«Ce nouveau campus de Lausanne est comme un laboratoire»

Reto E. Wild – 04 août 2022
Michel Rochat a fait évoluer l'Ecole hôtelière de Lausanne (EHL) de manière significative durant ces dix dernières années. Avant de quitter la direction du groupe EHL à la fin de l'année, il nous parle de la formation, du manque de personnel qualifié et de ce qu'il compte faire au sein de Vaud Promotion.

Le 8 juillet 2022, après cinq ans de travaux et un investissement de 250 millions de francs, le nouveau campus de l'EHL Hospitality Business School a été inauguré, comprenant près de 1000 lits. Divers aménagements doivent encore être achevés à l'Ecole hôtelière de Lausanne (EHL), fondée en 1893, avant que les étudiants ne puissent y emménager, en septembre prochain. Les locaux spacieux et baignés de lumière sont impressionnants, avec une réception moderne au milieu d'un espace en forme de hall, la piscine et des salles de formation contemporaines comme des cuisines de démonstration ou une salle de séminaire inspirée du domaine viticole californien Peter Michael.

L'idée sur le campus: un village universitaire holistique qui favorise l'interaction entre les étudiants, les enseignants et les professionnels. Il y a un jardin pédagogique et un verger bio avec 300 arbres, 5500 arbustes, 6 ruches et plus de 400 vignes pour que les étudiants intègrent la notion de saisonnalité. Le restaurant collectif Le Berceau des Sens, récompensé par une étoile Michelin, s'approvisionne en partie dans ce jardin de 2500 mètres carrés.

Vous quitterez votre poste de CEO du groupe EHL à la fin de l'année. Depuis votre engagement en 2010, vous avez fait de l'EHL une école de management. Pourquoi?
Michel Rochat: L'EHL était déjà une école de management. Seulement, le nom ne correspondait pas à ce que nous sommes vraiment. J'ai développé le contenu. Notre Hospitality Business School est maintenant la cerise sur le gâteau. Nous avons répondu à la demande du marché. En matière de formation en Suisse, il existe des offres avec un certificat d'apprentissage, le niveau intermédiaire avec notre école hôtelière à Passugg (GR), l'Ecole hôtelière de Zurich ou de Lucerne, et le dernier niveau est l'école de management. C'est la plus internationale. Vous savez ce qui me rend le plus fier?

Dites-le nous!
Ici, au-dessus de Lausanne, nous avons des étudiants de 125 nationalités différentes. C'est fantastique! Cela n'existe nulle part ailleurs dans le monde. C'est l'USP (n.d.l.r.: argument de vente unique) du campus de l'EHL et cela offre à nos étudiants d'énormes possibilités de réseautage – et pas seulement pour le temps passé à l'EHL, mais pour toute la vie. C'est ainsi que mon rêve est devenu réalité. 125 nationalités apprennent et travaillent ensemble, font du sport ensemble. C'est la «United Nation of Students»!

Le nouveau campus a été inauguré début juillet. Qui est derrière la concrétisation du projet?
Tout au début, un concours a été lancé auprès des étudiants en architecture du monde entier. Le cabinet Itten+Brechbühl a adapté toutes les idées et les plans des bâtiments aux normes suisses. Ma contribution a été de créer un écosystème. Nous avons par exemple un jardin, 30 installations sportives et des salles de formation modernes. Tous les aspects du projet doivent interagir entre eux. Il n'y a pas de murs de séparation, seulement des fenêtres. C'était encore très différent en 2010, lorsque l'on travaillait et enseignait dans de petits bureaux. Mais chez nous, la devise est: «Voyez les choses en grand et le monde vous appartiendra.» Le bâtiment doit respirer l'ouverture et la transparence tout en étant en adéquation avec la qualité de notre enseignement. Et nous sommes fiers de notre système de géothermie: il nous permet d'être autonomes à 80 % en chauffage. Ce nouveau campus est comme un laboratoire. Nous allons développer de nouveaux systèmes et les partager avec les étudiants.

Une autre étape importante dans votre parcours au sein de l'EHL a été l'obtention d'une étoile Michelin pour Le Berceau des Sens en 2019 …
Oui, c'était inattendu. Trois mois plus tôt, nous avions atteint la première place du classement QS des meilleures universités de gestion hôtelière du monde. Cela a été pour moi un message: nous sommes une haute école spécialisée qui est au top sur le plan académique et dans l'enseignement pratique. Le classement QS a récompensé notre niveau académique et l'étoile Michelin le niveau pratique. La fierté des étudiants a été grande: durant deux semaines, ils se sont vanté de travailler dans un restaurant étoilé. C'est ce qui m'a incité à nous développer en tant qu'Hospitality Business School.

Moins d'un an plus tard, l'EHL a ouvert une école hôtelière à Singapour …
Oui, un autre rêve devenu réalité. Nous nous sommes dit que le campus de Singapour devait être très différent de celui de Lausanne.

De quelle manière?
A Lausanne, nous avons plus ou moins un campus américain avec un écosystème futuriste. Il n'y a rien de comparable en Suisse. A Singapour, en revanche, c'est la ville qui constitue le campus. Les étudiants ont leurs chambres dans la cité-État, tandis que l'école elle-même est installée dans un ancien bâtiment administratif baptisé Lady Hill, à proximité du jardin botanique de Singapour.

Vous avez énormément élargi le rayon géographique de vos activités avec le nouveau campus de Singapour ainsi qu'avec l'université de Hong Kong et celle du Texas …
Cela correspond au souhait de nos étudiants: ils souhaitent passer 6 mois à Lausanne ou, par exemple, 6 mois à Singapour. Avant d'ouvrir notre campus à Singapour, nous étions certes internationaux, mais uniquement basés en Suisse. Cela ne suffisait pas. Pour nous, il est important de collaborer avec d'autres universités sur des programmes académiques. Nous avons par exemple développé le Master in Global Hospitality Business il y a quelques années avec l'Université polytechnique de Hong Kong et l'Université de Houston. Ce programme permet à nos étudiants d'étudier sur trois continents.

Combien d'étudiants formez-vous sur les trois campus?
Environ 1000 par an.

Malgré l'EHL, l'école hôtelière de Zurich ou l'Ecole Hôteliers de Genève, le manque de personnel qualifié n'a jamais été aussi aigu. Que faut-il faire?
De mon point de vue, il n'y a pas de pénurie de main-d'œuvre qualifiée. Les employeurs doivent offrir à la nouvelle génération ce qui correspond à ses attentes. Les jeunes ne veulent travailler que quatre jours par semaine. Cela ne signifie pas qu'ils travaillent moins d'heures. Seulement, il est urgent que les employeurs adaptent les processus et offrent quelque chose à la nouvelle génération. Encore une fois, les professionnels sont là. Mais ils ont d'autres valeurs. Je ne suis pas sûr que les employeurs l'aient vraiment compris. Récemment, j'étais dans un restaurant à Berne. Le cuisinier travaillait en coupure. Et j'ai entendu le propriétaire dire qu'il ne trouvait pas d'employés. Pas étonnant: le travail en coupure est un vestige du siècle dernier!

Il y a quelques années, vous aviez déclaré au magazine «Bilanz» que le tourisme et l'hôtellerie sont les seuls marchés au monde qui augmenteront de 5% au cours des dix prochaines années. Est-ce que le coronavirus a fondamentalement changé cette estimation?
Non, pas vraiment. Ce qui a changé, en revanche, c'est la nature du tourisme: les gens ne veulent désormais pas seulement voyager, mais aussi faire de nouvelles expériences. Que ce soit en assistant à un concert ou en suivant un cours. D'ailleurs, la formation dans le tourisme en sera une pièce du puzzle dans quelques années.

Que ferez-vous après votre passage à l'EHL? Vous êtes également président de l'Office des Vins Vaudois et de Vaud Promotion …
J'en saurai plus à la fin de l'année. Markus Venzin, originaire des Grisons, nous rejoindra en septembre en tant que nouveau CEO du groupe EHL. Il travaillera sur la stratégie et je m'occuperai des affaires courantes jusqu'en décembre. Après cela, je ne serai plus opérationnel, mais je partagerai volontiers mon réseau avec d'autres. A l'Office des Vins Vaudois, nous voulions au début exporter des vins du canton de Vaud à l'étranger. Aujourd'hui, nos principaux marchés sont clairement Zurich et Bâle. Sur mon-apero.ch, les consommateurs peuvent choisir une bouteille de vin vaudois frais et des amuse-bouches assortis. Les marchandises sont livrées par le Veloblitz au plus tard une heure après la commande. Cela fonctionne très bien. 

Et chez Vaud Promotion?
L'un des nouveaux objectifs est de promouvoir non seulement le tourisme, mais aussi tous les domaines dans le canton de Vaud, à savoir la formation, le sport, la gastronomie, l'hôtellerie, l'agriculture, l'œnologie, etc. Vaud Promotion sera un laboratoire avec lequel nous développerons le tourisme des 30 prochaines années.

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De directeur de l'éducation à CEO

Michel Rochat (65 ans), ancien directeur de l'éducation du canton de Vaud, a été directeur général de l'École hôtelière internationale de Lausanne de 2010 à 2015. En 2015, il est devenu CEO du groupe EHL et conserve cette fonction jusqu'à la fin de l'année. Entre 2003 et 2010, Michel Rochat a été membre du Conseil de fondation de l'EHL, avant de prendre la tête du comité exécutif.