«Chaque restaurant doit avoir sa propre identité»

Reto E. Wild – 20 mars 2025
Avec la Bauernschänke AG, l’entrepreneur Valentin Diem et son associé, l’ancien chef étoilé Nenad Mlinarevic, ont construit un petit empire de restaurants dans la ville de Zurich. Ces derniers créent des tendances dans toute la Suisse. A quoi faut-il s’attendre à l’avenir?

 

Traduction: Isabelle Buesser-Waser

Valentin Diem, les médias vous décrivent comme le roi des pop-up à Zurich. En réalité, la Bauernschänke AG comprend surtout des restaurants. Combien d’employés comptez-vous au total avec votre associé Nenad Mlinarevic? 
Valentin Diem (VD): Cela varie selon les saisons. En moyenne, on en compte 130. J’ai commencé seul il y a 14 ans. Tout s’est développé de manière organique. 

Aujourd’hui, vous êtes entrepreneur. Que conseillez-vous à vos homologues?
Il faut bien réfléchir avant de se mettre à son compte. Lorsqu’on a un ou deux établissements, la question de la bonne taille de l’entreprise se pose rapidement. Je n’ai pas rencontré beaucoup de restaurateurs qui disaient avoir atteint la bonne taille. Il est difficile de trouver un équilibre. 

C’est à dire? 
Chaque taille d’entreprise a ses défis. Lorsqu’on a deux restaurants, on souhaite par exemple que quelqu’un s’occupe du marketing et des RH. C’est ainsi que l’on voit apparaître de plus en plus de postes administratifs. Au bout d’un moment, on ne connaît plus le nom de tous les collaborateurs, ce qui est malheureusement aussi lié au taux de rotation du personnel dans notre branche. J’ai du mal avec ça. Nenad ne rejoindra cette interview qu’à 14 heures, car il est encore en train de cuisiner et donc sur le front. A un moment donné, je suis devenu un entrepreneur avec des tâches de gestion. C’est ce que j’aime faire, mais j’aime aussi la diversité. Rester assis dans un bureau ne me comblerait pas.

Avez-vous atteint la bonne taille avec les établissements de la Bauernschänke AG, fondée il y a sept ans?
Plus grand ne signifie pas meilleur. Parfois, il est aussi approprié de n’avoir qu’un seul restaurant, bien géré et offrant la possibilité d’aller en profondeur dans le contenu. Nous avons l’ambition de contribuer à façonner la scène et la culture gastronomique de Zurich et de la Suisse avec chaque projet. Nous ne souhaitons pas simplement nous agrandir. Chacun de nos établissements a une identité spécifique. La Neue Taverne, par exemple, propose des plats de légumes comme personne ne l’avait fait auparavant. Avec la Brasserie Sud, nous proposons une gastronomie de gare d’un niveau culinaire élevé. Ce type d’établissement, exemplaire dans leur genre, me motive. 

Qu’est-ce qui manque dans le domaine de la gastronomie?
Selon moi, il y a par exemple de la place pour les concepts ethniques. Il manque de bons restaurants mexicains, éthiopiens ou géorgiens. J’aime beaucoup voyager. Mon séjour en Géorgie m’a inspiré et m’a fait comprendre une fois de plus à quel point les cultures culinaires peuvent être variées et combien cette diversité est peu représentée en Suisse. Il existe de premières approches et des pionniers comme Gül ou Ottolenghi avec son antenne à Genève. Mais pourquoi y a-t-il si peu de restaurants qui représentent par exemple la cuisine des pays de l’ex-Yougoslavie? Je brûle d’envie de découvrir toutes les cuisines du monde!

Depuis 2018, Nenad Mlinarevic est votre partenaire commercial. Comment cette collaboration fonctionne-t-elle?
Nenad est responsable de la partie culinaire, moi des chiffres. Mais ce n’est pas comme si je n’avais pas mon mot à dire sur l’élaboration des menus dans les restaurants. Nous nous laissons beaucoup de liberté. La gastronomie est un travail d’équipe. Il y a tellement de rouages qui doivent s’engrener. 

Nenad nous a rejoints pour l’interview à la Brasserie Sud. Quels sont vos projets actuels?
Nenad Mlinarevic (NM):  En novembre 2024, mon livre de cuisine est sorti avec des recettes simples à réaliser. J’ai un partenariat avec Miele et Events, et je participe à l’émission de cuisine Masterchef, pour laquelle Andreas Caminada m’a sollicité. Après mon apprentissage au Waldhaus Dolder à Zurich, j’ai travaillé avec lui pendant deux ans comme sous-chef au Château de Schauenstein. En tant que professionnel, il est intéressant pour moi de voir comment les cuisiniers amateurs se préparent, parfois pendant des jours, pour un dîner. Voici ce que je fais en parallèle, nous sommes libres de nos actes. L’important, c’est la confiance mutuelle. Nous nous informons lorsque nous mettons en œuvre quelque chose de nouveau. Ce qui est décisif, c’est que nos projets communs n’en pâtissent pas. 

Où voyez-vous les plus grands défis d’exploitation de la Bauernschänke AG?
VD: Il y en a une infinité. Après une année record en 2023, nous avons dû faire face à une baisse du chiffre d’affaires d’environ dix pour cent en 2024. C’est tout aussi important que d’attirer les meilleurs talents. 
NM: Les clients boivent moins et sont devenus plus sensibles au prix des repas. Nous ne pouvons plus établir de planification annuelle en pensant que tout est comme avant. Il faut faire le point quotidiennement et nous devons sans cesse nous adapter, car le comportement des clients évolue. La nouvelle génération n’est plus aussi attirée par le vin.  
VD: C’est peut-être pour cela qu’il faut maintenant un bar à salades (rires), car il y a une vraie tendance en faveur de la santé et de la longévité.

Cela signifie-t-il que les clients n’ont plus autant d’argent à dépenser?
VD: Il y a toujours des clients pour qui l’argent n’est pas un problème. Mais en général, ils dépensent moins. Pourtant, dans nos établissements, le champagne est en tête des ventes de vin. Les ventes ont littéralement explosé. Et janvier et février 2025 se sont très bien passés chez nous, malgré les vacances de ski. Il y a des jours avec des pics et des jours de creux. Personne ne sait vraiment pourquoi. 
NM: Nous devons en permanence remettre en question notre offre et l’adapter si nécessaire. Nous essayons de remplir nos restaurants avec une offre attractive, même à midi, et proposons par exemple notre déjeuner Bentobox à 39 francs à la Bauern­schänke. Cela fonctionne très bien. 

Nenad, vous faisiez partie de ces jeunes qui travaillent dans la haute gastronomie et ne veulent plus cuisiner pour 20 personnes...
NM: Oui, maintenant j’évolue dans un autre type de restauration, où tout n’est pas planifiable et rythmé. J’ai travaillé pendant 15 ans dans des établissements étoilés. Mais je voulais que ma cuisine soit accessible à tous et pas seulement à ceux qui ont un gros porte-monnaie. La dynamique de nos restaurants me comble davantage. J’apprécie la variété et j’aime réaliser sans cesse de nouveaux concepts. Ce que je vis ici en une semaine, d’autres le vivent en six mois! Je suis du genre à avoir besoin d’une montée d’adrénaline. Je suis toujours aussi passionné qu’à mes débuts, en 1997.

Qu’est-ce qui vous passionne tant?
MN: La dynamique d’une grande équipe. Le côté créatif. Rendre les clients heureux avec de la bonne cuisine. J’aime être en mouvement et travailler avec mes mains. Je ne pourrais pas faire un travail de bureau et j’avais déjà du mal à rester assis à l’école. 

★ Bauernschänke AG 

Nenad Mlinarevic (43 ans) et Valentin Diem (39 ans) ont constitué en 2018 la société Bauerschänke AG en tant que partenaires égaux. Nenad Mlinarevic est né à Zurich et a terminé son apprentissage de cuisinier en 2000 au Waldhaus Dolder. Il a travaillé pour des établissements aussi renommés que le Schloss Schauenstein, le Neues Blumenau et le restaurant Focus, au Park Hotel Vitznau (LU), qui a obtenu 18 points GaultMillau en 2015. Il est le premier chef de cuisine de Suisse à obtenir d’emblée deux étoiles Michelin au Focus. Le pop-up Stadthalle à Zurich, lancé le 1er décembre 2017, a été le premier projet commun avec Valentin Diem. Ce père de famille a étudié la gestion d’entreprise à l’Université de Saint-Gall et a travaillé pendant des années comme cuisinier dans ses établissements. Son livre de cuisine «Wood Food» est paru aux éditions AT. La société Bauernschänke AG comprend cinq établissements dans la ville de Zurich ainsi qu’une entreprise de traiteur.