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Frédérique Beauvois: «L’injustice me grignote l’estomac»

Caroline Goldschmid – 24 février 2022
La porte-parole du collectif vaudois "Qui va payer l'addition?" se confie sur ce qui la motive dans les nombreux combats qu'elle mène, dont celui pour l’égalité.

L'épouse de Christophe Roduit, vice-président de GastroLausanne et à la tête de trois établissements dans la capitale vaudoise, n'est pas restauratrice ni active professionnellement dans la branche, contrairement à ce qu'on peut lire dans de nombreux médias de masse. D'ailleurs, elle n'occupe aucune fonction officielle dans les trois bistrots dirigés par son conjoint (Brasserie de Montbenon, Café de Grancy, Café Saint-Pierre). Mais alors que fait-elle? «Je suis mère au foyer», répond cette maman de quatre enfants (âgés de 14, 11 et des jumeaux de 9 ans). «Je suis mariée à un restaurateur et j'ai travaillé dans la restauration pendant mes études, mais surtout, mes revenus sont issus de la restauration», précise Frédérique Beauvois. Et ce dernier point est capital pour celle qui se bat sans discontinuer depuis un an et demi, habitée par la volonté de combattre l’injustice: la crise engendrée par la pandémie n’a pas seulement affecté les 17'500 employés de la branche du canton de Vaud, mais également leur famille ainsi que toute une chaîne d’acteurs locaux incluant les producteurs et les fournisseurs.

Comment est né le collectif «Qui va payer l’addition»? Un groupe de restaurateurs, cafetiers et tenanciers de clubs lausannois s’était déjà formé au moment où Frédérique Beauvois leur a apporté sa vision des choses, à l’automne 2020. «J’ai toujours considéré les fermetures comme une expropriation du droit d’exploitation, notamment suite à mes années de recherches pour réaliser ma thèse de doctorat en Histoire. Je leur ai proposé un ordre de marche en leur présentant les aspects économiques et juridiques du problème et les différentes réclamations qu’ils étaient en droit de formuler.» C’est ainsi qu’elle est devenue le visage qui incarne le collectif. Frédérique Beauvois (46 ans) est désormais très médiatisée, mais pour elle, cette célébrité est toute relative et ne sera que temporaire. «Il fallait bien que quelqu’un endosse le rôle de porte-parole et je suis en quelque sorte le courroie de transmission au sein de l’équipe. Mon rôle consiste à synthétiser et résumer les expertises et propositions des membres du groupe, puis à les retransmettre au grand public. Mes années de doctorat me sont d’une grande aide pour ce travail de simplification.» Ce qui fait d’elle une leader efficace au sein du groupe est aussi dû à toutes les compétences qu’elle a acquises en tant que mère de famille, l’équivalent d’une PME à gérer.

Le comble, c’est que cette «PME familiale» et le collectif «Qui va payer l’addition?» ne sont de loin pas les seules activités dans lesquelles Frédérique Beauvois s’investit. Elle est aussi membre du Conseil d’administration d’une coopérative d’habitation, membre d’un Conseil de fondation d’une fondation active dans l’accueil de jour des enfants, présidente de plusieurs associations dont une de parents d’élèves… «Je me suis toujours battue pour ce que j’estime être juste. La pandémie a mis en lumière mon activité au sein du collectif, mais ce n’est qu’une corde à mon arc parmi d’autres qui me tiennent tout autant à cœur.» Impossible alors de ne pas se demander où cette quadra hyperactive trouve l’énergie et le temps pour accomplir tout ce travail. «J’ai décidé que dormir, c’est pour les faibles!», plaisante-t-elle, avant de glisser qu’elle a dû mettre certaines choses de côté, comme la régularité dans le rangement de son lieu de vie. «Surtout, le collectif, comme son nom l’indique, est l’œuvre de toute une équipe, je ne suis pas seule.»

«Je suis une pure féministe»

Aujourd’hui, Frédérique Beauvois est motivée à se battre comme au premier jour. «L’injustice, ça me grignote l’estomac et je vais mieux quand j’agis.» Elle confie qu’elle a dû se battre pour tout, depuis toujours, et qu’elle se bat aussi pour les autres. Et elle se sent valorisée à l'idée qu’elle sert à quelque chose. «Chaque victoire, aussi petite soit-elle, me nourrit. C’est mon moteur.» L’égalité fait partie des causes pour lesquelles elle se bat: «Je suis une pure féministe, c’est-à-dire que je veux que les femmes n’aient ni plus ni moins que les hommes.» Malgré ses nombreuses compétences, son cursus académique et les victoires à son actif, Frédérique souffre pourtant du syndrome de l’imposteur. Alors même qu'elle reconnaît que, souvent, les femmes doivent travailler deux fois plus pour obtenir la même chose que les hommes. «Je ressens cette stigmatisation de la femme: nous devons répondre à un certain nombre de diktats, comme se marier et avoir des enfants. Ces impératifs n’ont pas lieu d’être: nous avons exactement les mêmes possibilités qu’un homme!»

Chez Frédérique, le féminisme s’est notamment traduit par le choix de garder son nom de jeune de fille, au moment où elle s’est mariée, à l’âge de 40 ans. C’est le nom avec lequel elle s’est construite durant quatre décennies. «Pourquoi devrait-on changer de nom de famille parce qu’on se marie? D’ailleurs, si cela avait été obligatoire selon la loi, c’est mon mari qui aurait pris mon nom!» Quant à ses enfants, ils portent le nom de leur mère, pas celui de leur père.

Le collectif ne rend pas les armes

Alors que les mesures sanitaires ont été abolies le 17 février, le combat du collectif «Qui va payer l’addition?» n’est pas terminé, loin de là. L’équipe planche actuellement sur deux axes de travail: faire le bilan et assurer un futur convenable pour les professionnels de la branche. «Après deux ans de crise, il est impératif de faire un état des lieux: où en est-on? Les aides pour cas de rigueur ont été prolongées, certes. Mais tout cet argent versé par le contribuable, en l’occurrence plusieurs milliards, a-t-il atteint son objectif de compenser les charges fixes de la restauration?» Puis, il s’agit de tout mettre en œuvre pour éviter que le scénario cauchemardesque vécu en 2020 et en 2021 ne se répète. «Plus jamais ça! Si on doit toucher aux outils de travail ou de production pour des raisons de santé publique, nous voulons que ce soit inscrit dans la loi que l’indemnisation est dans ce cas obligatoire, au même titre que la Loi sur les épizooties. Pour rappel, après les cinq premiers mois de fermeture, les établissements publics n’avaient droit à rien!»

Porté par Frédérique Beauvois, le collectif mise sur des actions concrètes pour améliorer les conditions de travail des professionnels de la branche qui ont été mises en lumière par la crise, comme la sécurité apportée par certaines assurances dont les allocations pour perte de gain. «C’est tout le travail qu’il nous reste à faire, et que nous allons continuer d’effectuer de façon bénévole.»

 

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