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La tempête Covid: ils ont apporté des réponses

Caroline Goldschmid – 10 février 2022
Quel est l’impact de la crise sur les industries du vin, de la restauration, de l’hôtellerie et du tourisme? Le 1er février dernier, l’EHL Hospitality Business School a organisé un séminaire qui réunissait plusieurs professeurs qui se sont penchés sur la question.

Le 1er février dernier, l’Ecole hôtelière de Lausanne – récemment rebaptisée EHL Hospitality Business School – organisait un séminaire intitulé «Navigating the Covid Storm: Implications, Solutions and Recommendations for the Post-Covid Period» (n.d.l.r.: Traverser la tempête Covid: conséquences, solutions et recommandations pour la période post-Covid). Une quinzaine de professeurs ont pris part à l’événement pour présenter les résultats d’études sur l’impact de la pandémie dans différents secteurs. Les chercheurs ont eu l’occasion d’échanger avec un public présent sur le campus (une trentaine de participants) et en ligne (une cinquantaine de personnes connectées).

Philippe Masset, professeur associé à l’EHL, faisait partie des orateurs. Il a présenté les résultats de l’étude qu’il a réalisée avec Jean-Philippe Weisskopf, «Managing the crisis and preparing the future of the Swiss wine industry». Objectifs de l’étude? Comprendre l’ampleur de la tempête et examiner si les mesures mises en place étaient suffisantes et, le cas échéant, proposer des mesures complémentaires pour aider cette industrie à devenir plus résiliente. «Nous trouvions qu’il était important de s’attaquer non seulement à des questions conjoncturelles, mais aussi d’identifier des problèmes structurels de l’industrie viti-vinicole suisse», a déclaré Philippe Masset. Après avoir obtenu plus de 900 réponses de toute la Suisse, les deux professeurs ont identifié des gagnants (les vignerons indépendants) et des perdants (les micro- vignerons). Principale conclusion de l’étude: la pandémie n’a pas en soi engendré une crise conjoncturelle, mais elle a exacerbé des problèmes structurels préexistants et accrut les inégalités. Quant aux pistes de réflexion pour l’après-Covid, Philippe Masset a cité la nécessité de renforcer l’offre de formation continue pour les vignerons en l’axant sur des problématiques concrètes et actuelles (gestion, marketing, communication, outils digitaux, transition générationnelle). «Les vins suisses ont un avenir, cela paraît évident, mais il faut mettre en place une stratégie à long terme. Pour cela, il faut un leadership fort et un soutien gouvernemental. L’académique a un rôle à jouer, notamment pour développer des solutions logistiques innovantes», a conclu le spécialiste en économie du vin.

Hôtels: structure participative
Au milieu des conférences, plusieurs experts ont échangé sous forme de table ronde autour de la question «Comment une crise contribue-t-elle à réinventer une industrie?» Stefano Borzillo, professeur associé à l’EHL, a pris la parole en premier: «Les hôtels ont intérêt à rompre le schéma vertical et miser sur une collaboration horizontale, entre les différents services et niveaux hiérarchiques. Cela est également très stimulant pour la jeune génération, adepte des projets collaboratifs. Et de plus en plus d’hôteliers misent donc désormais sur ce type de management. La collaboration entre les différents services d’un hôtel est d’ailleurs à la base d’une meilleure expérience client.» Stefano Borzillo a aussi indiqué que le Covid a poussé de nombreux hôtels appartenant à des chaînes à améliorer leurs outils digitaux à travers lesquels les différents établissements partagent les protocoles qui portent leurs fruits. Selon lui, il y a de la place pour une nouvelle appli qui aiderait les hôteliers à prioriser le processus de décision et les tâches qui en découlent.

Les recherches effectuées par Alessandro Inversini, professeur en marketing, montrent que la crise du Covid va modifier le modèle d’affaires des hôtels. «Un hôtel ne sera plus juste un endroit où on dort, mais un lieu où toutes sortes d’activités prendront place. Les hôteliers, en particulier ceux situés en ville, reconnaissent la nécessité d’ajouter des cordes à leur arc afin de rester compétitifs.» Cindy Heo, spécialiste en gestion des revenus, a abondé dans son sens, insistant sur le fait que si les hôtels cherchent à attirer des clients locaux, ils doivent totalement repenser leur modèle d’affaires ainsi que l’exploitation des espaces. «Plutôt que de vouloir attirer un touriste chinois, peut-être vaut-il mieux miser sur le client local et construire une relation sur le long terme avec lui.» Selon Cindy Heo, la crise a permis aux entreprises de mieux identifier leurs faiblesses tout en leur permettant de plancher sur les nouvelles opportunités d’affaires.

Au-delà de la reconfiguration des offres et des nouvelles missions du secteur de l’hospitalité, alignées sur les attentes des clients qui ont profondément changé, la communication doit être adaptée en conséquence. L’assistante en marketing Valentina Clergue a constaté que certains hôtels expliquent en long et en large tout ce qu’ils mettent en place pour assurer la sécurité sanitaire de leurs hôtes, et que d’autres se contentent d’afficher un label (comme Clean & Safe) ou un visuel. Aujourd’hui, il semblerait que les clients ont toujours besoin d’être rassurés sur la propreté des lieux, mais sont nombreux à se satisfaire d’un label.

Faire face à la pénurie de personnel
La spécialiste en communication Laura Zizka a résumé l’un des impacts les plus positifs de la crise liée au Covid: «C’est l’occasion pour de nombreuses entreprises de faire le tri entre les produits et processus à jeter et les pistes qui valent la peine d’être explorées. Elles peuvent enfin appliquer les changements qu’elles n’ont jamais eu le temps d’appliquer, car elles ont réalisé qu’il est possible de faire les choses autrement!» Le panel d’experts a été interpellé par une question des plus pertinentes: comment faire face à la pénurie de main-d’œuvre qui sévit dans le monde de l’hospitalité? «Actuellement, les métiers de la branche ne font pas envie, entre autres à cause des horaires de travail et des salaires», a rappelé Cindy Heo. «Travailler dans l’hospitalité doit paraître amusant et doit fournir des perspectives dans l’évolution de carrière. On pourrait commencer par repenser l’organisation au sein des entreprises et au sein même de la branche, afin de la rendre plus attrayante aux yeux des jeunes.»

L’ampleur du gaspillage alimentaire
Citons enfin l’intervention de Carlos Martin-Rios, professeur associé à l’EHL, qui s’est penché sur le défi que représente la réduction du gaspillage alimentaire. Il a rappelé que, chaque année, entre 1,3 et 2,5 milliards de tonnes de nourriture sont gaspillées dans le monde. Selon lui, le Covid-19 a fait apparaître de grands dysfonctionnements dans la gestion globale de la nourriture. En Europe, l’hôtellerie-restauration est à l’origine de 12% du gaspillage alimentaire. Parmi les questions sur lesquelles Carlos Martin-Rios s’est penché dans sa recherche: celle de savoir si la pandémie a davantage sensibilisé les étudiants quant à la problématique du gaspillage alimentaire. Sa conclusion: 39% des étudiants interrogés disent ne pas avoir le temps de s’en préoccuper. Et 38% n’ont pas l’intention de changer leur comportement face à leur consommation et gestion de nourriture. Selon l’expert en durabilité, il s’agit de «faire contribuer la science et la technologie dans les processus de cuisine, de sortir des sentiers battus, de s’engager dans la conception de nouveaux menus, de nouvelles techniques de cuisson et de nouveaux produits, de communiquer avec les étudiants». Il reste encore un long chemin à parcourir ...