Un cidre suisse qui séduit les grandes tables

Isabelle Buesser-Waser – 13 janvier 2023
Au cœur du petit village de Treyvaux (FR) se trouve la Cidrerie du Vulcain. A sa tête, Jacques Perritaz valorise son terroir et les variétés de fruits régionaux en produisant un cidre unique apprécié tant pour un apéritif convivial que pour accompagner les mets des chefs étoilés.

Présents sur les meilleures tables aux quatre coins du globe, les cidres produits en Suisse par la Cidrerie du Vulcain, placent cette boisson traditionnelle bretonne à la hauteur des grands vins.

Tout commence avec un pommier, que Jacques Perritaz aperçoit au fond d’un fossé à Torny (FR). «J’ai été ébloui par cet arbre seul dans la brume et le froid du mois de décembre», raconte-t-il. Les pommes sont rouges, petites, très acides et tanniques, pas vraiment consommables comme fruits de table, mais idéales pour en faire du cidre. A l’époque, Jacques Perritaz était biologiste et travaillait sur des projets en lien avec la protection de la nature. Cependant, il avait envie de valoriser les fruits d’une autre manière et de travailler avec des vieux vergers. Il s’est mis à faire du cidre avec les fruits trouvés sur l’arbre de Torny. Ne reconnaissant pas cette petite pomme si particulière, il s’est adressé à des pomologues, qui l’ont analysée et lui ont indiqué que cette variété n’était pas répertoriée. Le Fribourgeois lui a donc donné un nom: la Rose de Torny, en référence à ses arômes fleuris et son terroir. Le jour où le paysan propriétaire de l’arbre a dû le faire abattre, le nouveau producteur a greffé des greffons dans son verger à Rue pour sauver cette variété unique. Ce n’est que dix ans plus tard qu’il a enfin pu reproduire son cidre à base de Rose de Turny!

Travailler les pommes suisses 

Au début, la production de cidre n’était qu’un hobby, puis Jacques Perritaz a suivi des stages dans le domaine et commencé à faire des essais avec les fruits régionaux pour se professionnaliser. «Les pommes fribourgeoises ne sont pas des variétés à cidre. Il s’agit de pommes qui étaient très en vogue il y a une centaine d’années: les arbres sont plantés autour des fermes sur des terres riches et profondes. Ce qui donne beaucoup d’azote», indique-t-il. Pour obtenir un cidre comme en Normandie, il faut une fermentation partielle, afin de garder des sucres résiduels. Cela est beaucoup plus compliqué avec les pommes suisses, dont l’acidité domine. «J’ai dû développer mes propres techniques, en travaillant de la manière la plus naturelle possible», ajoute le passionné.

Des arômes uniques

Les variétés de fruits utilisées par la Cidrerie du Vulcain sont cultivées sur des vieux arbres hautes tiges. Cette forme de culture ancienne est aujourd’hui délaissée, car la cueillette sur l’arbre est difficile. «A l’époque, on l’utilisait afin d’optimiser l’exploitation de l’espace et de diversifier les cultures. On pouvait ainsi cultiver des fruits en hauteur et du foin en dessous. Pour la production de cidre, cela ne pose pas de problème, car nous ramassons les fruits au sol, après qu’ils sont tombés de l’arbre», explique Jacques Perritaz. Par ailleurs, les pommiers hautes tiges sont souvent âgés. «Cela donne de la minéralité, de la vinosité et ça permet d’obtenir des arômes plus profonds. Les arbres plus jeunes donnent des cidres moins aromatiques», précise le producteur. Toutefois, l’âge des arbres et le mode de culture ne sont pas les seuls éléments qui donnent à la production fribourgeoise ses arômes particuliers. «Les variétés de pommes que j’utilise, qui sont très acidulées, ainsi que le terroir qu’on retrouve dans la région, avec des sols particulièrement riches et profonds, permettent d’obtenir un résultat unique, qu’on ne pourra jamais retrouver dans un cidre produit ailleurs», relate-t-il.

Contraintes administratives 

Depuis le départ, l’objectif de cet ancien biologiste est d’acheter un domaine. «En Suisse, c’est très compliqué et très cher. Mon verger à Rue (FR) est sur un terrain que je loue et je n’ai pas réussi à trouver un endroit pour ma cidrerie à proximité», confie-t-il. Jacques Perritaz a donc décidé de s’exporter et de trouver un endroit pour s’installer en France. Il a acheté un terrain et s’attelle maintenant à planter les arbres. «Je souhaite toutefois garder ma production dans le canton de Fribourg, j’ai pris un responsable de site, Luigi Fazzini, afin de s’occuper de la production sur place et de continuer à proposer des spécialités.»

Ce n’est pas le seul problème auquel ce passionné a été confronté. Peu habitué à la vente, démarrer son activité n’a pas été facile, d’autant plus que la clientèle suisse ne consomme pas beaucoup de cidre. «Je travaille donc avec des grossistes et durant les premières années, c’est la clientèle étrangère qui m’a surtout permis de perdurer.»

Aussi sur les tables les plus réputées

La production de la Cidrerie du Vulcain ne se contente pas d’offrir de nouvelles saveurs dans la palette des cidres disponibles. Elle s’invite également sur les meilleures tables de la haute gastronomie. Ainsi, Peter Zimmermann, élu sommelier de l’année 2023 par GaultMillau, propose le cidre Raw Boskoop avec une tarte Tatin de moules cuisinée par le chef Heinz Rufibach. «Même si la salinité des moules est atténuée par le beurre et le miel bernois, elle reste nettement perceptible. Le Raw Boskop Bio de la Cidrerie du Vulcain apporte la bonne acidité pour contrer le sel. Comme ce cidre a été fermenté avec des levures sauvages et que celles-ci n’ont jamais été enlevées, il a une note briochée qui se marie à merveille avec la pâte feuilletée et le beurre de la tarte Tatin», précise le sommelier de l’année. «L’objectif déclaré de Jacques est de faire de grands cidres sur le modèle des vins haut de gamme, ce qu’il a parfaitement réussi. Il est d’ailleurs devenu une référence mondiale en matière de cidre artisanal», ajoute-t-il.

A la Maison Décotterd à Glion (VD), on pourra également déguster un cidre du Vulcain avec le plat de fromage du chef étoilé: Les Rebibes de gruyère «caramel» de Jacques Duttweiler.

«La cuvée 2009 de Poiré est même servie à la table du Ritz et du George V à Paris», indique Luigi Fazzini. «Cette cuvée-là était un peu instable au départ. C’est pourquoi nous l’avons gardée en bouteille afin qu’elle continue d’évoluer. Le jour où nous l’avons goûtée, c’était une merveille!» Cette année, c’est à la cuvée 2012 de Trois Pépins de faire exploser ses saveurs. Une bouteille d’exception qui promet de se retrouver en compagnie des mets les plus délicats.

★ Accords mets et cidre


Les cuvées de la Cidrerie du Vulcain sont très variées et de nombreux accords sont possibles. Voici quelques suggestions de Jacques Perritaz:

  • Pour l’apéritif, on servira des cidres secs et frais, tels que le Trois pépins, produit à partir de pommes, de poires et de coings, ou la Transparente qui offrira un goût plus fruité, très frais.
  • Le poisson et les huîtres se marient très bien avec le Trois Pépins.
  • Le fromage sera particulièrement mis en valeur avec le Poiré, produit, comme son nom l’indique, exclusivement avec des poires.
  • Pour le dessert, on choisira des cuvées plus douces, comme Premiers Emois, qui est large en bouche et fait mieux ressortir le sucre.