intéressées qui remplissaient cette condition n’avaient pas suffisamment de moyens financiers.

L’établissement a été sauvé autour d’une table
Assis à la table des habitués dans son restaurant, Walter Höhener s’épanche et dit à Walter Nef (71 ans), lui aussi habitant d’Urnäsch, expert dans la gestion immobilière et président du conseil d’administration de Reka-Feriendorf Urnäsch: «Ça me rend malade de voir qui se présente pour reprendre le Krone et ce qu’ils veulent en faire.» Une chose en entraînant une autre, les deux Appenzellois se sont mis d’accord pour mobiliser toutes leurs forces afin de conserver l’établissement vieux de 300 ans qui emploie 15 collaborateurs, compte 27 chambres d’hôtel, 70 places dans la salle Chlausenstobe au premier étage, 90 dans la pizzeria et 40 sur la terrasse. Aussi dans l’intérêt du village. En 1986, lorsque Walter Höhener a débuté, il y avait plus de vingt bistrots dans la plus grande municipalité d’Appenzell Rhodes-Extérieures. Aujourd’hui, le canton en compte à peine la moitié.
C’est ainsi que Walter Nef et Walter Höhener ont fondé la société Krone Immobilien AG avec six grands actionnaires (dont la municipalité), vingt actionnaires moyens et huitante petits, dans le but d’acquérir l’hôtel-restaurant, mais aussi de rénover la cuisine, la salle à manger du Chlausenstobe ainsi que huit chambres. La nouvelle société anonyme a ensuite racheté le Krone mi-janvier 2020 pour un montant de 2,5 millions de francs et pu débuter les travaux de rénovation peu avant que la pandémie ne déferle sur l’Europe.

Les clients du village Reka se sustentent au Krone
Le président du conseil d’administration du Krone, Walter Nef, considéré comme le moteur du plan de succession, explique son engagement: «Il y a quinze ans, j’ai été le principal initiateur du Village Reka, qui est maintenant pratiquement toujours complet de mars à novembre, alors qu’il comprend pas moins de 300 lits répartis dans 50 appartements. Aujourd’hui, de nombreux clients de ce village mangent à la pizzeria du Krone. En tant qu’habitant d’Urnäsch, je ne peux pas être indifférent si un établissement comme le Krone devait fermer ses portes.»
Les deux Walter se sont mis à la recherche d’un locataire pour continuer à exploiter le Krone avec le même fonctionnement. Ils l’ont trouvé dans la société saint-galloise Säntis Gastronomie AG, qui est notamment responsable des services traiteur de la société Olma Messen et qui est désormais l’un des six principaux actionnaires de Krone Immobilien AG. Depuis lors, son directeur général Rico Zindel (46 ans) a rejoint le conseil d’administration de la SA.
Walter Höhener souligne: «L’une des conditions essentielles pour pouvoir vendre l’exploitation avec succès est ­l’entretien constant de la propriété.» Il a lui-même repris l’exploitation du Krone en tant que locataire, puis a racheté l’hôtel-restaurant en 1991. Entre 2008 et 2018, il a investi pas moins de 2,2 millions de francs afin de notamment ajouter une véranda dans la pizzeria, de rénover totalement les salles, installer un ascenseur, assainir les WC et retaper les façades nord et ouest. Rico Zindel en est convaincu: «L’âme des lieux doit être préservée afin de rester attractif sur le marché.» Selon Walter Höhener, la succession d’un établissement se fait parfois sous une forme non conventionnelle, comme dans son cas. «Parce que les jeunes acheteurs potentiels ne peuvent souvent pas financer des entreprises et n’obtiennent pas de prêts auprès des banques.» Aujourd’hui, Walter Höhener habite juste derrière le Krone, et profite pleinement de sa retraite, se passionnant pour les voitures anciennes. Tout en sachant pertinemment que son savoir-faire et son expérience sont toujours demandés au sein du conseil d’administration de Krone Immobilien AG.

Du potentiel avec les hôtes suisses
Pour Rico Zindel, le Krone est une «affaire de cœur». Il admet qu’en tant que locataires, ils doivent faire une croix sur les 18 derniers mois à cause du coronavirus. L’établissement a pourtant du potentiel, car les Suisses sont nombreux à passer leurs vacances dans leur propre pays. Il n’a jamais vu autant de Romands en Appenzell. Sa conclusion: «Le Krone est une belle affaire et s’intègre dans notre portefeuille.» A partir du 1er septembre prochain, il a nommé Kourosch Kangarlou, d’origine persane, directeur des opérations et animateur. Ce professionnel du secteur a précédemment travaillé en tant que directeur général de groupe pour B&B Hotels Switzerland et Accor et a géré plusieurs établissements. Lui, qui a longtemps vécu dans le quartier de Kreuzberg à Berlin, est heureux de passer de la ville à la campagne et de pouvoir interagir personnellement avec les invités. 

 

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Succession d’entreprise

«Souvent, c’est l’œuvre d’une vie qui est transmise»
Reto Grohmann, vice-directeur de Gastroconsult, a récemment suivi le CAS Gestion de la succession d’entreprise au HWZ (Université des sciences appliquées en administration des affaires de Zurich) et est donc spécialiste en la matière. Il nous dit ce qui est particulièrement important pour réussir la transmission de son entreprise à de nouvelles mains.

Vous avez conseillé Walter Höhener dans la planification de la succession du Krone. En quoi est-elle réussie?
Reto Grohmann: Je considère que le plan de succession établi par M. Höhener a été vraiment bon. Ce qui a été particulièrement judicieux est qu’il a gardé toutes options ouvertes aussi longtemps que possible et n’a pas opté trop rapidement pour une seule solution. En outre, il a voulu préserver la configuration des lieux, a cherché et trouvé le soutien de la région.

Quels sont les points les plus importants à prendre en compte lorsqu’on établit un plan de succession?
Outre le fait de s’y prendre bien à l’avance, la planification financière est très importante, car la caisse de pension est souvent impliquée dans la propriété. Il serait donc dommage d’afficher un prix de vente trop bas ou d’avoir à assumer une charge fiscale trop élevée en raison d’une succession précipitée.

Quelles sont les autres erreurs à éviter?
Négliger l’aspect émotionnel. Souvent, c’est l’œuvre d’une vie qui est transmise. Si un repreneur est trouvé au sein de la famille, il est important d’en discuter et de planifier au mieux la reprise entre frères et sœurs de manière à ce que cela n’entraîne pas de discussions désagréables par la suite. Il est préférable de faire appel à un conseiller qui pourra avoir un point de vue général avec davantage de recul.

Vous avez terminé un CAS sur la gestion de la succession d’entreprise au printemps. Quelles sont les dernières découvertes que vous avez apprises?
Ma principale prise de conscience a été que chaque année en Suisse, environ 25 000 entreprises sont confrontées à un changement de génération et donc à un plan de succession. La complexité que génère un tel processus nécessite l’intervention d’un spécialiste.

Dans quelle mesure la pandémie a-t-elle affecté le marché?
Il y a plus de successeurs bien qualifiés sur le marché, pas nécessairement des jeunes. Toutefois, j’invite les jeunes à prendre le risque le plus tôt possible, car ils n’ont en fait presque rien à perdre. Vous ne perdez que si vous n’essayez pas.