Quand cuisine, cohésion sociale et durabilité se rencontrent

Isabelle Buesser-Waser – 16 février 2023
A Genève, Sarah Hoibak, Dan Stein et René Bangert ont lancé Cuisine Lab, un restaurant qui emploie et forme des réfugiés. L'enseigne qui propose ses plats à la livraison via Uber Eats, est un projet social et gastronomique permettant à des réfugiés et requérants d’asile de se former, mais aussi de s’intégrer dans le tissu local genevois et d’être autonomes financièrement. Sarah Hoibak (49 ans) répond aux questions de GastroJournal sur ce concept inédit.

Comment le projet est-il né? Qui en a eu l'idée?

Sarah Hoibak: Cuisine Lab est né en 2016 durant ce qui fut qualifié de crise migratoire associée à la guerre en Syrie. A cette époque, Dan Stein, René Bangert et moi-même avons décidé d’organiser des événements sociaux dans le but de réunir réfugiés et non réfugiés autour d’une table afin de partager un repas, des cultures et des histoires. Tout ceci dans l’idée d’accueillir ces nouveaux arrivants, de les mettre en avant et de favoriser le vivre ensemble.

Cuisine Lab a donc été pensé comme un laboratoire où cuisine, cohésion sociale et durabilité se rencontrent pour accélérer l’intégration de la population issue de l’asile.

Les repas intercommunautaires ont été les premiers moyens utilisés pour atteindre ce but. Le tout a ensuite mué en un service traiteur volontaire mené par cinq réfugiés qui sont toujours actifs au sein de l’association. Après quelques temps, le succès de ce dernier nous a mené à une impasse tant d’un point de vue économique que social: si nous voulions permettre une intégration, Cuisine Lab devait pouvoir offrir des emplois stables ou du moins tracer une voie vers un emploi stable dans la restauration; chose difficile avec un service purement volontaire.

L’idée d’un restaurant Cuisine Lab, sous forme d’entreprise sociale, alliant formation et mise en valeur du talent trop souvent mésestimé des réfugiés est ainsi née en 2020, durant la pandémie. Cette idée se concrétise aujourd’hui avec l’ouverture du restaurant Cuisine Lab au cœur du quartier des nations à Genève.

Comment recrutez-vous l'équipe qui travaille en cuisine?

Aujourd’hui, les cuisiniers formés sont des personnes réfugiées qui collaborent avec Cuisine Lab depuis le début de l’association. Ces personnes ont porté le projet et constituent la principale inspiration de nos réflexions. Saba d’Erythrée, Talal de Syrie et Gaayathri du Sri-Lanka sont responsables du succès qui a mené à l’évolution d’un service traiteur volontaire à un restaurant. Il nous semblait donc juste et logique que ce noyau constitue la première cohorte de Cuisine Lab.

A l’avenir, nous comptons sur une collaboration avec l’Hospice Général et diverses associations locales qui poursuivent le même but que Cuisine Lab et qui sont en contact régulier avec des personnes réfugiées, motivées et passionnées de cuisine à la recherche de la bonne opportunité.

Est-ce que les employés ont tous une formation dans la gastronomie dans leur pays d'origine?

Les cuisiniers en formation ont des profils différents. Monsieur Rankousi Talal, par exemple, était un chef spécialiste en pâtisserie dans son pays d’origine, la Syrie. Madame Sathasivam Gaayathri a bien suivi une formation en pâtisserie au Sri Lanka sans que cela ne débouche sur une certification à proprement dit. Quant à Madame Temelso Saba, d’Erythrée, elle n’a pas de formation formelle en cuisine mais sa connaissance approfondie de la gastronomie Ethiopienne et Erythréenne font d’elle une cuisinière hors pair.

Cela dit, le but de Cuisine Lab est justement de s’appuyer sur ces expériences diverses, cette passion et ces connaissances informelles pour mener les cuisiniers vers une certification de type AFP. La formation en gastronomie préalable n’est donc pas un critère privilégié de recrutement.

 Les chefs qui encadrent l'équipe sont-ils également des réfugiés ou des requérants d'asile?

Aujourd’hui, les chefs formateurs ne sont pas issus de l’asile. Cependant, notre ambition est qu’une fois leur cursus terminé, les cuisiniers réfugiés puissent à leur tour former d’autres cohortes au sein de Cuisine Lab ou ailleurs.

 Quel est l'objectif à long terme pour l’établissement?

A long terme, nous souhaiterions les choses suivantes:

o    Faire en sorte que le ratio actuel de 50% de réfugiés au sein des employés passe à 80%. Ce qui suppose l’emploi futur de réfugiés formateurs.

o    Travailler afin que le restaurant soit autant reconnu pour la qualité de sa nourriture que pour son impact social au sein de la communauté genevoise.

o    Maintenir une autonomie financière du restaurant.

o    Obtenir un modèle d’entreprise sociale réplicable dans d’autres lieux et d’autres types d’établissement.

Avez-vous également une salle de restaurant ou un take-away ou fonctionnez-vous uniquement par livraison?

Le restaurant Cuisine Lab possède bien une salle de restaurant pour une soixantaine de couverts. Nous disposons aussi d’une terrasse qui sera opérationnelle dès le début de l’été pour une addition de quarante autres couverts.

Nous offrons un déjeuner, un apéro, un take-away, de la livraison via un partenariat avec Uber Eats, et un service traiteur qui pour l’instant est effectué depuis les cuisines du restaurant.

Quel est l'objectif pour les employés? Est-ce un contrat à durée indéterminée ou est-ce que le but est d'intégrer ces personnes dans les nombreux établissements de la branche qui recrutent?

Nos employés ont des contrats à durée indéterminée.

Notre objectif est avant tout de faire en sorte que les personnes formées en cuisine puissent assimiler et appliquer les standards de la cuisine professionnelle selon les critères de l’AFP. Couronner la formation par une certification de type AFP permettrait non seulement de valider ces acquis auprès de n’importe quel employeur suisse ou étranger, mais aussi d’assurer un revenu minimum indispensable à une indépendance financière.

Cependant, la finalité reste l’emploi stable valorisant le talent réel des cuisiniers réfugiés, au sein de Cuisine Lab ou non. Nous sommes donc ouverts aux ambitions différentes de nos bénéficiaires. Certains souhaitent ouvrir leur propre établissement, d’autres ont le potentiel de travailler dans des restaurants de la place.

Comment fonctionnez-vous financièrement?

Cuisine Lab est une association mais fonctionne plutôt comme une entreprise sociale. De ce fait, une partie de nos revenus est générée par l’activité commerciale, soit le service traiteur et le restaurant, tandis que l’autre provient de donations et de subsides. A court terme, notre objectif serait d’avoir la moitié de l’activité totale financée par le volet commercial alors que l’autre moitié le sera par les donations. A long terme, nous aimerions que le volet commercial soit entièrement autonome afin que les dons ne servent qu’à soutenir l’activité sociale de l’association, autrement dit, la formation des cuisiniers, celle du personnel de salle et les cours de langue.

Quel est votre parcours?

J’ai commencé une carrière en tant que cheffe au Canada, mon pays d’origine, avant de bifurquer vers une formation en santé publique. Cette dernière formation m’a amené à travailler pour plusieurs organisations internationales et à gérer différents dossiers humanitaires dont certains liés aux réfugiés.