Une mine d’or rouge dans la campagne vaudoise

Isabelle Buesser-Waser – 10 novembre 2022
Longtemps importé d’Asie, le safran se cultive désormais en Suisse. Dans le Domaine du Salagnon, le Safran du Jorat, récolté à la main, sera prêt à être dégusté dès la fin novembre.

Chaque matin du mois d’octobre, des milliers de crocus sativus voient le jour sur le Domaine du Salagnon. Leur nombre peut même atteindre 15000 fleurs lors du pic. C’est au milieu de ces pétales mauves clair que l’on peut prélever le pistil qui donnera le précieux safran. Cependant, l’or rouge ne porte pas son surnom pour rien. Produire cette épice demande un travail colossal, beaucoup de persévérance, de patience et de rigueur. Pour Jean-Daniel Cavin, les journées d’automne commencent à l’aube et finissent après le coucher du soleil. Ces heures de labeur aboutiront à une saveur délicate parfumant les plats de certaines des meilleures tables vaudoises, comme celle de la Maison Décotterd, à Glion (VD). «Je ne travaille qu’avec des produits locaux, c’est comme cela que je me suis intéressé au Safran du Jorat. De là, j’ai découvert un produit de grande qualité et une personne extraordinaire, un passionné très créatif», confie le chef étoilé, Stéphane Décotterd.

Limaces et campagnols
«L’aventure safran» a débuté en 2010 dans la ferme de Jean-Daniel Cavin à Vulliens (VD). C’est un couple du village qui lui a donné l’idée de produire cette épice en lui offrant quelques bulbes. Ces derniers étant malheureusement trop petits, l’agriculteur s’est dirigé vers un producteur français dans le Doubs afin d’en acheter de nouveaux. Mais les limaces et les campagnols font des ravages dans les cultures labellisées bio Suisse et Demeter.
Pour lutter contre les mollusques terrestres, Jean-Daniel adopte des canards de la race des coureurs indiens et des oies Diepholz. Ces oiseaux ont pratiquement éradiqué la population de gastéropodes sur le domaine. Les campagnols, eux, sont tenus à l’écart grâce à des bacs de culture qui empêchent les rongeurs d’accéder aux fleurs. Grâce à cela, les bulbes peuvent se dupliquer sans entraves.
Aujourd’hui, les crocus sativus poussent sur 800 m2 dans des cadres, mais également en pleine terre et chaque m2 contient 30 à 35 bulbes. «Cette culture demande peu d’entretien 10 mois par année, maintenant que les limaces et les campagnols ne sont plus un problème! Le travail se concentre sur le mois de juin, lorsqu’il faut séparer les bulbes et les replanter, et bien sûr, sur l’automne lors de la cueillette», raconte le producteur.

Tout se fait à la main
Lorsque les crocus commencent à fleurir, la saison de la cueillette débute. Durant plus d’un mois, il faut récolter les milliers de fleurs chaque matin et chaque soir. Pour cela, Jean-Daniel est accompagné de quelques amis qui lui prêtent main-forte. Tout se fait à la main: on ramasse les fleurs une à une, on remplit les paniers, on passe au bac suivant ... Quelques heures plus tard, le dos douloureux, c’est la deuxième étape qui commence: l’émondage.
Toujours à la main, il faut séparer le pistil, composé de trois stigmates rouges du reste de la plante. La précision est de mise: «Afin d’obtenir la meilleure qualité possible, il faut enlever le pistil sans séparer les stigmates», précise l’agriculteur. Autour de la table de la cuisine, l’odeur puissante des crocus envahit l’atmosphère studieuse. Ils sont quatre ce jour-là pour l’émondage: Lotti, la maman de Jean-Daniel, fidèle au poste, et Joseph et Mireille, deux amis qui passent quand ils le peuvent. «Nous sommes certainement très proche du pic de floraison», confie Mireille, «pour passer le temps, je compte ce que je cueille, si on multiplie mon résultat par trois, on devrait être autour des 15000 fleurs ce matin».

Séchage: safranal et picocrocine
Après l’émondage, il faut encore sécher les pistils. Pour cela, Jean-Daniel Cavin utilise deux méthodes. D’une part, un déshydrateur, pour un séchage doux, à 35° durant deux à trois heures et d’autre part, un four à 50° pour un séchage plus rapide. Alors que le déshydrateur favorise le safranal, c’est à dire l’arôme du safran, le four développe plutôt la picocrocine, soit le goût caractéristique de l’épice. «Toutefois, peu de clients demandent l’une ou l’autre méthode de séchage, et selon une analyse que j’avais demandée, toute ma production est d’excellente qualité», ajoute-t-il. «Pour finir, on met le safran dans des bocaux hermétiquement fermés afin qu’il développe ses saveurs pendant un mois.»

★ Le conseil du producteur

Les étapes de déshydratation et de réhydratation sont essentielles pour développer les saveurs du safran. Afin d’obtenir toute l’intensité de l’épice, il faut le laisser infuser pendant une nuit.

★ Les conseils du chef Décotterd

  • Faire infuser les stigmates dans un peu d’eau froide, puis utiliser cette eau ainsi que les stigmates dans les préparations.
  • Pour les desserts, le safran se marie particulièrement bien avec les poires et le miel.
  • Privilégier l’utilisation de safran local et frais, disponible dès la fin du mois de novembre, par rapport au safran importé qui peut être parfois stocké pendant de longs mois. Il y a une vraie différence au niveau du parfum!