Gastronomie
Hôtellerie

«Un fan ne suffit pas pour vendre vos menus»

Natalie Schluep und Reto E. Wild – 31 juillet 2019
COO experte en réseaux sociaux chez Hutter Consult, Nina Aemisseger connaît le potentiel d’Instagram du point de vue de la restauration, mais aussi les obstacles susceptibles d’entraver la bonne marche des affaires.

Mettons que j’exploite un restaurant dans la région viticole de Lavaux et que je décide de miser sur Instagram afin de faire connaître mon établissement dans la région ainsi qu’en Suisse alémanique. Comment dois-je m’y prendre?
Nina Aemisseger:
Vous aurez en l’occurrence deux objectifs bien distincts, car le public d’outre-Sarine requiert des messages différents de ceux proposés au plan local. Il convient d’abord de cerner les catégories de personnes pouvant s’intéresser à votre restaurant, et peut-être disposez-vous déjà d’une clientèle d’habitués. Il importe aussi de toujours considérer les critères tels que l’âge, le lieu de domicile ainsi que les exigences déterminant également le pouvoir d’achat des potentiels clients. Il s’agit ensuite d’orienter spécifiquement ses messages en fonction des différents publics cibles régionaux. Si vous êtes bien présent sur les réseaux sociaux, personne n’a attendu votre venue, et une stratégie globale tenant compte aussi des mesures hors-ligne telles que les insertions dans des publications spécialisées peut s’avérer tout à fait judicieuse. Les scénarios et scénographies publicitaires éventuellement déjà en place peuvent ainsi être adaptés et trouver un prolongement dans les réseaux sociaux. Quelles sont les règles à respecter?
Il est essentiel de commencer par définir ses objectifs, savoir si on souhaite améliorer sa notoriété parce qu’on vient d’ouvrir son restaurant, parce que celui-ci est toujours vide à midi ou qu’on entend interpeller de nouvelles personnes avec son menu. On voudra peut-être aussi annoncer la nouvelle carte estivale, et il importe alors de définir le langage à adopter ou les messages correspondants. Des ressources ad hoc sont de même indispensables si on décide d’ouvrir un compte et de le gérer correctement. Des questions telles que les personnes choisies pour prendre les photos, le rythme de parution de ces dernières, les personnes habilitées à les publier sur la plateforme et à définir les textes qui leur sont associés, de même que les hashtags utilisés, l’identification de certaines personnes, le format retenu pour une vidéo, sa durée maximale ou son montage. Une fois qu’on a répondu à ces questions vient le moment de créer du contenu, car il ne suffit pas de poster une photo ou de télécharger une vidéo de temps à autre. Enfin, on n’oubliera pas que les réseaux sociaux sont rapides et qu’il faut être agile, réagir aux tendances et les anticiper. S’il faut toujours attendre l’autorisation du management, on risque de laisser passer sa chance. Enfin, pour ce qui est des vidéos, il est important d’abandonner le format paysage initialement idéal, car c’est maintenant le format portrait qui domine pour les films depuis l’entrée en scène des téléphones portables. Quels sont les coûts à envisager?
Le coût pour mille contacts («Cost per Mille», CPM) constitue ici un bon indicateur, et il faut compter en Suisse entre cinq et huit francs pour toucher mille personnes. Des frais supplémentaires peuvent également s’ajouter si on décide d’entamer une collaboration avec une agence, et ces derniers seront alors plus ou moins importants selon le public cible. Les contributions seront généralement plus chères si on veut une communication plus large, et un budget réduit ne vous permettra pas une publicité élargie sur tous les canaux. De quoi a-t-on besoin pour cela?
Il convient tout d’abord de procéder à des investissements si on souhaite faire un tabac du côté des réseaux sociaux. Il faut arrêter de dire qu’Instagram et Facebook sont gratuits, et qu’on ne voit pas alors pourquoi on débourserait de l’argent pour sa publicité. D’aucuns apprécient ici Business Manager, l’outil d’administration gratuit pour les réseaux sociaux Facebook et Instagram. On peut ainsi connaître le nombre de personnes ayant visionné une contribution ou une vidéo achetée, mais aussi l’étendue des commandes générées sur la base d’un post ou encore ce qu’a pu apporter au final chaque franc investi dans la publicité. Où voyez-vous les principaux atouts d’Instagram?
Les réseaux sociaux affichent de nombreux avantages comparé à la publicité hors ligne, à commencer par un rapport prix-performances beaucoup plus attrayant. Les déperditions sont minimes, on peut de la sorte atteindre des clients potentiels grâce à des messages ad hoc et suivre leur comportement quasiment en temps réel. Si j’exploite un restaurant indien, je n’ai pas besoin de m’adresser à toute la Suisse, mais aux gens qui aiment la nourriture indienne. Grâce aux réseaux sociaux, je peux être concurrentiel par rapport aux grandes exploitations connues dans le monde entier et qui font de la publicité à la radio ou à la télévision. Quelles sont les erreurs des entreprises sur Instagram?
Une stratégie bien pensée est un «must» si on entend devenir actif sur Instagram ou Facebook, et se contenter de posts organiques ou d’une communauté de fans la plus importante possible n’amène plus rien de nos jours. Un fan ne suffit pas pour vendre vos menus. L’approche élémentaire implique une stratégie proposant un mélange adéquat de contributions organiques et sponsorisées, montrant comment le personnel et les ressources financières peuvent être utilisés en vue d’obtenir le succès souhaité si on prend effectivement le temps de tirer les bons enseignements suite aux premiers pas. Business manager propose un bouton «boost» dont je déconseille en fait l’utilisation. Celui-ci permet certes de ne pas dépenser trop d’argent, mais il vous livre pieds et poings liés au contrôle d’Instagram ou de Facebook, raison pour laquelle on peut l’appeler le «bouton qui tue». Je souhaite par ces mots inviter à une certaine retenue, car il vaut mieux ne pas toucher ce bouton qui vous assure une certaine portée mais pas auprès du public cible souhaité. Qu’entendez-vous par là?
Imaginez qu’un chaton se fasse tuer à chaque fois que vous pressez sur ce bouton, je dis cela seulement pour montrer ce qu’on devrait en tout cas se garder de le faire. Le bouton «boost» a comme je l’ai déjà dit une certaine portée, mais pas au niveau de la cible voulue, et on peut aussi se fourvoyer au niveau des dates. Au moment de Noël ou pendant la Coupe du monde de football, chacun a le sentiment d’avoir quelque chose à poster, alors que les réseaux sociaux sont littéralement submergés dans ces moments où Instagram a du mal à présenter vos messages à qui de droit. En quoi l’hôtellerie-restauration se démarque-t-elle du côté des réseaux sociaux?
D’aucuns se demandent pourquoi faire aujourd’hui les choses différemment là où nos pères et nos grands-pères réussissaient avec leurs mesures publicitaires. La branche est plutôt timorée à l’égard des réseaux sociaux alors que le comportement de consommateurs des clients potentiels s’est numérisé et exige une nouvelle façon de penser encore à concrétiser au sein de nombreux établissements. Les gens vont par exemple penser dès 9 h à ce qu’ils vont pouvoir manger à midi. Je sais par expérience qu’il vaut la peine à ce moment d’investir dix francs dans la publicité dans un rayon d’un kilomètre seulement de son restaurant, histoire de promouvoir son menu de midi. Le secteur de la restauration dispose de nombreuses possibilités intéressantes pour faire la publicité de ses produits. En quoi Instagram se distingue-t-il de Facebook?
Instagram affiche certes un immense potentiel dans la restauration, mais le public plus âgé se retrouve plutôt sur Facebook. Les jeunes communiquent encore avec Facebook, mais ils n’y sont plus interactifs. L’engagement est très important sur Instagram, alors qu’on a sur Facebook davantage de place pour transmettre ses messages par écrit et les connecter par des liens. Instagram mise par contre sur des univers d’images, et des hashtags tels que «foodporn» montrent que les gens aiment à communiquer lorsqu’ils vont manger au restaurant. Il importe dès lors de poster ses contributions en accord avec les différents canaux. Quel est le rôle du storytelling?
Si votre but est de devenir plus authentique en tant qu’exploitation, vous pouvez miser sur un scénario publicitaire vous présentant vous-même ainsi que votre entreprise et les gens qui y travaillent. Si votre objectif tient uniquement à remplir votre restaurant, vous n’avez alors pas besoin d’une accroche narrative onéreuse, mais plutôt de messages indiquant ce que l’on va obtenir dans votre établissement. Que dites-vous des faux followers?
Avoir de nombreux «suiveurs» ne veut pas dire qu’on va remplir son restaurant. Instagram et Facebook savent de toute façon si on travaille avec des pseudo-suiveurs. Ces derniers n’interagissent en général pas avec vos posts, et des choses telles qu’une photo avec une terrasse estivale ne les intéressent pas le moins du monde. Les plateformes remarquent cette indifférence et réduisent alors la portée des prochains posts. Les faux followers sont donc la plupart du temps un auto-goal. Quels sont les facteurs générateurs de succès sur Instagram?
Les vidéos sont très demandées, car elles y sont la plupart du temps beaucoup plus courtes que sur Facebook. L’éphémère, les histoires d’une durée de 15 secondes au maximum font florès sur Instagram à l’heure où l’on consomme sans arrêt des vidéos. Des vidéos qui doivent d’abord surprendre puis immédiatement placer leurs messages. D’innombrables contenus circulent ainsi sur les plateformes des réseaux sociaux, raison pour laquelle on a besoin des «thumb-stoppers» toujours plus en vogue.

★Nina Aemissegger
(Photo: Reto E. Wild) Nina Aemisseger, 31 ans, a fait des études de management international à la ZHAW Winterthur ainsi que dans la ville colombienne de Medellín. Ancienne directrice d’une agence SEA de Winterthour, elle occupe depuis 2017 les fonctions de COO de la société Hutter Consult où elle est également responsable du développement des activités ainsi que de l’extension de l’entreprise en sa qualité de membre de la Direction et Senior Consultant. Il y a quatre ans, elle était la troisième collaboratrice d’une équipe comptant aujourd’hui 24 membres. Chargée de cours à la ZHAW, à la FHNW ainsi qu’à la HWZ, Nina Aemisseger est domiciliée à Turbenthal, dans le canton de Zurich.

Instagram a la faveur des chiffres

Des experts tels que Nina Aemisseger de Hutter Consult s’accordent à dire qu’Instagram est devenu l’un des réseaux sociaux les plus importants pour le secteur du tourisme. En Suisse 2,3 millions de personnes de plus de 16 ans utilisent en effet Instagram pour leurs contributions et leurs récits, le nombre correspondant étant encore de 2,1 millions chez les plus de 18 ans. Cette différence montre que le réseau est particulièrement apprécié des teenagers. En Suisse, la couverture est de 100 % pour les téléphones portables, et Instagram fonctionne quasi uniquement via des smartphones. Puisqu’on en est aux chiffres, il convient de savoir que les entreprises appartenant à Facebook comptent plus d’un milliard d’utilisateurs actifs de par le monde, avec chaque jour plus de 500 millions d’usagers. Plus de 4,2 milliards de likes sont attribués quotidiennement, et il est particulièrement intéressant pour la branche de savoir qu’environ 80 % de tous les profils montrent au moins une entreprise sur Instagram. Avec plus de 25 millions de tels profils d’entreprises aux quatre coins du monde, ces chiffres sont d’autant plus considérables quand on pense que cette application existe depuis neuf ans seulement! En comparaison, Facebook comptait au premier trimestre 2019 environ 2,38 milliards d’utilisateurs actifs dont 384 millions vivant en Europe. Au premier trimestre 2017, ils étaient encore 1,9 milliard dans le monde. Seuls d’autres chiffres permettent de savoir vers quoi évoluent les tendances. La durée de visionnage des vidéos sur Instagram a ainsi progressé l’an dernier de 80 %. En octobre 2016, le nombre de contributions atteignait les 100 millions alors qu’on en était à 500 millions de telles histoires en janvier 2019. Le chiffre des vidéos Instagram produites chaque jour a été multiplié par quatre au cours des douze derniers mois. L’utilisateur moyen sort son portable cent fois par jour! Instagram en profite considérablement, mais il tire également son épingle du jeu du fait des changements de comportement du côté des utilisateurs. La durée de présence sur les appareils mobiles est désormais de 24 minutes par jour chez les plus de 25 ans, alors qu’elle est de 32 minutes chez les plus jeunes.