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«Le meilleur moment pour rencontrer les producteurs»

Reto E. Wild – 22 avril 2021
Quelle viande ou quels légumes choisir? Pascal Schmutz, consultant en gastronomie, entrepreneur et chef, profite de la période de fermeture pour découvrir de nouveaux produits. On l’a suivi le temps d’une journée.

Traduction Caroline Goldschmid

 

Le bâtiment de la boucherie Wattinger, à Altnau (TG), près de Kreuzlingen, passe inaperçu. Mais, dans la région, cette entreprise est connue pour la qualité particulièrement élevée de sa viande. «J’ai rarement vu un aussi beau comptoir dans une boucherie», affirme le restaurateur Pascal Schmutz. Lukas Wattinger (29 ans), qui dirige la boucherie avec son frère, ses parents et leurs quinze employés, annonce d’emblée: «Nous attachons une grande importance à la durabilité et à la régionalité. Tout utiliser, du museau à la queue (‹Nose to Tail›), est également très important pour nous. Le filet ne représente que 1,5% du poids de l’animal.»

Jambon de pays fumé, joue de porc ou viande de vache

Selon Lukas Wattinger, le secteur de la restauration est le partenaire idéal pour proposer des spécialités issues de l’animal tout entier: «Une partie de notre travail consiste à suggérer aux restaurateurs quel morceau conviendrait pour un ‹second cut›, par exemple. Le respect des animaux ne doit pas se perdre.» La joue de veau, qui est tendance en ce moment, coûtait 13 francs le kilo à l’époque où Pascal Schmutz débutait sa carrière; aujourd’hui, elle coûte deux fois plus cher. Quant aux joues de porc, guère demandées, le grand chef à l’intention d’en commander davantage à Lukas Wattinger. Cependant, il est convaincu qu’elles plairont également aux carnivores. Le jeune boucher recommande aussi le jambon de pays fumé, qui est fumé à froid avec des copeaux de bois de hêtre provenant de la scierie du village. «Tranché à froid, le jambon peut être utilisé comme du magret de canard», indique Lukas Wattinger.

L’un des plus importants fournisseurs de viande de veau est la ferme Lindenhof, à la sortie de Güttingen (TG). Oliver Vogt (28 ans) y reprendra l’année prochaine l’exploitation de son père. Une cinquantaine de veaux nourris sous la mère et une soixantaine de vaches laitières sont vendus chaque année. En cette froide journée d’avril, une bonne douzaine de veaux font de l’œil aux visiteurs. Certains des jeunes animaux sont transformés par le boucher après 130 jours, selon sa propre méthode d’abattage.

Lukas Wattinger explique: «Beaucoup privilégient la viande de veau de couleur claire, car ils pensent qu’elle représente la qualité.» L’agriculteur Oliver Vogt réfute ce mythe: «Si les veaux mangent de l’herbe ferrugineuse ou de la terre, la viande devient rouge. Lorsque je vends des bêtes aux abattoirs, je perds environ 120 francs par veau si la chair n’est pas claire.» Pour l’éleveur, cela signifie qu’il doit installer des planches autour du parcours des animaux afin de s’assurer que les veaux ne mangent pas d’herbe. En effet, il ne peut pas se permettre de perdre des revenus. «C’est de la folie que les veaux ne puissent pas manger d’herbe à cause des exigences des clients», estime Pascal Schmutz.

Sauce Cumberland aux baies de goji

Changement de décor. Retour à Altnau, dans le magasin de la ferme que la famille Eberle a mis en place il y a deux ans. Dans la région, qui offre une belle vue sur le lac de Constance, Andreas Eberle (42 ans) et son équipe, pouvant compter jusqu’à dix collaborateurs selon la saison, cultivent un terrain d’environ 22 hectares, principalement des pommiers et des poiriers. Sur deux hectares pousse le sureau, dont les fleurs sont vendues à Ricola depuis plus de trente ans. Le champ d’asperges, quant à lui, occupe un hectare. Les sols argileux et lourds font que l’asperge y mûrit plus tard qu’ailleurs. Pascal Schmutz s’intéresse également aux laitues, à la rhubarbe, aux mini kiwis, aux abricots, aux prunes, aux cerises ainsi qu’aux groseilles, cassis, mûres, framboises, myrtilles et baies de goji.

Selon Andreas Eberle, 90% de la production est destinée aux grossistes. Le reste est mis en vente dans le magasin de la ferme (il y a deux campings dans le village), par l’intermédiaire des commerçants du marché ou encore à quelques restaurateurs. «J’apprécie la grande variété des baies cultivées ici. Je n’ai jamais goûté les baies de goji fraîches ni les mini kiwis», confie Pascal Schmutz. Le cuisinier imagine une sauce Cumberland à base de cette baie à la mode qui se marie très bien avec la viande de vache maturée.

Pour la première fois, Andreas Eberle se plaint des dommages causés par le gel, car le thermomètre est descendu à –3,5 degrés en avril. Quelle sera l’ampleur de la perte? Il ne pourra l’estimer que plus tard. Les pistils noirs des rameaux des abricotiers ne sont pas de bon augure. L’agriculteur se console en se disant que le froid de la nuit n’endommagera pas la rhubarbe. C’est alors qu’une autre idée originale vient à l’esprit de Pascal Schmutz: associer les feuilles de rhubarbe à la laitue pour en faire une salade. Et le fin gourmet de conclure: «C’est le meilleur moment pour apprendre à connaître les producteurs.»