«La moitié de nos étudiants basculent dans l’univers du luxe»

Caroline Goldschmid – 16 août 2023
Une nouveauté marquera la rentrée de Glion Institut de Hautes Etudes, qui aura lieu le 18 septembre prochain: l'école hôtelière accueillera les premiers étudiants en Bachelor Luxury Business, dédié aux carrières managériales dans le secteur du luxe. Cette rentrée 2023 sera également la première pour Frédéric Picard, qui occupe le poste de directeur général depuis le mois de mars. GastroJournal a rencontré ce grand sportif et père de famille dont le parcours professionnel s'est dessiné aux quatre coins du monde.

Vous avez travaillé dans le monde entier, occupé des postes de directeur et de directeur de la restauration au sein de grands hôtels. Difficile de trouver un profil plus complet pour diriger le Glion Institut de Hautes Etudes…
Frédéric Picard:
Ce dont avait besoin Benoît-Etienne Domenget, le CEO de Sommet Education, c'est quelqu'un qui a une connaissance approfondie du monde l'hospitalité, un état d'esprit d'entrepreneur, qui est flexible et s'adapte rapidement. Je pense aussi que mon expertise poussée en termes d'hôtellerie ainsi que mon passé d'entrepreneur ont joué en ma faveur.

Diriger une école hôtelière, c'est une première pour vous. Pourquoi avoir accepté le poste?
Il est clair que la renommée de Sommet Education a pesé dans la balance au moment de prendre ma décision. Il y a deux institutions hôtelières qui seront toujours citées dans le monde entier: l'EHL et Glion. Ce sont deux références mondiales.

Quels sont les défis liés à ce poste?
Comprendre la partie académique, en l'occurrence ce qu'on enseigne ici et comment. Afin de m'immerger au mieux et de pouvoir me concentrer pleinement ce nouveau défi professionnel, j'ai décidé d'habiter sur le campus. Je dois notamment me familiariser avec tout le cahier des charges lié aux accréditations valables au sein de hautes écoles américaines. Nous devons aussi réfléchir à de nouveaux programmes et préparer nos étudiants à la demande de l'industrie hôtelière.

Qui est en pleine mutation…
L'industrie hôtelière a été forcée de muter à la suite de la pandémie, mais aussi pour répondre aux attentes de la nouvelle génération.

Ces attentes, quelles sont-elles?
Les jeunes veulent davantage travailler pour des gens que pour des groupes. Quant aux dirigeants d'entreprise, ils doivent impérativement intégrer le fait que les collaborateurs sont leur bien le plus précieux. Il ne faut jamais négliger cet aspect, car ce sont eux qui vont vers le client.

Quelles sont les priorités de Glion Institut de Hautes Etudes?
Il s'agit de créer le lien entre la demande future des entreprises et les étudiants. Nous devons préparer les étudiants à entrer dans le monde du travail. Il ne s'agit pas seulement de faire en sorte que leurs compétences soient alignées aux attentes des entreprises, mais aussi du bien-être des collaborateurs et de l'équilibre entre leurs vies professionnelle et privée. La question est avant tout de savoir comment les étudiants fraîchement formés seront accueillis dans une entreprise: seront-ils logés sur place, recevront-ils un «welcome pack», etc. Il faut bien s'occuper des équipes!

L'école a inauguré un nouveau bachelor, Luxury Business, en mars. Quel en est le contexte?
Il faut savoir que la moitié de nos étudiants basculent dans l'univers du luxe après quatre ou cinq ans de vie active. La particularité de l'hôtellerie, c'est qu'il faut être à la fois dans l'anticipation, dans la réaction et dans l'adaptation. L'industrie du luxe a compris que les profils issus de l'hôtellerie sont atypiques et a commencé à les débaucher. J'ai personnellement été témoin de ce phénomène quand je travaillais à La Réserve, à Paris: de nombreux collaborateurs sont partis dans des entreprises du luxe, comme Dior ou LVMH.  

Quelle est la structure de ce nouveau bachelor?
Le programme du «Bachelor of Business Administration in Luxury Business» s'étale sur sept semestres, dès la rentrée en septembre prochain, et intégrera deux stages professionnels. Sur les 20 semaines du premier semestre, huit seront communes au Bachelor «Hospitality Business» pour que les étudiants puissent comprendre comment fonctionne cet environnement. Les 12 autres semaines constitueront des mises en pratique et immersions pour découvrir l’univers du luxe.

Quels sont les débouchés, une fois ce bachelor en poche?
Cela dépasse largement l'hôtellerie de luxe, puisque cette formation de trois ans et demi peut donner accès aux produits et services de luxe (la mode, les parfums, l'horlogerie, l'automobile, l'aviation privée…), mêmes les banques privées, l'événementiel, sans oublier la haute gastronomie. Car pour les employeurs les plus sélectifs de ce secteur, avoir la fibre et les codes du luxe est un atout précieux. Pour notre école, il s'agit d'un développement passionnant qui devrait susciter l'intérêt d'étudiants du monde entier. Cette formation ouvrira des portes à des rôles de rêve qui ne seraient tout simplement pas accessibles aux titulaires de diplômes de commerce plus généralistes.

En somme, ce bachelor est unique en son genre…
Oui, c'est une formation unique en son genre en Suisse romande, notamment dans le cadre d'une école hôtelière. C'est d'autant plus significatif que la suisse est connue mondialement pour les domaines de l'hospitalité et de l'horlogerie. Ce nouveau bachelor est aussi une façon de montrer que notre groupe comprend la dynamique de la destination ainsi que les attentes du marché.

La première volée démarre en septembre. Avez-vous déjà des étudiants inscrits?
Oui, cela se présente bien, et nous faisons tout pour que cette nouvelle formation soit un succès. Sur les quelque 350 étudiants en bachelor à Glion, nous misons sur une trentaine d'étudiants en «Bachelor of Business Administration in Luxury Business».

 

 

Parmi les principes de base de Frédéric Picard, être heureux dans son métier

Marié, papa de deux enfants (une fille de 24 ans et un garçon de 19 ans), Frédéric Picard est né en région parisienne en 1970. L'envie de faire carrière dans l'hôtellerie est apparue assez tôt, à l'adolescence. Le déclic s'est produit lors d'un «afternoon tea» avec ses parents au palace Le Bristol à Paris, alors qu'il avait 14 ou 15 ans. «J'ai dit à mon père: un jour je serai directeur d'un palace emblématique à Paris!» Et depuis que sa passion est née, Frédéric Picard n'a jamais lâché cet objectif de carrière. Son diplôme d'école hôtelière en poche, les velléités de voyage sont très vite apparues. «Mon premier poste a été pour le groupe Accor, à Moscou, dans les années 1990, à l'époque où Gorbatchev a été destitué.» Après deux ans à Moscou, cap sur Houston, au Texas. De retour en France, Frédéric Picard a constaté que les hôteliers n'étaient pas très forts en restauration. Il a alors intégré le groupe Flo, qui tenait une quinzaine de brasseries, dont la célèbre Coupole, où il a été le directeur adjoint. «Là, j'ai appris ce que c'était la restauration, avec 1200 couverts le samedi soir, pour 250 places assises!» Mais commencer à 6h du matin et finir à 22h le soir, c'est compliqué quand on veut construire une famille. A l'hôtel Le Méridien Etoile (1000 chambres), il œuvré en tant que directeur adjoint de la restauration pendant trois ans, à la tête de 7 ou 8 restaurants. Une opportunité se présente à Bangkok, aussi au Méridien, en tant que directeur de la restauration pour deux hôtels. Au bout de trois ans, l'hôtel a changé d'enseigne et est devenu un hôtel InterContinental. «La direction m'a proposé le poste de directeur de l'InterContinental de Paris et je suis ainsi devenu le plus jeune directeur d'hôtel, à 33 ans.» Les phases de trois ans se sont ainsi répétées à plusieurs reprises: il a dirigé le Jumera Beach Hotel à Dubaï de 2006 à 2009, l'hôtel Palais Namaskar à Marrakech de 2009 à 2012 ou encore La Réserve à Paris de 2013 à 2016. A titre personnel, il participe régulièrement à des évènements sportifs, des semi-marathons ou des «swim & run» pour collecter des fonds pour différentes associations.