«Nous devons donner envie aux jeunes»

– 03 juin 2022
Après Anton Mosimann en 2019, Franck Giovannini est la deuxième personnalité visionnaire de l’hôtellerie-restauration à s’être vu décerner le prix de la «Flamme de l’accueil». Le chef triplement étoilé de 48 ans nous parle du concept du Restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier, de régionalité et de l’amour de son métier.

Traduction: Caroline Goldschmid

GastroSuisse vous a décerné la Flamme de l’accueil, un prix qui récompense votre passion exceptionnelle pour la gastronomie. Que signifie cette distinction pour vous?
Franck Giovannini: C’est un grand honneur, je suis très touché. Je vois ce prix comme une confirmation de ce que tout le monde réalise ici au quotidien. Pour ce que je fais ici depuis près de 30 ans.

Vous avez travaillé sous la direction de Frédy Girardet, de Philippe Rochat et de Benoît Violier. Comment le Restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier a-t-il évolué depuis cette époque jusqu’à aujourd’hui?
Oh, beaucoup de choses ont changé. Ce qui est resté, c’est la ligne claire de Girardet, le travail avec les meilleurs produits et les goûts francs et compréhensibles. Nous ne mélangeons jamais 15 ingrédients différents dans une même assiette. Le client doit reconnaître les produits au palais. Ce qui a évolué, c’est l’unicité, la présentation, les plats sont aujourd’hui plus légers et plus sains.

Chaque carte que vous imaginez est entièrement nouvelle. Pas un seul plat d’une carte précédente n’y figure. Cela représente un énorme effort ...
Nous nous orientons toujours vers les produits de saison, mais nous ne cuisinons jamais la même chose que les années précédentes. Sur le menu à la carte, nous proposons cependant toujours des classiques de Monsieur Girardet et de Monsieur Rochat, c’est tout aussi important pour nous.

Où trouvez-vous l’inspiration pour élaborer de nouveaux plats?
Je ne sais pas ... La créativité, c’est mon truc. Je suis la ligne de la maison et de la saison. Et cela me donne des idées.

Le Restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier est l’un des rares établissements gastronomiques à proposer une large offre à la carte en plus du menu. Ce qui représente un grand plus pour le client, mais aussi un grand défi pour vos cuisiniers ...
Nous avons des clients qui se laissent volontiers surprendre par notre menu. Mais nous avons aussi des habitués qui mangent vingt fois par an chez nous. Ils dégusteront toujours quelque chose de différent grâce au large choix proposé.

Votre cuisine est-elle plus régionale que celle de vos prédécesseurs?
Je ne veux pas acheter d’asperges d’Amérique du Sud ou de morilles du Canada. Les produits doivent si possible provenir de Suisse. Et sinon, de pays proches comme la France ou l’Italie, mais pas plus loin. Je considère aujourd’hui qu’il est de mon devoir d’être un modèle à cet égard. Même si les produits sont très bons, nous ne devrions pas acheter des produits qui ont été transportés par avion en provenance d’Asie, du Pérou ou d’Australie. De la vanille ou du poivre, d’accord. Mais je ne dois pas en acheter tous les jours. Avec cette restriction, je me force à cuisiner vraiment de saison. Faire voyager une tomate sur 25 000 kilomètres n’a aucun sens.

Alors vous préférez renoncer à la meilleure tomate ...
Non, j’ai la meilleure tomate en Suisse. Pendant sa saison, qui est courte dans notre pays, c’est la meilleure.

Revenons-en au défi que doit relever votre brigade: vous créez cinq menus par an, auxquels s’ajoutent les classiques.
Il ne fait aucun doute que c’est un défi pour mon équipe. Mais nous aimons ce concept. Pendant la semaine de Noël, il n’y a qu’un seul menu. C’est plus simple pour la brigade, mais monotone. En ce moment, nous proposons cinq plats de poisson différents, ce qui est plus intéressant pour les cuisiniers.

Comment cela fonctionne-t-il sur le plan logistique? Vous pouvez difficilement avoir 50 soles pour 50 invités dans la cuisine, au cas où chacun commanderait la même chose ...
Nous avons un menu écrit et un menu surprise. Cela me donne une marge de manœuvre. Ensuite, nous avons une table d’hôte dans la cuisine. Pour celle-ci, je décide du menu. Environ la moitié des clients ne savent pas à l’avance ce qu’ils vont déguster. Notre concept exige une bonne communication permanente entre la cuisine et le maître d’hôtel. C’est la seule façon pour lui de ne pas vendre aux clients des plats qui ne sont plus disponibles. Nous ne jetons rien.

En parlant de maître d’hôtel, quelle importance accordez-vous au service, c’est-à-dire à tout ce qui se passe en dehors de votre royaume culinaire?
Ici, beaucoup de choses ont changé au fil des ans. Je suis moi-même très calme, je ne crie pas. Les clients peuvent manger dans la cuisine. Et dans la salle de restaurant, il règne aujourd’hui une atmosphère bien plus détendue qu’auparavant. Nous sommes toujours aussi professionnels, mais plus décontractés.

Qu’est-ce qui vous motive à réaliser chaque jour des performances de pointe avec votre équipe?
C’est l’amour de mon métier, cette flamme qui brûle pour la cuisine. Qu’elle s’éteigne est ma seule crainte. J’aime rendre les clients heureux. J’aime préparer de superbes plats à partir de ces produits. Nous travaillons dans un métier où nous voyons des résultats deux fois par jour. C’est vraiment génial. Créer quelque chose chaque jour avec mes collaborateurs me motive. Avec la nouvelle boulangerie, nous atteignons les 85 collaborateurs, il y a tellement de choses qui bougent.

Impossible de ne pas évoquer la pénurie de personnel qualifié. En tant que détenteur de la Flamme de l’accueil: où y a-t-il le feu?
Les temps ont changé, les exigences des gens ne sont plus les mêmes qu’auparavant. La gastronomie et l’hôtellerie doivent y répondre. Dans le canton de Vaud, 50% des collaborateurs quittent la branche au plus tard à l’âge de 20 ans. Nous devons donner envie aux jeunes. Si le chef est toujours en train de se plaindre, l’équipe ne pourra pas être motivée. Nous devons montrer à quel point notre travail est formidable. Personnellement, j’essaie de montrer l’exemple au quotidien. Cela n’a pas toujours été le cas ici.