Traduction: Isabelle Buesser-Waser
Anja-Margaretha Moritz, vous avez décidé avec votre mari Roman de proposer uniquement des menus et plus de plats à la carte. Quelle en est la raison?
Anja-Margaretha Moritz: Plusieurs facteurs ont conduit à cette décision. Nous nous engageons à offrir à nos hôtes une expérience complète centrée sur le goût et présentons nos menus à cet effet. Un seul plat ne suffit pas à rendre justice à notre concept de «Slow Food» et à notre mise en valeur de la région et la nature. Nous voulons offrir à nos hôtes du temps pour la gastronomie et créer ainsi une parenthèse pour laisser le quotidien derrière soi.
Et quelles sont les autres raisons?
Anja-Margaretha Moritz: Dans le service à la carte, un plat perd de son raffinement en raison de la taille des portions. Pensez à l’entrée avec les betteraves! Si celle-ci était deux fois plus grande en tant que plat à la carte, le plat n’aurait plus rien d’esthétique. Ne choisir qu’un seul plat, cela signifie pour nous ne pas prendre le temps d’apprendre à nous connaître. Dans ces cas-là, il s’agit généralement d’être rassasié en peu de temps. Ce n’est pas notre idée de la gastronomie.
Vous avez obtenu une étoile et une étoile verte Michelin en janvier 2025. Laquelle est la plus importante pour vous?
Roman Pichler: Pour moi, les deux sont très importantes. D’une manière générale, il faut changer de mentalité. Il ne faut plus que nous fassions les meilleurs produits de l’autre bout du monde coûte que coûte. Nous devons revenir à ce que faisaient les générations précédentes. L’alimentation joue un rôle important dans la santé. Nous devons ouvrir les yeux et goûter. La fermentation, par exemple, est super saine et n’est pas une invention récente. Mais elle a disparu avec l’industrialisation. Nous voulons une cuisine honnête avec des aliments régionaux authentique de la meilleure qualité possible.
Vos plats sont à la fois innovants et reliés au terroir. Le plat d’asperges au barbecue en pierre de lave, la truite saumonée avec la meilleure vinaigrette de ma vie et le plat de betteraves rouges que vous avez évoqué étaient sensationnels. Où retrouve-t-on la Carinthie dans votre cuisine?
Roman Pichler: Nous essayons de cuisiner de manière très authentique, mais nous utilisons aussi des produits d’autres provinces, comme l’huile de pépins de courge de Styrie. Je suis moi-même styrien. Cela peut être une escalope d’agneau viennoise avec une mayonnaise aux herbes ou une salade de tomates sauvages à l’huile de pépins. Que cela représente la Carinthie, la Styrie ou la cuisine viennoise, cela dépend de l’œil de l’observateur. La cuisine autrichienne a une réputation mondiale, mais elle est trop peu pratiquée dans la haute gastronomie.
Que voulez-vous dire?
Roman Pichler: Nos auberges communales ne feront probablement jamais la une d’un grand quotidien suisse. Ce sont ceux qui pratiquent la cuisine alpine comme Andreas Döllerer, Vitus Winkler ou Hannes Müller qui sont sur le devant de la scène. C’est à nous maintenant de concquérir le monde.
Et qu’est-ce qui caractérise la cuisine carinthienne?
Roman Pichler: Il y a par exemple le Reindling de Carinthie. C’est un gâteau en forme de bol avec du sucre, des raisins secs et des noix. Ou les pâtes au fromage de Carinthie ou le ritschert à l’orge perlé. Les haricots et l’orge perlé sont mis à tremper séparément dans de l’eau froide pendant environ six heures et sont ensuite cuits dans le bouillon de côtes de bœuf fumé avec des légumes coupés en petits morceaux, comme une soupe un peu plus épaisse. C’est une recette très ancienne avec des ingrédients que chaque ferme produisait. Maintenant, nous sommes revenus à cet ADN. C’est pourquoi, au printemps, nous avons servi des ritschert de truite fumée en amuse-bouche.
Vous avez repris l’établissement des parents de votre femme il y a plus de dix ans. Comment la clientèle a-t-elle évolué depuis?
Roman Pichler: Elle a beaucoup changé. Nos clients ne veulent que la meilleure qualité et attachent de l’importance à l’origine du produit. Le désir de produits régionaux est très important pour nos clients. Si je préparais du homard de l’Atlantique, cela ne nous conviendrait pas. Aujourd’hui, de nombreux clients se rendent chez les producteurs après leur visite et y font leurs achats pour la maison.
Chez quels producteurs?
Roman Pichler: Par exemple, chez la famille Nuart, qui se passionne pour l’art fromager depuis près de 40 ans et qui produit également un merveilleux yaourt. L’exploitation a été l’une des premières exploitations biologiques à élever des agneaux avec conscience et respect de la nature. On le ressent vraiment quand on mange la viande.
Quelle est l’importance de la saisonnalité pour vous?
Roman Pichler: Nous travaillons au fil des saisons de manière saisonnière et régionale. Chez nous, l’agneau des Nuart est disponible de fin mai à août. Les aliments perdent une certaine valeur lorsqu’ils sont disponibles toute l’année. Il en va autrement pour le poisson: nous pouvons presque toujours compter sur les corégones, les brochets ou les sandres du lac de Wörthersee du pêcheur Maxi Rosenberger.
En parlant de poisson d’eau douce: Anja-Margaretha Moritz, votre grand-père Primus Moritz a été le premier à exploiter un élevage de truites en Carinthie. Et la maison de vos parents était l’une des plus grandes fermes de Basse-Carinthie.
Anja-Margaretha Moritz: Oui, tout a commencé avec l’idée de tenir une auberge où l’on pourrait vendre des truites. C’était en juin 1969. Plus tard, ma mère a repris l’établissement, a proposé quelques chambres et l’a géré jusqu’en 2009. Ensuite, nous avons repris le restaurant avec seulement 15 places et avons misé dès le début sur la qualité, mais nous n’avons plus proposé de chambres depuis. Nous voulions être autonomes.
Pourquoi avez-vous fait ces choix?
Roman Pichler: Je voulais savoir si on pouvait réussir en tant qu’indépendant. En tant que chef de cuisine, on est toujours un employé et même si on a beaucoup de succès, on ne peut jamais prendre les décisions seul – alors que nous, oui.
Anja-Margaretha Moritz: Au début, nous travaillions à quatre mains: Roman à la cuisine et moi au service. Par chance, nous avons très vite rencontré un grand succès. Par la suite, nous voulions un établissement où les clients seraient assis toute l’année comme dans un jardin. C’est ce que nous avons réalisé plus tard avec la transformation. Aujourd’hui, ce type d’établissement est unique en Carinthie. Nous savions toutefois que nous n’y arriverions pas seuls sur le long terme. Maintenant, nous avons une petite équipe jeune et motivée et nous travaillons à trois en cuisine et à deux au service. Parfois, nous faisons des excursions ensemble chez les producteurs.
★ Le restaurant Moritz (ouvert du mardi au samedi à partir de 17 heures) se trouve dans le village de Grafenstein, à côté de Klagenfurt (Autriche). Avec ses 25 places assises et son immense jardin, il offre un cadre idéal pour la philosophie Slow Food du chef Roman Pichler (43 ans), qui dirige le restaurant avec sa femme Anja-Margaretha Moritz (40 ans). En tant que sommelière, elle s’occupe du service et des créations de boissons maison. Leur fils Moritz Pichler (4 ans) souhaite un jour devenir « cuisinier et serveur ». Le guide Michelin a décerné une étoile à ce restaurant gastronomique moderne et une étoile verte grâce aux ingrédients locaux.