Pierre Gagnaire: «Mon héros? Frédy Girardet»

Caroline Goldschmid – 04 mai 2022
Le chef aux douze étoiles Pierre Gagnaire imagine la carte de tous les restaurants Fouquet’s depuis 2015. Le 28 avril, il était de passage à Montreux. Rencontre.

Le 26 avril 2019, la mythique brasserie qui appartient au Groupe Barrière a ouvert ses portes au sein du Casino de Montreux, également propriété du groupe. Pile trois ans plus tard, le chef Pierre Gagnaire (72 ans) a fait le déplacement sur la Riviera. Le temps d’une soirée, il a pris les commandes des cuisines du Fouquet’s et a concocté un menu de cinq plats. Les quelque 120 couverts ont rapidement trouvé preneurs, grâce notamment à la récente participation de Pierre Gagnaire à l’émission «Top Chef». Avant le coup de feu, il nous a accordé un instant, en toute décontraction.

Que pensez-vous de Montreux?
Pierre Gagnaire: On a l’impression que rien ne peut arriver de mal ici. On est comme dans une bulle. Les gens sont tranquilles et bien élevés.

Pourquoi était-ce important pour vous d’être présent au Fouquet’s Montreux?
Ma visite était prévue en 2019, mais pour diverses raisons, notamment liées au ­Covid-19, cela n’a pas pu se faire. Donc il y avait beaucoup de frustration de la part des équipes et de ma part aussi. C’est quand même moi qui signe la carte, donc il fallait que cette lacune soit comblée!

Comment décririez-vous le concept des restaurants Fouquet’s?
Ce qui est sûr, c’est que le concept Fouquet’s n’existe pas. Le seul concept qui existe, c’est McDonald’s! La cuisine, c’est du cœur. Quant à la colonne vertébrale du Fouquet’s, il s’agissait de redonner du sens à cette marque magique, mais où la nourriture était relayée au second plan. L’idée, c’est une belle brasserie française, avec une cuisine ... pétillante, je dirais. Heureusement, je peux compter sur Nicolas Nguyen Van Hai, chef exécutif des Fouquet’s. Il est mon bras armé sur le terrain.

Y a-t-il des chefs suisses dont vous admirez la cuisine?
Mon héros, c’était Frédy Girardet! J’ai mangé deux fois au Restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier à l’époque où il y exerçait. Et j’avais été subjugué par sa cuisine, à la fois très bien faite et très simple. Frédy Girardet, tout comme Alain Chapel, me faisait rêver quand j’étais plus jeune. Son attitude, ce qu’il était et ce qu’il défendait. Et bien sûr sa façon de cuisiner qui était très instinctive et personnelle. Hier soir (n.d.l.r.: le 27 avril), j’ai invité mon fils qui étudie à l’EPFL pour un repas à Crissier. Nous avons passé une soirée formidable. Franck Giovannini est très chaleureux et toute l’équipe fait un super boulot en cuisine.

Comme Frédy Girardet, cuisinez-vous de manière instinctive?
Il est vrai que je ne suis ni tranquille ni rassurant. Je ne suis pas un technicien pur et dur. J’essaie d’accompagner les cuisiniers en suggérant des choses. Si on veut durer et si on veut que les collaborateurs restent attachés à ce que l’on fait, il ne faut pas les mettre dans un cadre dans lequel ils ne seront pas à l’aise. A un moment donné, le cuisinier est face à lui-même et il doit avoir la capacité d’interpréter ce que je dis. Et moi, ce que j’aime dans mon travail, c’est l’émotion que l’on va transmettre dans l’assiette.

Après Cannes, Marrakech, La Baule, Courchevel, Montreux, Saint-Barth’ ou encore Abu Dhabi, le prochain Fouquet’s ouvrira ses portes à New York ...
Oui, c’est prévu pour septembre. Le chef Philippe Orrico nous a rejoints pour préparer cette ouverture qui est très importante pour le groupe Barrière et il en sera le chef exécutif. New York est une lessiveuse et on ne peut pas se rater! Nous allons bien sûr adapter la carte à la clientèle new-yorkaise qui adore la viande, le homard, le crabe, l’avocat... Une brasserie n’est pas là pour rehausser la cuisine, mais pour faire plaisir aux gens.

A quand un restaurant Pierre Gagnaire en Suisse?
En propre, j’ai trois restaurants, ce qui représente environ 80 collaborateurs. Je ne prévois pas d’ouvrir un restaurant en propre, où que ce soit, car j’ai donné à ce niveau-là. Pour les autres restaurants (n.d.l.r.: Pierre Gagnaire gère une quinzaine d’établissements dans le monde, dont à Londres, Dubaï, Hong-Kong et Shanghai), c’est différent: je conçois le lieu et la carte et je m’adapte au cahier des charges.

Comment motiver la jeune génération à s’engager dans la branche?
Il est clair que la crise du Covid-19 y est pour quelque chose. Il se trouve que tous les secteurs sont touchés par la pénurie de personnel qualifié, pas seulement l’hôtellerie-restauration. Je pense que le facteur-clé chez les jeunes, aujourd’hui, c’est le rapport au travail. Ils doivent comprendre que la réussite passe par le travail.