L'exposition «FOOD2049» se penche sur le futur de l'alimentation

Isabelle Buesser-Waser – 25 mai 2022
L'Alimentarium à Vevey propose une nouvelle exposition temporaire depuis le 20 mai. Avec «FOOD2049», le musée de l'alimentation se penche sur une version rétrofuturiste des pratiques alimentaires de demain. GastroJournal a rencontré Nicolas Godinot, conservateur des sciences de la nature et responsable des contenus et Philippe Ligron, chef responsable de la «Food Experience».

L'exposition

En accédant au deuxième étage du bâtiment de l'Alimentarium, le visiteur est immédiatement plongé dans un monde de science-fiction, où le fantasme d'un futur apocalyptique et farfelu se mélange à un sentiment d'actualité. Ainsi, l'imaginaire du début du siècle où le cuisinier se transformerait en chimiste, les restaurants plongeraient au cœur des fonds marins et l'élevage des poules suivraient le chemin de tapis roulants nous semble aujourd'hui parfaitement normal.

L'exposition s'articule autour de quatre axes thématiques. Le «Scienticafé», qui décortique l'euphorie scientifique du début des années 1900. «Cybercocagne» ou l'utopie technologique des années 50 dans laquelle la ménagère est délestée de ses corvées grâce aux robots ménagers toujours plus performants. «L'aliment unique» comme solution miracle contre l'épuisement des ressources, symbole libérateur des femmes dans l'imaginaire de la suffragette Mary Elizabeth Lease en 1893, et symbole cauchemardesque d'une dystopie imaginée par Richard Fleischer dans le film Soleil Vert en 1973. Et finalement «Nouvelles Terres», qui présente les solutions imaginées par la science-fiction, mais aussi la science elle-même, pour garantir la sécurité alimentaire face aux problématiques actuelles.

Une exposition ludique et stimulante qui pousse à la réflexion et à la remise en question à l'heure où près de 60% des 16-25 ans se disent extrêmement inquiets face au changement climatique selon l'étude «Young People's Voices on Climate Anxiety, Government Betrayal and Moral Injury: A Global Phenomenon» publiée dans The Lancet.

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Nicolas Godinot ©EPFL Press

L'interview de Nicolas Godinot, responsable des contenus

Nicolas Godinot est conservateur des sciences de la nature et responsable des contenus à l'Alimentarium. Détenteur d'un doctorat en neurosciences et spécialiste des sens, ce passionné des questions qui concernent l'alimentation partage avec GastroJournal son point de vue sur les problématiques de l'alimentation et de la restauration de demain.

 

A votre avis, quelle sera la place de la viande dans un futur proche?

Nicolas Godinot: La place de la viande sera probablement repensée, mais je ne pense pas que la consommation globale diminuera tout de suite. En effet, en Occident nous sommes en train de questionner le statut de la viande comme élément central du plat. Mais cela va prendre du temps et il faut qu'on mette en avant une offre concurrente qui soit tout aussi plaisante. Par ailleurs, la consommation risque en même temps d'augmenter dans les pays émergents. En effet, la viande est considérée comme un signe de richesse, et sa consommation dans les foyers a tendance à augmenter. De plus la croissance démographique est particulièrement importante dans ces mêmes zones. Toutefois j'espère que ces populations n'arriveront jamais au niveau de consommation très important que l'on trouve en Amérique du Nord ou en Europe occidentale.

Quel est l'avenir des aliments ultra transformés?

Le plat tout prêt à mettre au micro-ondes, c'est le grand truc des années 40. C'est une réponse à une société qui travaille beaucoup et qui n'a plus le temps de cuisiner. L'avenir de ce type de cuisine dépendra de l'avenir des inégalités sociales. Cette pratique est déjà en train de disparaître dans les foyers les plus aisés, qui peuvent se permettre de manger dehors lorsqu'ils sont pressés, de prendre le temps de cuisiner en réduisant leur temps de travail et d'améliorer leur qualité de vie tout en gardant une marge financière. Pour les autres cela est plus compliqué, notamment quand il s'agit de préparer les repas familiaux en un lapse de temps record. Aujourd'hui le marketing et le packaging travaillent sur le plaisir et la valorisation que procure la préparation du repas. Ainsi des solutions de personnalisation des plats sont proposées afin de donner l'illusion du «fait maison» et de diminuer la culpabilité qu'on peut ressentir lorsqu'on ne pratique plus cet acte considéré comme essentiel. Dans ce contexte, la disparition de l'ultratransformé n'est pas encore d'actualité.

Pesticides et additifs versus bio et local. Quel est le futur de l'agriculture?

En Europe, les pesticides et additifs ne sont pas près de revenir, mais je ne suis pas pour l'extrémisme. Il faut bien mesurer les aspects négatifs qu'ils peuvent avoir. Ces produits sont beaucoup plus dangereux pour l'écosystème que pour la santé. Certains pesticides de synthèse ne sont pas forcément catastrophiques pour la nature, il faut les analyser un par un et évaluer les bénéfices/risques. La plupart seraient probablement interdits, mais pas forcément tous. Sans cette analyse au cas par cas, on se coupe d'un réel outil pour avoir des plantes qui sont plus résistantes au changement climatique ou au manque d'eau… Le côté dogmatique de certaines positions me désole, même si au fond, elles ont une justification. Il ne faut pas oublier que l'agriculture bio telle qu'elle existe aujourd'hui accepte les pesticides qui ne sont pas de synthèse, et qu'il s'agit tout de même de chimie qui n'est pas forcément bonne pour l'écosystème. Un des autres problèmes du bio est la question du rendement. Il faut qu'on ait du rendement sans épuiser les sols, sans labourer et sans gaz à effet de serre… Dans le maraîchage et les fruits et légumes, on voit qu'on trouve des solutions pérennes. L'agroforesterie ou les méthodes de permaculture donnent de bons résultats mais demandent beaucoup de main d'œuvre. Ce qui signifie que la rentabilité n'est pas forcément au rendez-vous à moins de vendre les fruits et légumes très chers. Cependant, on fait face à un gros problème avec les grandes cultures comme le blé, le soja ou le maïs. Pour ces céréales, le rendement est de 40% inférieur en bio. Donc pour produire autant, il faut augmenter les surfaces. C'est là qu'on tombe sur un autre problème: la déforestation. La question des rendements n'est vraiment pas anodine. Depuis une centaine d'années, l'être humain travaille sur l'augmentation du rendement à l'hectare, de manière intensive et trop forte, ce qui a épuisé les sols. Les solutions dont on dispose en bio ne permettent pas les mêmes rendements et ne produisent pas assez à manger. On pourrait donc moins produire pour le fourrage destiné animaux, réduire l'élevage intensif et par conséquent, manger moins de viande. Cela permettrait d'avoir assez de surface pour nourrir tout le monde et ne faire que du bio. Mais ce n'est malheureusement pas si simple. Il faut revoir tout notre système avec intelligence.

Comment imaginez-vous l'avenir de la restauration?

Le fait de manger hors de chez soi va probablement se réinventer. Concernant le repas de midi dans les zones urbaines et dynamiques, il est important que ce soit rapide. L'essor du foodtruck va d'ailleurs dans ce sens. Les plats servis peuvent être bons, locaux, bio… Il faut juste qu'ils soient transportables pour ceux qui ne veulent pas perdre de temps et manger au bureau. Par ailleurs, le côté social reste très important, et si on peut partager un repas autour d'autre chose qu'un sandwich c'est encore mieux. Pour le midi, il faut peut-être réinventer un business model pour les restaurants, qui permette de vendre des plats à l'emporter. Mais je pense que ça peut être difficile à mettre en place, notamment parce que la vente des produits avec le plus de marge, comme les boissons, risque de diminuer. Le soir ou les week-ends en revanche, on observe une réelle scission entre les classes sociales. Toute une partie de la population reste dans le low-cost, et avec l'inflation cela s'accentue encore. L'écart entre les plus aisés et les plus pauvres est énorme – même si en Suisse il est moins présent que dans d'autres pays – et le message adressé à ceux qui s'en sortent le moins bien est très violent et culpabilisant. Non seulement on leur dit: «vous êtes responsables de votre situation», mais en plus «vous mangez mal, vous ne mangez pas local, vous faites tout faux, vous contribuez à détruire l'écosystème. Voilà ce qu'il faudrait faire, mais vous ne pouvez pas vous l'offrir et on ne vous donne pas de solutions pour y arriver…»  Il y a beaucoup d'injonctions de la part «des classes qui peuvent se permettre une alimentation durable». Finalement l'avenir de la restauration passera aussi par des choix de société, par des subventions sur les offres qu'on considère comme positives pour la société et l'écologie. Ces choix-là appartiennent à la société civile et pas à l'industrie ou à la restauration. 

Que pensez-vous de la pénurie de personnel dans la branche: y-a-t-il des solutions futuristes?  

On pourrait imaginez une robotisation du service et des cuisines. Il faut comprendre qu'on vit dans une société ultraflexible. Les restaurateurs doivent offrir un service jusqu'à tard le soir et à nouveau tôt le matin, pour servir le petit-déjeuner. Il y a une tension sur les prix des matières premières, sur les salaires et sur les horaires qui ne dépendent pas des restaurateurs eux-mêmes, mais des attentes de la société. Pour les salariés, les solutions alternatives comme la restauration collective avec un service à midi uniquement sont de bons compromis. C'est très compliqué pour les restaurants de rivaliser car le problème des conditions de travail vient du problème de l'offre et de la demande... Il faudrait arriver à changer les habitudes de consommation, à changer le rythme de vie, fermer beaucoup plus tôt et rendre la soirée à la vie de famille. Peut-être faut-il considérer que la restauration est essentielle pour notre société, que c'est une offre d'intérêt public et qu'il faut la financer par l'impôt, comme en tant de Covid. On pourrait alors augmenter les salaires, ou travailler avec deux équipes. Cependant, je ne pense malheureusement pas que ce soit dans les priorités.

 

Retrouvez l'interview du chef Philippe Ligron dans l'édition papier de GastroJournal du 3 juin