«Peu importe l’écrin, ce qui compte c’est l’intention»

Isabelle Buesser-Waser – 11 juillet 2024
A Crans-Montana, Franck Reynaud est à la tête de trois établissements, du grand hôtel de luxe, avec son restaurant étoilé, à la cabane de montagne. Pour ce chef montagnard, proposer un accueil humain et personnalisé est essentiel, quel que soit l’écrin et le prix des plats.

«Quand je suis arrivé à Crans-Montana, je voulais surtout faire une saison de ski», raconte Franck Reynaud (54 ans). En 1991, le jeune Français débarque dans la station. C’est sa première visite en Suisse. Après avoir terminé l’école hôtelière et travaillé dans de grandes maisons en France, il souhaite passer du temps à la montagne et se dirige vers le Valais sans aucun projet sérieux dans ses valises. C’est là qu’il rencontre sa future femme, Séverine Bestenheider, la fille des propriétaires de l’Hôtel Aïda – entre autres –, que les parents du jeune Franck fréquentaient régulièrement pour leurs vacances sans enfants. A partir de là, tout s’enchaîne, la saison au ski se prolonge et en 1994, à 24 ans, le chef français reprend l’Hostellerie du Pas de l’Ours, puis l’Hôtel Aïda avec sa compagne.
En entrant au Pas de l’Ours, le cadre authentique dégage une atmosphère particulière. Rénové avec des poutres et des éléments récupérés dans de vieux chalets, l’établissement mélange convivialité, tradition et luxe. Avec l’Hôtel Aïda, Franck et Séverine disposent d’une alternative «adults only» dans un esprit de «Luxe, calme et volupté», entre spa, yoga et plaisirs épicuriens. Mais cela ne suffit pas au Valaisan d’adoption qui ajoute une troisième corde à son arc en 2011.

Le rêve de deux amis

«Lorsque je pars en montagne avec mon ami Pierre-Olivier Bagnoud, qui est guide, nous nous arrêtons manger dans des cabanes. Nous sommes tous les deux des épicuriens, et avant 2011, nous discutions à chaque fois de ce que nous ferions si nous étions nous-mêmes aux commandes», relate Franck Reynaud. Alors, lorsqu’il a l’occasion de reprendre la cabane des Violettes, il concrétise le rêve qu’il partageait avec son ami et lui propose de gérer ensemble ce nouvel établissement. «C’est toujours complexe de s’associer avec quelqu’un en affaires. Mais avec Pierre-Olivier, je n’avais aucun doute. Les problèmes surgissent dans les moments de crises et quand je le vois gérer les crises en montagne, je sais que nous saurons les surmonter avec la cabane.» Loin du luxe ostentatoire les deux associés avaient envie d’offrir des plats réconfortants pour tous leurs clients dans leur nouvel écrin. A la cabane des Violettes, on retrouve des stars, des randonneurs, des familles et des skieurs de tous les horizons qui mangent des plats simples et abordables dans une ambiance familiale. «Ce qui importe vraiment dans la restauration, ce n’est pas d’en mettre plein la vue aux clients mais l’intention de l’hôte: l’envie de faire plaisir. Je m’efforce de créer un moment unique pour chaque visiteur, dans la simplicité de la cabane des Violettes ou au Pas de l’Ours, quels que soient les prix. D’ailleurs on augmente le confort en permanence, mais pas les tarifs.» La proximité des remontées mécaniques facilite le travail des deux montagnards, qui peuvent, contrairement à beaucoup de cabanes, se passer des ravitaillements en hélicoptère et utiliser des produits frais du terroir.

 

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La cabane des Violettes se situe à 2208 mètres d’altitude, sur le ­domaine skiable de Crans-Montana. Elle est accessible à pied ou en remontées mécaniques (photo: DR)

«Notre rôle a changé»

Lorsqu’il élabore les cartes de ses établissements, Franck Reynaud s’efforce avant tout de raconter sa région. «La gastronomie a changé. Aujourd’hui, notre rôle est aussi de promouvoir la durabilité, de faire une cuisine humaine, et de mettre en avant les producteurs et artisans de la région. Cela donne une valeur ajoutée à notre cuisine et la rend meilleure. Chaque plat, chaque produit cache une histoire, un savoir-faire.» Pour le chef montagnard, il n’est pas question de proposer la même cuisine à Crans-Montana qu’au bord de la mer. La haute gastronomie doit refléter son terroir, sa région et sublimer les produits locaux, elle doit s’inscrire dans son environnement. En parlant des producteurs qu’il côtoie, ses yeux s’illuminent: «Notre pêcheur, qui travaille sur le lac de Morat est un type exceptionnel, si passionné qu’on est émerveillé à chaque fois qu’il nous amène le poisson. Et les bergers qui nous fournissent les agneaux sont littéralement amoureux de leurs animaux, ils ne veulent pas les tuer pour en faire n’importe quoi. Ils font attention à sélectionner des clients qui sauront leur faire honneur.» C’est dans ce même esprit que le patron de l’Hostellerie du Pas de l’Ours produit son propre gin, avec des genévriers de Crans-Montana et qu’il propose une carte des vins composée de 75% de crus valaisans. Pour finir, il surveille aussi la qualité nutritionnelle de ses plats: «Je ne sers pas quelque chose que je ne donnerais pas à mes enfants», souligne-t-il.

 

Offrir des expériences qui n’ont pas de prix

En hiver, Franck Reynaud monte tous les matins à la cabane des Violettes en peau de phoque. «Je suis tellement bien en arrivant. C’est ma séance de sophrologie!» Il y reste jusqu’au service de midi, puis descend au Pas de l’Ours pour le service du soir au restaurant gastronomique. Il passe à l’Hôtel Aïda deux fois par semaine pour échanger avec le chef. «C’est mon épouse qui est plus présente à l’Aïda.» Cette diversité lui tient à cœur: «Avec plusieurs établissements, il y a toujours des imprévus. Cela me permet d’éviter la routine», explique-t-il. En été, il rend aussi visite aux producteurs le matin. «J’ai les mêmes fournisseurs pour tous mes établissements. La qualité des produits est importante partout et cela me permet de gagner du temps.» Mais ce n’est pas le seul avantage. Grâce à ses différentes offres, il peut proposer des expériences inédites et personnalisées, sans avoir besoin de passer par d’autres prestataires. «J’essaie d’offrir un séjour exceptionnel à tous mes clients. Ainsi, lorsqu’ils manifestent un intérêt pour une activité particulière, je m’implique parfois personnellement. Il m’arrive par exemple de les accompagner pour monter en peau de phoque à la cabane des Violettes ou d’organiser une raclette aux chandelles à l’alpage, au son des cors des Alpes.» Proposer des expériences qui n’ont pas de prix et accueillir chaque client avec l’intention de lui faire plaisir, c’est le secret du chef franco-valaisan. Et lorsque Franck n’est pas à la cabane, c’est Pierre-Olivier qui s’y trouve. «Peu importe l’écrin, c’est l’intention qui compte, celle de faire plaisir. Nous avons des établissements familiaux, nous n’accueillons pas une clientèle qui souhaite de grand fitness, mais des gens qui veulent un accueil humain et vivre une expérience.»

 

Au fil des saisons

Ce sont aussi les saisons qui dictent les journées du chef: la cabane est ouverte de mi-novembre à mi-avril, puis du début du mois juillet au début du mois de septembre. Les établissements situés dans le village font également une pause de quelques semaines au printemps et en automne. «Comme nous travaillons de manière saisonnière, c’est un peu plus compliqué pour le recrutement et la formation du personnel, mais nous avons une base solide. Nous formons également des apprentis, qui ont des mesures un peu particulières liées aux saisons. D’ailleurs c’est un jeune de chez nous qui a gagné l’émission Futurs Chefs sur Canal 9.» Proposer des places d’apprentissage est un élément important pour Franck Reynaud qui souhaite pouvoir donner une formation de qualité. «Trop de grands établissements oublient qu’ils sont essentiels pour l’avenir de la branche. Et beaucoup d’apprentis sont formés dans la restauration collective. De plus, avec internet, les jeunes ont facilement accès aux informations, ils arrivent parfois avec beaucoup de technique mais oublient l’assaisonnement. Ils veulent faire des performances et n’accordent pas d’importance à l’essentiel: faire plaisir!»

 

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Le restaurant gastronomique «L’Ours», qui se trouve dans l’enceinte de l’Hostellerie du Pas de l’Ours, affiche une étoile au Guide Michelin et 18 points au GaultMillau (photo: Nicolas Righetti)