De Genève à Vienne, par le goût et l’ivresse

Isabelle Buesser-Waser – 24 octobre 2025
Le restaurant Matière à Genève a partagé ses cuisines et sa salle avec l’équipe du restaurant Mast de Vienne (A). Une collaboration réussie entre chefs et sommeliers qui prouve que la passion du goût brûle avec la même ardeur d’un bout à l’autre des Alpes.

Cet automne, Freddy Garanjoud (35 ans), chef du restaurant Matière à Genève, accueillait Lukas Lacina (31 ans), chef du restaurant Mast à Vienne (AUT), et son équipe pour un dîner à quatre mains. Organisé par Austria Tourism, l’événement visait à faire découvrir la gastronomie autrichienne au public genevois et à renforcer les liens entre les professionnels des deux pays. 
«Je souhaitais trouver un restaurant bistronomique dans la cité de Calvin, un établissement proposant une cuisine raffinée dans une ambiance détendue. L’approche de Matière correspondait exactement à ce que je cherchais», explique Victoria Lamarche, responsable des relations publiques pour la Suisse. «Nous avons ensuite cherché un équivalent à Vienne, et Mast s’est rapidement imposé.»

Cuisine de saison et produits locaux
Récompensé par une étoile verte au guide Michelin, Lukas Lacina signe une cuisine centrée sur les produits locaux et de saison. Enthousiasmé par le projet, il a tout de suite trouvé un terrain d’entente avec Freddy Garanjoud, qui compose sa carte au gré des trouvailles de son maraîcher au marché de Carouge. 
«Pierre Gallay, notre producteur, me fait goûter ce qu’il a, et je compose avec. Parfois, quand certains produits n’ont pas les qualités gustatives recherchées, j’y renonce ou j’en exploite les défauts pour créer autre chose. La fraise, par exemple, était très acide en début de saison. Nous l’avons intégrée à une entrée avec du thon rouge et un lait fermenté. Ça a apporté l’acidité qui manquait.» Pour le chef genevois, la réussite d’un plat se mesure au plaisir des convives, surtout lorsqu’ils redécouvrent un produit qu’ils pensaient ne pas aimer.

Une collaboration facile
Même si les deux chefs ne se connaissaient pas avant d’être mis en contact par l’intermédiaire de Victoria Lamarche, la collaboration a été particulièrement fluide et efficace. «Nous avons échangé par visioconférence et par e-mail», explique Lukas Lacina. Les deux cuisiniers ont choisi d’alterner leurs plats, en adaptant leurs propositions afin que le menu reste cohérent. «Je n’ai rien apporté de Vienne. J’ai envoyé ma liste d’ingrédients une semaine avant l’événement et Freddy s’est occupé de trouver les produits. Il n’y a qu’une seule assiette à laquelle j’ai dû renoncer car elle contenait une spécialité viennoise, le Sig (n.d.l.r. une confiserie à base de petit-lait).»
Freddy Garanjoud est un habitué des collaborations avec d’autres chefs. «D’habitude, nous construisons des plats communs. Ce n’était pas possible cette fois à cause de la distance et parce que notre objectif était de présenter la cuisine de Lukas. Mais au final, le menu est très cohérent, ça marche vraiment bien! Je crois que les clients ont été conquis», s’enthousiasme le cuisinier suisse. «La surprise dans ce menu, ce sont les desserts. Nos deux propositions contiennent les mêmes ingrédients, pourtant le résultat est complètement différent!» ajoute Lukas Lacina. Grâce à cette expérience, les deux passionnés ont pu partager leurs connaissances et échanger sur leurs différences culturelles: «On apprend toujours quelque chose en partageant sa cuisine avec un autre chef. C’était notamment très intéressant de voir l’influence de la gastronomie française chez Freddy», note le chef autrichien.

Sommellerie complice
Côté salle, les sommeliers des restaurants Mast et Matière se sont eux aussi réjouis de cet échange. Afin de rester dans le thème de l’Autriche, ils ont choisi d’accorder tous les mets – genevois ou viennois – avec des crus autrichiens. «J’ai envoyé la liste des vins autrichiens disponibles ici à mon homologue du Mast. Il a ensuite eu la priorité pour faire les accords avec les plats de son chef, puis j’ai moi-même choisi les vins pour les assiettes de Freddy», explique Lionel Schneider (41 ans), sommelier à Matière. «100% des vins de la liste de Lionel proviennent de producteurs avec qui nous travaillons à Vienne. C’était donc facile de proposer quelque chose de cohérent. De plus, certains crus sont très difficiles à trouver chez nous car ils sont plutôt réservés à l’export. C’était vraiment intéressant d’y avoir accès», ajoute Matthias Pitra (38 ans), sommelier chez Mast. «Grâce à Matthias, j’ai pu découvrir un chardonnay qui convenait parfaitement au plat de poisson de Freddy et qui restera à la carte du restaurant», conclut le sommelier suisse.