«Je travaille dans le futur et je contrôle le présent»

Reto E. Wild – 19 mai 2023
Le «Corporate Culinary Director» Mike Wehrle est à la tête de 146 cuisiniers dans cinq hôtels: un record suisse! Rien qu’au Bürgenstock Resort, cet homme de 46 ans originaire de la Forêt-Noire est responsable de sept restaurants différents. Pour lui, la régionalité est très importante malgré cette grande diversité.

Traduction: Isabelle Buesser-Waser

 

Mike Wehrle, avec les hôtels partenaires Schweizerhof Berne et Royal Savoy Lausanne, vous êtes responsable de 16 restaurants, lounges et bars ainsi que de tous les banquets. Comment vous organisez-vous ?
Mike Wehrle: J’ai un chef dans chaque cuisine. 95 cuisiniers travaillent au Bürgenstock Resort, 32 à Lausanne et 19 à Berne. Au Bürgenstock Resort, chaque restaurant a sa propre cuisine. C’est à la fois un défi, intéressant et exceptionnel. Il n’y a pas de cuisine centrale comme dans les autres grands hôtels. La seule chose que nous produisons de manière centralisée, c’est la sauce tomate du menu enfants.

Comment créez-vous de nouveaux menus?
Nous cuisinons et goûtons ensemble les nouveaux plats. Lorsque nous sommes satisfaits, nous les photographions et rédigeons les recettes. Ensuite, nous passons à la phase opérationnelle. En août, par exemple, nous nous occupons des menus de Noël. Je vais en permanence dans les restaurants et je vérifie si la qualité correspond à nos standards. En d’autres termes, je travaille dans le futur et je contrôle le présent en mangeant chaque semaine dans un restaurant différent.

A quelle fréquence travaillez-vous encore comme cuisinier?
Je suis très souvent manager et coach afin de faire ressortir le meilleur des collaborateurs. Je cuisine quand la situation est critique. Cela peut aussi simplement signifier des œufs brouillés pour le petit-déjeuner. S’il le faut, je fais le ménage dans le hall ou je m’occupe du passe-plat. Dans ces cas-là, je me plie aux consignes et je fais ce qu’on attend de moi.

Quels accents souhaitez-vous donner au Bürgenstock ?
L’authenticité est pour moi le paramètre le plus important pour tous les restaurants. La cuisine thaïlandaise doit être thaïlandaise et non un croisement avec la gastronomie européenne. Avant de rejoindre le Bürgenstock Resort, j’ai fixé comme condition de ne me lancer que si la cuisine était authentique. Par ailleurs, le produit est toujours au cœur de mon travail. Nous utilisons par exemple des œufs de caille de la région, le fromage du petit-déjeuner provient de Sepp Bircher, la viande séchée de Misli-Sepp, les salades, les légumes et les différentes baies de Nik Amstutz. Les fraises, par exemple, me sont livrées à 10 h du matin. Il n’y a rien de plus frais. Nous achetons des variétés qui, dans le commerce, pourriraient au bout de deux jours ou ne supporteraient pas le long trajet de transport. Ces fruits sont bien plus savoureux. Holzen-Fleisch d’Ennetbürgen (NW) est notre producteur pour l’angus, le daim, le veau, l’agneau et le porc laineux. Toutefois, pour moi, la qualité prime sur la proximité.

En effet, il est difficile d’imposer systématiquement la régionalité pour les établissements du Bürgenstock, comme le restaurant persan Parisa qui est ouvert depuis le 6 avril 2023 ou le restaurant asiatique Spices Kitchen & Terrace.
Exactement. Mais nous achetons la volaille et le porc en Suisse, car la qualité est meilleure qu’à l’étranger. Les épices, en revanche, proviennent des pays dont sont issus les plats. Sinon, je ne peux pas être authentique. Et oui, nous faisons venir des mangues thaïlandaises, ce qui est bien accepté par nos clients. Notre Spices Kitchen & Terrace, qui propose les meilleurs plats d’Inde, de Thaïlande, de Chine et du Japon, est justement très apprécié par la population locale. Avec ce restaurant, sa cuisine ouverte et sa vue spectaculaire sur le lac des Quatre-Cantons, nous sommes dans l’air du temps.

Où trouvez-vous l’inspiration pour votre travail?
J’aime beaucoup voyager. Et lors de mes voyages, j’observe toujours de nouveaux concepts. Grâce à mes nombreux séjours d’ordre privé et professionnel sur différents continents, je sais quel doit être le goût des choses. Peu importe où je me trouve: mes voyages sont conçus de manière à ce que les bons restaurants figurent au premier plan. Les visites touristiques sont pour moi secondaires. S’il me manque quelque chose, je prends l’avion et je vais voir sur place. Grâce à Internet, je suis toujours au courant de ce qui se passe. Les magazines spécialisés sont également très importants pour moi. Et j’ai un grand réseau via Instagram et WhatsApp.

Dans un communiqué de presse, on peut lire que le Bür­genstock Resort souhaite devenir une destination de choix pour des expériences et des événements culinaires uniques. A quel point êtes-vous proche de cet objectif?
Nous n’atteindrons certainement jamais la perfection. Le temps et les circonstances changent. Il suffit de penser à la pandémie. Aujourd’hui, nous remontons la pente et nous avons la chance que mon équipe soit presque au complet. Il y a à peine un mois, dix nouveaux cuisiniers nous ont rejoints. Actuellement, quatre postes sont vacants. Avec 95 cuisiniers rien qu’au Bürgenstock, il y a toujours quelqu’un qui part. Nous menons en permanence des entretiens d’embauche.

Les points et les étoiles sont encore très importants pour de nombreux cuisiniers ambitieux. En tant que destination phare, vous devriez avoir au moins un restaurant étoilé.
Le Ritzcoffier avait 17 points GaultMillau et une étoile, mais il a été fermé pendant la pandémie. Il a rouvert sous forme de Brasserie, avec 16 points. Nous y servons des plats de brasserie authentiques avec du bœuf bourguignon, du café de Paris, des huîtres, du caneton à la presse ou de la pintade de Bresse. Nous avons délibérément opté pour un concept de plats partagés à la carte. C’est la bonne voie. Mais qu’en sera-t-il dans deux ans, personne ne le sait. Un seul exemple à ce sujet: pendant la pandémie, nous comptions 70% de clients suisses, contre 45% aujourd’hui. Et lorsque j’ai pris mes fonctions, nous accueillions dans nos restaurants environ 70% de clients externes et 30% de clients de l’hôtel. Maintenant, nous devons en partie bloquer les réservations externes afin d’avoir de la place pour les clients de l’hôtel dans nos restaurants. Avec toutes nos cuisines, nous sommes déjà le complexe hôtelier le plus complet de Suisse.

L’inflation et l’augmentation des coûts liés au personnel constituent un nouveau défi. Comment y faites-vous face?
Nous nous sommes réunis à ce sujet fin avril à Lausanne. En tant que Bürgenstock Collection, nous pouvons unir nos forces pour les achats, ce qui nous permet de commander de plus gros volumes et d’obtenir un meilleur prix. Nous profitons également de cette force pour conclure des contrats avec des entreprises. Nous ne sommes pas le plus grand groupe hôtelier, mais l’un des plus importants de Suisse. Nos processus et nos coûts de personnel se sont beaucoup améliorés. Nous avons des chefs de cuisine qui travaillent ici depuis la réouverture. Ils savent comment nous fonctionnons. Il peut donc arriver que le chef iranien Ravan du restaurant persan donne un coup de main dans un autre établissement. Du reste, les fournisseurs nous disent que les prix vont se stabiliser cet été.

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Photo: Reto E. Wild

★ De Chicago au Bürgenstock Resort

Mike Wehrle (46 ans) est le «Culinary Director» au Bür­genstock Hotel & Resort et dirige ainsi 95 cuisiniers, depuis 2017. Avec les hôtels partenaires Schweizerhof Bern et Royal Savoy, qui font partie de la Bürgenstock Collection, il gère probablement la plus grande brigade de Suisse, qui compte 146 cuisiniers au total. Ce natif de la Forêt-Noire a 29 ans d’expérience dans des restaurants étoilés et des hôtels de luxe en Europe, en Asie du Sud-Est et aux Etats-Unis. De 2008 à 2016, il a par exemple travaillé comme chef exécutif dans les hôtels The Peninsula à Bangkok, Chicago et Manille. Mike Wehrle a suivi sa formation de chef de cuisine auprès de l’Hotel & Gastro Formation à Weggis (LU).