Patrice Vander: «100% des herbes utilisées en cuisine viennent de notre jardin»

Isabelle Buesser-Waser – 23 juin 2022
Le chef étoilé Patrice Vander officie dans les cuisines de l'Hôtel Royal à Evian depuis plus de 20 ans. Chef du restaurant gastronomique les Fresques depuis 2010, ce passionné est sensible aux problématiques actuelles liées à l'environnement et s'efforce de proposer une cuisine la plus durable possible. GastroJournal s'est entretenu avec le Chef Vander dans le magnifique salon de l'hôtel, avec vue sur le lac, le jardin fleuri et le potager naturel et organique situé dans le parc de l'établissement.

Vous travaillez depuis plus de 20 ans à l'Hôtel Royal***** quel est le secret de cette collaboration de longue durée?

Patrice Vander: Avant de venir à Evian, j'ai étudié à l'école hôtelière à Compiègne, puis j'ai fait plusieurs grandes maisons, notamment le Plaza Athénée à Paris avec le Chef Eric Briffard. J’ai également travaillé avec les chefs doublement étoilés Gérard Cagna en région parisienne et Jean-Paul Godard à Genève. C'était très intéressant et j'ai appris beaucoup, ensuite je devais aller travailler chez Monsieur Rochat à Crissier ou chez Monsieur Chevrier au Domaine de Châteauvieux, mais j'avais fait assez de 2 étoiles et j'ai choisi de perfectionner la gestion en tant que premier sous-chef du chef Michel Lentz, ici à Evian. Finalement, j'ai repris le poste de chef en 2010. Aujourd'hui je suis toujours là parce que c'est une région que j'adore, au pied des montagnes qui me permet d'avoir une belle qualité de vie. Je peux pratiquer les sports que j'aime, profiter du calme de la nature… C'est un coup de cœur!

Comment décririez-vous votre cuisine?

C'est une cuisine contemporaine, de saison et de plaisir! J'utilise une majorité de produits de saison locaux et dès que c'est possible, je les prends directement dans le potager. Ma cuisine est aussi une cuisine de palace, elle est lisible, tout ce qui est inscrit sur la carte doit se retrouver dans l'assiette et les goûts sont francs. Je pars d'un produit et j'ajoute deux ou trois saveurs, ça doit être précis comme une montre. Je collabore aussi souvent avec de grands événements et de grandes marques comme Rolex. Dans ce contexte, je travaille de belles pièces, il s'agit de ne pas dénaturer le produit, mais de le sublimer!  

Avez-vous des produits phares que vous aimez travailler?

J'adore travailler le poisson et j'aime beaucoup ceux que l'on peut pêcher dans le lac Léman. Mais la biodiversité est menacée, il faut les cuisiner avec parcimonie. J'utilise donc aussi des poissons de mer. Les légumes et les herbes aromatiques me passionnent également. On s’amuse en cuisine avec les garnitures et les plats végétariens, avec des jus, des bouillons, des décoctions, du cru, du cuit… Je propose une cuisine équilibrée et saine. Après le Covid, ce retour à la terre, aux produits de saison et locaux prend beaucoup de sens.

L'hôtel se positionne dans une logique durable, est-ce que cela se reflète dans vos assiettes?

Oui, c'est vraiment important que la durabilité se retrouve aussi dans les assiettes. On utilise non seulement les légumes, les fruits et les herbes qui sont produits dans le potager du parc avec des techniques inspirées par la permaculture, mais aussi le miel de nos ruches. De plus, nous essayons de réduire les déchets au maximum, en diminuant le plastique. Par ailleurs, nos déchets végétaux sont transformés sur place en substrat, qui est utilisé comme engrais pour le jardin. L'année dernière, nous avons transformé et réutilisé 7 tonnes de déchets végétaux en 7 mois. On a vraiment changé les choses depuis quelques années.

Quelle est la part de produits issus du jardin de l'hôtel que vous utilisez dans vos plats?

Tout dépend des saisons et de la fréquentation. Avec le Covid, comme nous avons fermé un certain temps nous avions beaucoup de légumes. En hiver c'est plus compliqué. Et, cet été, je devrais pouvoir préparer 90% des garnitures du restaurant étoilé Les Fresques avec les produits issus du jardin, grâce à un beau mois de mai. Ici, les saisons sont aussi décalées par rapport aux régions méditerranéennes. Nous devons attendre un peu avant de pouvoir récolter, mais l'année dernière, j'avais encore des tomates et des courgettes en octobre. En ce qui concerne les herbes aromatiques, 100% de ce que j'utilise vient du potager.

Et d'où viennent les produits qui ne sont pas cultivés dans le jardin? Comment choisissez-vous vos producteurs?

Je reste le plus près possible d'Evian. Pour le poisson par exemple, je vais chez Eric Jacquier à Lugrin, qui est un pêcheur connu sur le Léman. Le safran vient d'un cultivateur qui se trouve à Draillant vers Thonon-les-Bains, les fromages de la Ferme du Noyer sur les hauteurs d'Evian et de Monsieur Gay – Meilleur ouvrier de France – qui se trouve à Annecy, la viande de Monsieur Trolliet, Meilleur ouvrier de France à Lyon. Et pour les légumes qui me manquent, ce sont les marchés d'Annecy ou d'Avignon qui me permettent de compléter mes préparations. Par ailleurs, je fais partie du Collège Culinaire de France, qui réunit des restaurateurs et des producteurs artisans de qualité afin de faire émerger un nouvel écosystème fondé sur l’artisanat et la diversité culinaire.

La pénurie de personnel frappe-t-elle également de l'autre côté du lac?

Oui, c'est aussi compliqué ici, et à cela s'ajoute l'attrait d'un meilleur salaire en traversant la frontière. Heureusement, j'ai la chance d'avoir une belle équipe qui est fidèle. Même si les horaires coupés les font hésiter à s'éloigner de leur domicile, c'est à nous de les choyer afin d'éviter qu'ils partent sur l'autre rive du Léman. Pour alléger les horaires, le restaurant gastronomique Les Fresques n'est ouvert que cinq jours par semaine et uniquement le soir. De toute façon, la gastronomie devra s'adapter et changer, on ne pourra pas continuer ainsi éternellement.