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Gastronomie

Elle termine son apprentissage sous les drapeaux

Fabienne Morand – 07 juin 2021
En dehors de remplir ses missions, l’Armée suisse forme également des apprentis. Elle a accueilli quatre apprentis cuisiniers supplémentaires pour leur permettre de poursuivre leur formation pratique à la suite de la énième fermeture des restaurants en raison de la pandémie.

«On se fait tous une idée de l’armée, sévère, où on ne peut pas rigoler. C’est faux», déclare Mara Ferreira, apprentie cuisinière de dernière année qui a rejoint, le 16 février dernier, les cuisines de la place d’Armes de Payerne. «Je me suis sentie accueillie, j’ai pu rigoler et j’ai appris beaucoup de choses. Cette opportunité fut une chance que je ne regrette pas d’avoir su saisir.»

Elle fait partie des quatre apprentis cuisiniers – tous Romands – à avoir pu rejoindre une place d’Armes (Moudon, Payerne, Fribourg et Colombier) lorsque leur restaurant était fermé par les mesures liées à la pandémie du Covid-19. Il n’y a pas eu de demandes similaires de la part de cantons suisses-allemands.

Une démarche du Canton de Vaud
Tout démarre fin 2020 lorsque la Direction générale de l’enseignement post­obligatoire du canton de Vaud (lire encadré) approche des institutions. «Nous avons dit oui pour trois apprentis de troisième année. Seule Mara est venue. Un autre a rejoint un hôpital et le troisième n’a pas voulu de stage», explique Miodrag Zecevic, maître d’apprentissage.

Car il ne s’agissait pas d’une reprise de contrat, mais d’un stage prolongé. D’ailleurs, certains sont retournés chez leur patron d’apprentissage dès la réouverture des établissements. Mara Ferreira a choisi, encouragée par son patron, de rester à l’armée au lieu de retourner dans son Auberge communale formatrice et ses trois collaborateurs en cuisine.

Une opportunité de pratiquer à saisir
Une aubaine qu’elle ne regrette pas puisque l’Armée suisse l’a intégrée à ses programmes pour leurs apprentis. «Nous avons un concept de formation interne et Mara a pu se rendre à notre centre à Thoune où les troisièmes années passent un examen à blanc», souligne le maître d’apprentissage. Journées pratiques à la boulangerie, fromagerie ou boucherie, mais aussi cinq semaines de stage, par année, dans un restaurant à la carte, sont aussi inclus – rendues impossibles par la Covid –, pour les apprentis cuisiniers de l’armée.

Si Mara Ferreira était habituée au coup de feu et à devoir réaliser des plats selon le choix des clients, à Payerne, elle découvre la préparation qui débute la veille et le rythme presque continu pour servir minimum 300 plats par repas. «La place d’Armes de Payerne est l’une des plus grande de Suisse. Nous avons quasi en continu jusqu’à 600 personnes. La subsistance consiste à cuisiner pour les besoins différents, en diète, et en emplacements entre le restaurant, le réfectoire et les livraisons pour ceux sur le terrain. La motivation passe aussi par la nourriture», détaille le colonel EMG (n.d.l.r: Etat-Major général) Simone Rossi.

Hygiène plus stricte
Afin de garantir que le plat résiste à l’attente dans les contenants envoyés sur le terrain, mais aussi pour éviter qu’une troupe soit à l’arrêt en raison d’un souci digestif, les procédures d’hygiène sont renforcées. «L’armée prend le temps de nous expliquer, particulièrement ce qui a attrait à l’hygiène et aux délais de conservation», a apprécié Mara Ferreira. Un encadrement renforcé, mais aussi la responsabilité offerte aux apprentis qui dirigent la cuisine aidé par des soldats.

Une organisation pas chamboulée
Toutes les 18 semaines, le personnel en cuisine change. Ainsi, son arrivée rapide n’a pas chamboulé l’organisation. «Je dirai même que son arrivée a été un plus, surtout pour les deux autres apprentis qui n’ont pas eu l’opportunité d’aller cinq semaines dans un restaurant avec une cuisine à la carte», souligne Michaël Bays, chef de production. Avec ses collègues, Mara Ferreira a pu échanger et laisser libre court à son imagination, notamment pour les desserts et les sauces, et profiter des compétences des miliciens qui proviennent tous d’un métier de bouche.
Sans cette opportunité, avec la fermeture de son établissement de formation, l’apprentie aurait pu se présenter à ses examens finaux, mais aurait manqué de pratique. Là, elle a été soutenue pour la préparation de ses corbeilles.

Quid de la suite?
Cette mesure spéciale ne devrait pas être reconduite. Cependant, à Payerne, «dès la rentrée d’août, car c’est une demande interne afin de soutenir le secteur de la gastronomie, nous engagerons trois apprentis de première année au lieu de deux», précise Miodrag Zecevic. «Notre idéal est d’avoir au total six apprentis cuisiniers. Cependant, avec les abandons, nous en avons en moyenne quatre.» Et le colonel EMG Simone Rossi d’appuyer: «Cette collaboration ne doit pas être vue comme un engagement subsidiaire de l’armée … C’est une ouverture et une collaboration au profit des jeunes afin qu’ils puissent terminer leur apprentissage malgré la pandémie.»

 

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Une démarche initiée par l’Etat de Vaud


Lorsque les restaurants ont dû refermer en décembre, la Direction générale de l’enseignement postobligatoire (DGEP) a envoyé, fin janvier 2021, «un questionnaire à tous les apprentis de troisième année. Il en est notamment ressorti un manque de pratique», se souvient Michel Tatti, directeur général adjoint de la DGEP.
En parallèle, une demande aux entreprises du parapublic (hôpitaux, EMS, armée) a été envoyée. «On nous a proposé 80 places, au final une quinzaine de jeunes ont pu en profiter», ajoute-t-il. Car employeur-formateur et apprenti devaient être d’accord, mais il n’était pas non plus question d’envoyer un jeune à l’autre bout du canton.
Parmi les autres mesures, le canton de Vaud a notamment payé la moitié du salaire des apprentis aux entreprises qui en engageaient, il a permis à certains de débuter les cours professionnels, même sans contrat signé (dans les branches où il y avait encore des places).
En collaboration avec d’autres entités, il a aussi été proposé des modules de préparation aux examens, des cours de rattrapage ou encore organisé un restaurant éphémère. «La différence avec d’autres cantons, dans ce secteur professionnel, c’est l’effectif d’apprentis. Nous en avons un peu plus de 120 en troisième année», précise Michel Tatti. Impossible de tous les regrouper dans la cuisine du centre de formation.