La reine lausannoise des cocktails culinaires

Caroline Goldschmid – 24 février 2023
Actuellement barmaid à l’EHL, Marion Moutte va concourir début mars à Palerme, dans le cadre de l’Open World Cocktail Competition. La mixologue de 32 ans expérimentera pour la première fois une technique à ultrasons ­innovante. Portrait d’une passionnée portée par sa créativité et ses rêves.

Née en octobre 1990, à Cannes, Marion Moutte grandit dans la région niçoise. Dès l’adolescence, elle a la bougeotte et grâce au sport-études, elle commence à voyager, à Lille d’abord, puis en Europe. «A 18 ans, mon bac technique en poche, je suis partie en Slovaquie dans l’idée d’intégrer l’équipe nationale de lutte, mais aussi parce que mon premier amour était slovaque», sourit la Française. L’aventure – sportive et amoureuse – se terminera moins d’un an plus tard et c’est quelque peu chamboulée que Marion rentre à Nice. Alors que l’envie de voyager se fait sentir, la restauration s’avère idéale pour «s’acheter ses premiers billets d’avion». Elle commence en cuisine dans un restaurant de plage. «J’ai réalisé que j’aimais le contact avec les clients, ce qui m’a amenée à faire du service en salle.»

Marion travaille ensuite au sein de belles maisons en France, comme le restaurant triplement étoilé La Chèvre d’Or, à Eze, Le Méridien Beach Plaza, à Monaco, ou encore L’Annapurna, à Courchevel. Dans cet hôtel de luxe, elle fait la connaissance d’un restaurateur anglais qui finira par la débaucher pour l’employer dans son établissement londonien. Elle a alors son premier contact avec le bar, fascinée par les cocktails servis, à base de feuilles de cigare dans du rhum ou de sirop de coriandre et de piment goût guacamole. «Je me suis dit: ‹Moi aussi, je veux savoir faire ça!›»

Les cocktails culinaires, sa spécialité
Après avoir suivi une formation en Inde au sein d’une école de bar fondée par un copain, Marion arrive en Suisse en 2017. Au Royal Savoy, à Lausanne, elle travaille aux côtés de Romain Tritsch, aujourd’hui président en Suisse romande de la Swiss Barkeeper Union. «Il est devenu mon mentor et nous sommes amis.» Lorsqu’elle arrive au bar Lausanne Cocktail Club, elle commence à se définir en tant que barmaid et à dévier sur le cocktail culinaire. «Je voulais réaliser des créations de plus en plus poussées en termes de saveurs et de mélanges inhabituels d’ingrédients.» Durant la pandémie, elle crée avec son collègue Raphaël Ritz le «Golden Goat», à base de vodka, fromage de chèvre, noix, thym, jus de pomme et miel. L’idée? «Retrouver les saveurs d’une salade de chèvre chaud que l’on déguste souvent l’été, en terrasse. Le soleil est dans le verre! Et cette création m’a permis de remporter le Championnat suisse de cocktails en 2020. C’était la première fois qu’un cocktail culinaire était présenté lors d’une compétition nationale.»

Prochain concours début mars
Une victoire qui l’a encouragée à continuer dans cette voie: début mars, elle participera à l’Open World Cocktail Competition, à Palerme. Elle y présentera son «Golden Goat», mais cette fois, le règlement exige une préparation de 15 minutes maximum. «En temps normal, il me faut 36 heures pour le préparer (n.d.l.r.: notamment à cause du temps de congélation nécessaire pour séparer la graisse contenue dans le fromage et ainsi l’ôter du mélange liquide), donc là, c’est un gros challenge! Cela me pousse à réfléchir différemment.»

Pour y arriver, Marion va utiliser la technique de l’ultrasonique. Un plongeur à ultrasons devrait lui permettre de préparer la vodka au fromage en huit minutes seulement. «Ce sera la première fois que je vais expérimenter cette technique!» Marion travaille de longs mois sur une création, réalise des tests, s’informe sur des techniques innovantes. Et surtout, elle aime sortir du lot en utilisant des ingrédients insolites: algues, bonites, fourmis, truffe noire … Sortir des sentiers battus, se perfectionner et ressentir l’adrénaline de la compétition sont autant de raisons qui la poussent à participer à des concours de haut niveau. «Ça me stimule!»

A l’EHL, elle transmet son savoir
Après la belle aventure du speakeasy Don’t Tell Aunty, qui a brusquement fermé ses portes en juin (mais qui a été racheté depuis et rouvert avec un autre concept), Marion prend le temps de réfléchir et finit par accepter un poste à l’Ecole hôtelière de Lausanne. L’EHL a agrandi son campus l’année dernière et deux points de vente ont pu être ouverts, créant des emplois. «Je me demandais si j’étais prête à ne plus vivre cette effervescence du service au bar et à quitter ce contact avec le client au profit d’un emploi à l’aspect pédagogique. Au final, j’ai bien fait d’accepter, car je m’y plais!» En tant que barmaid à l’EHL, Marion encadre les élèves dans la pratique, en leur inculquant astuces et techniques de service. Elle aime transmettre, car «c’est créer une communauté».

La mixologie est une passion qu’elle continue à exercer durant ses heures de libre. «Avec quatre amis, nous avons fondé une start-up baptisée La Flask. Nous mettons des cocktails en bouteille, destinés aux professionnels de la restauration qui n’ont pas de barman.» A l’heure actuelle, les bouteilles de 15 cl se déclinent en quatre versions: «La Chèvre», «La Figue», «La Bergamote» et «Le Chocolat». Cette dernière est à base de porto et les autres sont des cocktails à base de vodka ou gin. Un restaurant (Origali, à La Chaux-de-Fonds) collabore déjà avec la start-up.

Sur une plage abandonnée ...
Parmi les associé.e.s de La Flask figure également la compagne de Marion, Tessa (30 ans), qui est cheffe de partie à la brasserie de l’EHL. En couple depuis plus de trois ans, les amoureuses vivent et travaillent ensemble. Et prévoient de faire encore un bon bout de chemin côte à côte puisqu’elles viennent d’acheter un terrain dans l’arrière-pays niçois au milieu duquel se trouve un mobile home. Les deux trentenaires aspirent à un retour à la nature et souhaitent vivre un jour en autosuffisance. Pour protéger ce patrimoine récemment acquis et surtout pour consolider cet amour, le couple envisage de sceller cette union. Agrandir la famille? «Cette question revient souvent sur la table, mais reste ouverte car nous sommes encore jeunes. Moi, je me verrais bien maman: j’aimerais transmettre. Et je ressens cet instinct maternel qui grandit en moi.» En attendant, elles rêvent d’ouvrir leur propre établissement, «sur une plage au soleil».

 

★ Le monde du bar, une famille

Selon Marion Moutte, «de plus en plus de femmes font leurs armes derrière le bar» et de citer plusieurs établissements lausannois qui emploient des barmaids. Cela dit, la mixologue rappelle que le monde de la nuit et sa clientèle peuvent rendre ce travail difficile. «Il faut avoir un caractère bien trempé!» Elle dit avoir eu une énorme chance d’avoir toujours été bien entourée. «Peut-être qu’une femme devra donner deux fois plus, mais à partir du moment où l’envie d’avancer est partagée, elle sera toujours soutenue.» Et d’ajouter: «J’invite les jeunes à se lancer, car ils vont trouver une famille, découvrir le monde et de nouvelles saveurs. C’est un très bel univers!»