Chaque mardi matin, le chef étoilé du restaurant Les Ateliers à Vevey, Jean-Sébastien Ribette, reçoit une livraison «surprise» de Praz Bonjour. C’est avant tout l’histoire de Pierre-Gilles Sthioul et Antoine Meier, les agriculteurs qui ont monté cette structure, qui l’a convaincu. Puis, il s’est laissé séduire par la qualité des produits proposés, dont les saveurs intenses reflètent le travail sans concession des producteurs. «Je suis très curieux, et j’adore écouter les histoires des gens, celle de Praz Bonjour est très belle et leurs produits sont extrêmement frais. Ils viennent directement du jardin qui se trouve à quelques kilomètres», précise Jean-Sébastien Ribette.
Les livraisons s’enchaînent le mardi matin. Après Les Ateliers, Pierre-Gilles et Antoine déposent quelques caisses dans une épicerie, puis ils livrent deux autres restaurants, dont le café-restaurant A la Valsainte. L’établissement, bien connu des Veveysans, est un bistrot de quartier convivial, dont les plats labellisés «fait maison» ravissent une clientèle très hétérogène. «Je connais Antoine et Pierre-Gilles depuis très longtemps, Antoine a grandi dans le quartier, c’est donc naturellement que j’ai choisi de me fournir chez eux. Ce n’est d’ailleurs pas plus cher qu’ailleurs!», raconte le chef Yannick Dufresne qui donne beaucoup d’importance à la relation avec les producteurs et à la régionalité dans sa cuisine.
Cultiver des légumes: un acte engagé
Au départ, Praz Bonjour était plutôt un projet associatif, entre copains partageant les mêmes valeurs et convictions face à l’alimentation et l’avenir de la planète. Mais avec le Covid et un monde professionnel à l’arrêt, ils se sont mis à rêver de faire du maraîchage écoresponsable leur métier. Ils ont donc quitté leur emploi respectif et se sont lancés.
Leur objectif est très clair: cultiver une grande variété de fruits et légumes en respectant la biodiversité et avec une empreinte carbone la plus basse possible. Les deux agriculteurs se sont donc inspirés de l’agroécologie et des techniques de permaculture lors de la création de leur exploitation. Pour éviter de devoir arroser et pour garder l’humidité, ils ne laissent jamais la terre nue et disposent de la paille au pied des plantes. Cette dernière vient des lignes de foin situées sur la prairie en alternance avec les lignes de culture. Pour limiter leur empreinte carbone, presque toutes les étapes sont effectuées manuellement, à l’aide d’outils traditionnels: «Toutes les lignes de culture ont été ouvertes passivement de manière non mécanisée», indique Antoine Meier. Par ailleurs, les deux maraîchers essaient d’utiliser un maximum de matériel recyclé et réparent les outils cassés au lieu de les racheter. Enfin, pour éviter que les limaces ne détruisent toute la récolte, ils ont adopté des canards particulièrement friands de ces gastéropodes. Bref, la devise de l’exploitation est: «On fait avec ce qu’on a!»
La priorité de ces agriculteurs reste le produit. «Avec Antoine, on est d’ailleurs peut-être un peu trop axé sur les produits et pas assez sur la productivité», glisse Pierre-Gilles, dont les yeux brillent dès qu’il aborde les saveurs contenues dans chacune des variétés de courgette. Leur idée est avant tout de produire de la nourriture saine, savoureuse et durable. Ce sont ces trois aspects qui priment, et la manière de cultiver un produit les impacte tous. «Une tomate qui a poussé dans un contexte comme celui que nous avons mis en place contiendra bien plus de nutriments qu’une tomate cultivée de manière conventionnelle», ajoute Antoine.
Réflexion de fond sur l’alimentation
Ce projet, c’est le résultat de nombreuses réflexions et d’une vision globale et documentée des problématiques liées à l’alimentation. Le parcours de Pierre-Gilles Sthioul lui a en effet donné de nombreux outils pour construire son discours et développer un projet qui fait sens. Fils de restaurateur, il découvre les cuisines très tôt et y passe beaucoup de temps à observer, goûter, sentir ... L’une de ses grand-mères, passionnée de gastronomie, l’emmènera même manger chez Girardet pour ses 10 ans. L’apprentissage de cuisinier est alors devenu une évidence. Mais après cinq ans de métier, Pierre-Gilles se pose des questions. «Je me demandais si c’était vraiment mon choix, ou si je l’avais fait pour mes parents. J’avais aussi l’impression d’être un peu passé à côté de quelque chose et j’ai toujours été passionné par la politique internationale.» Il se lance alors dans des études en Sciences politiques et durant le Master, se spécialise dans les questions de politique environnementale et agricole. Après ses études et un stage à la Confédération, il se dirige vers le monde associatif et travaille pour Pain pour le prochain, dans le domaine de la durabilité et de l’agroécologie. Puis le Covid est arrivé et avec lui, l’arrêt de nombreux projets. «Je me suis d’abord retrouvé avec un énorme vide», confie-t-il, «mais cela m’a aussi permis d’avoir plus de temps pour Praz Bonjour qui concrétisait toutes les réflexions que j’avais eues sur l’alimentation jusqu’alors et qui venait de voir le jour. Cela a été un déclic, je ne pouvais pas retourner dans les bureaux.» Malgré la difficulté de ce métier, Pierre-Gilles est comblé par cette vie, par l’autonomie, la liberté et les émotions que ce contact avec la terre lui apporte.
Plusieurs pistes à explorer
Quand on leur pose la question, Pierre-Gilles et Antoine répondent qu’ils ont encore de nombreuses choses à découvrir et à apprendre sur l’alimentation. Avec ce retour à la terre, au travail manuel, Pierre-Gilles ressent le besoin de retrouver les fourneaux et aimerait proposer une table d’hôtes en utilisant uniquement des produits dont il peut garantir la traçabilité. Antoine nous raconte qu’un chef qui travaille dans une clinique est intéressé à créer son propre jardin avec leur aide, afin d’avoir sous la main des produits de première fraîcheur. Tous deux s’intéressent aussi à la transformation de produits, à des fins de conservation et pour explorer de nouvelles manières de sublimer les saveurs. Finalement, les deux jeunes papas sont aussi très sensibles à la cuisine proposée aux enfants et aux personnes âgées. Ils aimeraient, à long terme, créer des partenariats avec des entreprises de restauration collective pour que tout le monde puisse avoir accès à des produits locaux, sains et savoureux.