La gastronomie botanique s’invite à St-Moritz

Isabelle Buesser-Waser – 23 janvier 2025
Nicolas Decloedt et Caroline Baerten figurent parmi les chefs invités au St. Moritz Gourmet Festival. Les tenanciers du restaurant Humus x Hortense à Ixelles (Belgique), récompensé d’une étoile et d’une étoile verte au guide ­Michelin, y présenteront leur cuisine botanique. Interview d’un chef engagé.

Nicolas Decloedt, vous participez au St. Moritz Gourmet Festival du 27 janvier au 2 février. Qu’allez-vous cuisiner pour cet événement?
Nicolas Decloedt:Nous proposerons notre menu actuel, tout en réintégrant quelques préparations réalisées précédemment. Bien sûr, nous allons simplifier certains aspects car il n’est pas facile de cuisiner à l’extérieur de notre établissement. Grâce au menu de dégustation végétal à plusieurs plats, nous voulons emmener les invités du festival à la découverte de notre gastronomie botanique.

Emportez-vous vos propres produits depuis la Belgique ou sélectionnez-vous des produits sur place? 
C’est un mélange des deux. Nous emporterons certains éléments, que nous pourrons difficilement trouver en Suisse, notamment des produits exceptionnels de notre maraîcher. Pour les autres ingrédients de base, nous les achèterons sur place, afin de profiter des produits locaux. La Suisse possède un terroir fantastique et des petits producteurs où nous sommes sûrs de trouver les meilleurs ingrédients.

Avec combien de personnes faites-vous le voyage et comment allez-vous compléter votre équipe sur place? 
Nous partons à cinq: ma compagne Caroline Baerten, notre sous-chef et deux commis. Le festival et l’hôtel nous mettent à disposition quelques commis supplémentaires.

Est-ce que l’intégration de commis qui n’ont pas l’habitude de votre cuisine est un défi supplémentaire?
Oui, c’est un défi de plus. Notre cuisine est très différente de la cuisine classique et il faut du temps pour s’y adapter. Les personnes qui complètent notre équipe ne sont pas habituées à travailler les légumes comme nous le faisons. Il est donc indispensable de bien les encadrer.

Vous faites de la «Gastronomie botanique», qu’est-ce que cela signifie?
Nous n’utilisons ni viande, ni poisson, ni aucun ingrédient d’origine animale dans notre restaurant. Nous pratiquons une cuisine gastronomique axée sur les légumes, mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, cela va bien au-delà des légumes. Nous explorons tout l’univers botanique: herbes, racines, légumineuses, et bien sûr, les légumes eux-mêmes. Nous ne percevons pas cela comme une restriction mais plutôt comme une invitation à repousser les limites de la créativité et à explorer le monde botanique de notre ferme en permaculture et de notre forêt. Cet aspect est le premier des cinq principes qui régissent notre travail (lire encadré). 

Existe-t-il beaucoup de haute gastronomie végane en Europe? 
C’est encore un secteur de niche. En Europe, il n’y a qu’un autre restaurant aux Pays-Bas qui suit une approche similaire à la nôtre. Par ailleurs, nous avons choisi le terme «botanique» plutôt que «végane» car ce terme est parfois connoté et nous souhaitons transmettre une image positive.

Quelles sont les principales difficultés lorsque l’on cuisine à base de plantes?
C’est une cuisine bien plus complexe à plusieurs niveaux. D’une part, au niveau des attentes des clients: la cuisine gastronomique est souvent associée à la viande ou au poisson, des produits perçus comme des produits de luxe. De notre côté, nous ne les travaillons pas. D’autre part, d’un point de vue technique, la viande et le poisson sont riches et produisent naturellement des saveurs umami, ce qui n’est pas le cas des plantes. Il faut donc beaucoup de techniques pour développer les saveurs. En outre, la préparation des légumes demande plus de créativité, de réflexion et de travail.

Vous souhaitez proposer une cuisine durable. Pouvez-vous aller jusqu’au bout de cet objectif? 
Oui, cela fait 15 ans que nous faisons de la cuisine botanique, bien avant que ce soit une tendance. Nous avons les connaissances et les compétences pour aller jusqu’au bout de notre démarche. Humus x Hortense est le premier restaurant gastronomique en Belgique qui adopte une politique 100% zéro déchet et durable et qui met en place des processus quotidiens. Nous avons d’ailleurs reçu le prix de la durabilité décerné par Gault et Millau en 2022. Cette durabilité s’exprime dans tous les domaines: la nourriture et les boissons, la gestion des déchets, le bannissement de l’eau en bouteille et de produits jetables comme les serviettes en papier, la réduction de la pollution (mobilité douce pour les employés et produits d’entretien écologiques), une politique d’utilisation rationnelle de l’eau, du mobilier durable, et des fournisseurs d’énergie verte. 

Devez-vous tout de même parfois faire des concessions sur vos valeurs? 
Aujourd’hui, nous n’avons plus besoin de faire de concessions. En cuisine, nous travaillons avec les produits de notre jardin toute l’année, même en hiver: le climat belge est plus clément que celui de la Suisse. Par ailleurs, il y a de plus en plus de producteurs locaux, ce qui nous permet de proposer une grande variété de produits. Grâce à notre notoriété, ce sont eux qui viennent vers nous. Par exemple, nous collaborons avec un agrumiculteur situé à une heure de chez nous. Il devient donc de plus en plus facile de respecter nos valeurs. 

Vous faites de la haute gastronomie. Mais cela serait-il viable pour les restaurateurs qui s’adressent à des clients avec des budgets plus modestes? 
Je suis convaincu que c’est possible pour tous et que cela devrait être la norme. Les labels ne devraient même pas exister, car la durabilité devrait être un standard. Si quelqu’un utilise des produits industriels, il devrait y avoir un avertissement, à l’instar des paquets de cigarettes. Si les restaurateurs le souhaitent, il est très facile de ne travailler qu’avec des produits biologiques. En supprimant les intermédiaires, on paie moins tout en permettant au producteur de gagner plus.

Qu’en est-il des vins? 
Nous travaillons exclusivement avec des crus européens et élargissons de plus en plus notre sélection de vins belges. Bien que notre offre locale soit encore limitée, notre carte des vins reste conforme à nos valeurs. Tous nos vins sont issus de l’agriculture biodynamique ou biologique.

Et concernant les autres boissons? 
Un de nos piliers est la création de cocktails en accord avec nos plats, à base des restes des ingrédients que nous utilisons et de macérations. Caroline est responsable de ces créations, alcoolisées ou non.

Votre compagne, Caroline Baerten crée également la vaisselle, pouvez-vous nous en parler? 
En effet, Caroline confectionne de la vaisselle dans son atelier. Elle se passionnait déjà pour la céramique avant l’ouverture du restaurant. L’argile pour la vaisselle provient également de carrières belges.  Intégrer ses créations dans notre projet nous est donc apparu comme une évidence.

Comment se portent la gastronomie et la haute gastronomie en Belgique? 
La Belgique est le pays d’Europe qui compte le plus grand nombre de restaurants étoilés au mètre carré, plus encore que la France. Il s’agit donc d’un pays où l’on aime bien manger. Toutefois, après la pandémie et la crise inflationniste qui s’en est suivie, nous constatons que la gastronomie belge est de plus en plus en difficulté. Je pense que la situation est similaire dans toute l’Europe. Nous entendons partout que c’est difficile, nous sommes tous dans le même bateau.

Comment vous en sortez-vous personnellement? 
Nous ressentons la complexité de la situation, mais nous nous en sortons bien. Grâce à l’expérience culinaire unique que nous offrons à nos hôtes, la demande reste forte.

Quelle est votre recette du succès?  
Je pense que notre succès réside dans le fait que nous sommes différents, très spécifiques, et que nous maîtrisons parfaitement ce que nous faisons. Nous nous remettons en question chaque jour. Nous sommes uniques dans notre région, alors que les autres restaurants sont nombreux à proposer des concepts similaires.

Quelle est votre clientèle? Est-elle principalement végane? 
Seulement 5 à 10% de nos clients sont végans ou végétariens. La majorité est omnivore. Les gens viennent surtout pour la qualité de l’expérience, et l’aspect «avant-gardiste» de notre offre joue également un rôle important.

Souffrez-vous également de pénurie de personnel qualifié?
En cuisine, cela se passe assez bien car ce que nous faisons est unique et les cuisiniers sont intéressés à travailler avec nous. Nous offrons de très bonnes conditions de travail et une politique de management humaine. Le plus grand défi est de trouver du personnel qualifié en salle. 

Les fédérations belges prennent-elles des mesures pour résoudre ce problème à l’instar du projet Avanti de GastroSuisse? 
Elles prennent le problème au sérieux, mais pour l’instant, aucune solution concrète n’a été trouvée. Heureusement que de nombreux artistes doivent exercer une activité annexe pour pouvoir survivre, sinon il n’y aurait plus personne en salle!

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(photo: Kris Vlegels)

★ Nicolas Decloedt et Caroline Baerten 

Nicolas Decloedt (47 ans) et Caroline Baerten (47 ans) ont ouvert le restaurant Humus x Hortense en 2016. Tous deux ont été formés à l’institut culinaire Ter Duinen. En charge des fourneaux, Nicolas a développé une cuisine guidée par la recherche botanique à travers 24 microsaisons. Les compositions de chaque assiette reflètent son souci du détail en tant qu’ancien photographe d’art. Cheffe, sommelière et mixologue, Caroline crée des cocktails d’inspiration culinaire et des mocktails botaniques servis en accord avec le menu dégustation. Ancienne historienne de l’art, elle expose ses compétences artistiques dans la décoration d’intérieur et la vaisselle en céramique.