«Nous avons énormément de respect pour ce lieu»

Caroline Goldschmid – 27 octobre 2022
Le Tonnelier, à Bulle, a été nommé «Restaurant historique de l’année 2023». C’est en 2018 que Carlos Tenera, Olivier Perler et Georges Prost ont acquis l’établissement devenu une auberge en 1844. Après deux ans de réfection, l’âme des lieux a été préservée et savamment valorisée par des touches de modernité.

Au moment d’envoyer votre candidature pour le prix «Restaurant historique de l’année 2023», il y a environ six mois, pensiez-vous avoir toutes vos chances de gagner?
Carlos Tenera: Nous étions plutôt confiants, car notre dossier réunissait toutes les conditions nécessaires. Notre restaurant est le plus emblématique de la ville de Bulle – et le plus ancien! Et nous sommes très contents du résultat après les grandes transformations qui ont duré deux ans.

Que représente ce prix Icomos pour vous?
Olivier Perler: C’est une forme de reconnaissance par rapport à tout le travail accompli. Cette récompense représente aussi une opportunité commerciale: c’est une belle vitrine.

Pourquoi était-ce important de préserver le patrimoine historique du Tonnelier?
Carlos Tenera: Je parle pour nous trois en disant que nous avons énormément de respect pour ce lieu et pour la culture qui y est attachée. Il était très important pour nous que le bistrot garde son âme et que les traces de son histoire soient visibles. Il était exclu de tout repeindre en blanc immaculé et de rendre les lieux froids ou insipides!
Olivier Perler: On ne reprend pas un bâtiment comme celui-ci pour en faire autre chose. Cela aurait été du gâchis de gommer son identité. Nous voulions apporter de la modernité tout en gardant l’esprit de l’époque. Cela dit, nous avons dû faire face à de nombreuses contraintes, comme les normes antifeu.

Moderniser un lieu tout en gardant son âme, voilà un exercice compliqué. Comment vous y êtes-vous pris?
Olivier Perler: Nous avons travaillé main dans la main avec le Service des biens culturels du canton de Fribourg. Et nous avons fait appel au bureau d’architecture OCSA, à Bulle, ainsi qu’à une décoratrice d’intérieur, Thérèse Chollet, du cabinet Ipsum, également à Bulle. Elle nous a énormément aidés dans nos choix.

L’investissement a dû être colossal ...
Carlos Tenera: Le coût des rénovations se chiffre à 5 millions de francs. Au fur et à mesure des travaux, il y a eu quelques mauvaises surprises et le budget a dû être revu à la hausse. Mais cela représente surtout beaucoup de temps et d’énergie pour entériner toutes les décisions et faire le suivi des travaux.

En 2018, vous deux et Georges Prost avez racheté Le Tonnelier. Quelles fonctions occupe chacun d'entre vous?
Carlos Tenera: Nous sommes tous les trois à la fois les propriétaires et les administrateurs de la société. Moi, on va dire que je suis le directeur général, puisque je gère tout ici, y compris les cuisines.
Olivier Perler: Nous trois sommes également propriétaires du bar à vins et à tapas Le 43, à Bulle, que je gère depuis une quinzaine d’années. Je me suis impliqué durant les transformations du Tonnelier. J’ai endossé le rôle de chef de chantier, en quelque sorte. Je m’intéresse beaucoup à l’architecture! Quant à Georges Prost, notre «tête pensante», il est en charge des finances et de l’administration.

Le chantier a débuté en 2019 et l’ouverture de l’hôtel-restaurant a eu lieu deux ans plus tard, le 1er juin 2021. Les travaux se sont donc déroulés en partie durant la pandémie ...
Olivier Perler: Oui, et cela ne nous a pas vraiment arrangés, car nous aurions voulu ouvrir plus tôt, mais le chantier a pris du retard à cause de la crise sanitaire. Disons qu’après deux ans de travaux, on finit par être fataliste (rires)! Et, une fois que le résultat est là, on oublie les mauvais moments et les galères.

 

LeTonnelier CarlosTenera by Nicolas Righetti Web

Carlos Tenera, 40 ans, patron et chef de cuisine du Tonnelier, prend la pause devant l’une des fameuses fresques qui ornent la salle du rez-de-chaussée. (Photo: Nicolas Righetti)

Après un an et demi d’activité, quel est votre bilan?
Carlos Tenera: Je suis très content! Il y a encore quelques réglages à faire à l’interne, mais dans l’hôtellerie-restauration, on n’a jamais fini! Les chiffres sont bons et nous savons que nous pouvons faire encore mieux. Le Covid a changé les habitudes des gens. Cela dit, nous avons une chance inouïe: les mêmes clients reviennent plusieurs fois dans la semaine, ce qui veut dire que nous faisons quelque chose de juste. Pour moi, la fidélité des clients est la plus grande des récompenses. Etre un restaurant de plus, cela ne m’intéresse pas. Par contre, si nous représentons un plus, c’est gagné. Nous essayons de nous différencier à travers notre offre.

Cette offre, quelle est-elle?
Carlos Tenera: C’est une cuisine de brasserie remise au goût du jour. La brigade est constituée de cuisiniers venant des quatre coins de l’Europe: France, Géorgie, Italie et Portugal. Chacun apporte sa touche. Nous changeons la carte toutes les six semaines, ce qui nous permet de travailler avec un maximum de produits de saison. Nous sommes neuf en cuisine, et ce n’est pas un luxe: les fins de semaine sont intenses. Nous sommes ouverts 7/7 jours, du matin au soir.

Quelles sont les particularités du Tonnelier?
Carlos Tenera: En plus des parties café et restaurant, on a un grand assortiment d’alcools forts: deux barmen font d’excellents cocktails signature. Il y a aussi une salle privatisable au sous-sol, «La désalpe», où nous accueillons des séminaires et des anniversaires. Exploiter davantage cet espace, notamment en organisant des expos, fait partie de nos projets. Enfin, je dirais que les fresques – datant de 1901 – qui figurent sur les murs de la salle du rez-de-chaussée sont un vrai plus: parfois, les gens entrent dans le restaurant juste pour les admirer.
Olivier Perler: La fresque qui recouvre les murs extérieurs de l’établissement mérite aussi d’être mentionnée. Elle a été réalisée par Franck Bouroullec, un artiste-peintre français établi à Vevey. Elle raconte l’histoire de «Pauvre Jacques», dont le héros était marié à une descendante d’un ancien propriétaire du Tonnelier. Elle figure sur la partie hôtel, datant des années 1960, que nous voulions rendre un peu plus joyeuse. On y voit notamment un fumeur de pipe et une vache qui font des bulles, à Bulle! Nous adorons cette fresque et nous en sommes très fiers.

L’aventure a commencé par une histoire d’amitié …
Carlos Tenera: J’étais client du bar Le 43, qui était déjà tenu par Olivier à l’époque ...
Olivier Perler: ... et moi j’étais client de son ancien restaurant, la Pinte des Vernes, à Pringy (FR). Cela doit faire une bonne vingtaine d’années qu’on se connaît. Quant à Georges, c’est mon beau-frère. Au moment où nous avons su que Le Tonnelier était à vendre, nous avons sauté sur l’occasion.

Devenir associés aurait pu mettre en danger votre amitié ...
Carlos Tenera: Non, car il y a une base commune chez nous trois: nous aimons faire plaisir aux gens. Nous sommes bienveillants et honnêtes, et le travail ne nous fait pas peur.

Votre équipe est-elle au complet ou peinez-vous à recruter face à la pénurie de personnel qualifié?
Carlos Tenera: Cela fait un an que je cherche un pâtissier. Sinon, l’équipe est au complet, mais les débuts ont été difficiles en termes de recrutement. En 25 ans de métier, c’est la première fois que je vivais ça. Tout était fermé, on a donc dû engager des gens sans pouvoir faire un jour d’essai. Les premiers services, c’était l’enfer! Aujourd’hui, ça roule, l’équipe est stable et motivée. Nous avons instauré une ambiance familiale et les collaborateurs savent qu’ils peuvent compter sur nous.

En somme, vous êtes des patrons heureux ...
Carlos Tenera: Si vous passez une soirée à Bulle, vous ne repartirez plus! Ici, les gens aiment faire la fête et ont un esprit très ouvert. Les confrères sont des amis, l’ambiance est conviviale et solidaire: on se prête du matériel et des fois se donne même des coups de main pour le service.

LeTonnelier NR DSF0105 WEB

★ Dates et chiffres-clés
1780: Le Gouvernement de Fribourg autorise Jacques Glasson à ouvrir un débit de boissons et à installer un four à pain à l’enseigne du Tonnelier acquise des frères Majeux
1805: Le 2 avril, un incendie détruit une grande partie de la ville de Bulle. Le nouveau bâtiment est reconstruit selon les plans de l’architecte Charles De Castella
1844: Le Tonnelier devient officiellement une auberge
2018: Rachat par Carlos Tenera, Olivier Perler et Georges Prost (aujourd’hui âgés de 40, 60 et 62 ans)
2019: début des transformations
1er juin 2021: ouverture du Tonnelier en tant qu’hôtel-restaurant (18 chambres et 120 couverts)
Le Tonnelier emploie 24 collaborateurs